Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Présidente du Réseau des femmes Africaines, ministres et parlementaires de Guinée (REFAMP) et présidente de la Coalition des femmes et filles de Guinée pour le dialogue, la construction de la paix et le développement (COFFIG) le Docteur Makalé Traoré a accepté de répondre à nos questions. Entretien réalisé en marge de la formation sur le thème « Leadership des femmes dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest » qui s’est tenue à Gorée du 4 au 6 février dernier. Rappelons que cette formation résulte du projet « Femmes, Paix et Sécurité en Afrique de l’Ouest (AWA) » conceptualisé et mis en œuvre dans le cadre du programme « Prévention des conflits et Consolidation de la Paix en Afrique de l’Ouest » de l’Institut Gorée.
Bonjour Docteur. Que peut-on dire de la situation sécuritaire de la République de Guinée actuellement ?
Je pense que la situation sécuritaire en Guinée est actuellement la même que celle de la sous-région. La Guinée est un ilot de paix entouré de pays qui ont connus ou qui sont en conflit et ça ne facilite pas le maintien de la sécurité dans notre pays. Il s’y ajoute que souvent les élections sont mal organisées comme partout, il y a la cybercriminalité, la violence liée au chômage des jeunes, etc… enfin je le répète souvent quand on m’interroge : notre pays n’est pas à l’abri d’un conflit, c’est pour cela que nous travaillons beaucoup sur la prévention d’une situation préoccupante.
Concrètement comment se traduit sur le terrain cette « prévention des conflits » et quel est le rôle des femmes selon vous dans la prévention des conflits ?
Dans le processus de consolidation de la paix, la participation, l’action des femmes est une importante valeur ajoutée. De ce point de vue-là, en Guinée, la coalition des femmes et des filles de Guinée s’est positionnée depuis 3 ans, après les élections présidentielles, pour travailler justement sur les questions de dialogue, de consolidation de la paix et de développement. Cela est venu un peu du fait que personnellement j’ai dirigé la campagne présidentielle du candidat qui est devenu président (de la République de Guinée) et je n’en suis pas sortie indemne. J’ai vu que le pays était fragile, que ça pouvait basculer et qu’il n’y a pas de dispositif qui puisse prévenir cela. Alors je me suis lancée dans la bataille avec mes collègues du Réseau des femmes Africaines, ministres et parlementaires de Guinée. Nous avons essayé de créer une faitière d’organisations de femmes aujourd’hui composée de 237 réseaux et organisations de femmes, c’est aujourd’hui la plus grande organisation de femmes en Guinée, et nous avons décidé de nous impliquer pour la première fois en déployant 660 observatrices sur le terrain pour prévenir, pour alerter. Nous avons mis en place pour la première fois, un mécanisme d’alerte précoce, avec l’appui technique du Gorée Institute et du PNUD à travers le PBF (Fond de Consolidation de la Paix), pour essayer d’alerter très tôt les autorités sur tout ce qui pouvait concerner les dysfonctionnements dans le processus électoral pour que les mesures soient prises afin d’éviter que les choses n’explosent. Il s’agit de la Case de veille qui a été le premier acte concret d’envergure en Guinée. Mais avant cela, nous avons travaillé à la reprise du dialogue entre l’opposition et le pouvoir, nous avons organisé une marche blanche des femmes pour la paix, nous avons désamorcé des marches de l’opposition, nous avons pu obtenir des moratoires auprès des différents partis politiques pour éviter le pire… Voilà un peu sur le terrain ce que nous avons fait. La case de veille est une action que nous comptons implémenter sur l’ensemble du territoire et de façon profonde.
L’on peut donc vraiment voir une évolution dans le rôle que jouent les femmes, le poids et la place qu’elles prennent dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix en Guinée tout du moins…
Et dont nous sommes très fière parce qu’à l’occasion de ces élections (législatives 2013), c’était la première fois que les femmes s’impliquaient de façon citoyenne dans l’observation électorale. C’est une grande première et on l’a fait avec le cœur, on a fait grand et aujourd’hui on est très fières. C’est aujourd’hui un exemple dans la sous-région.
Vous aviez donc déjà travaillé avec l’Institut Gorée, vous avez répondu présente à cette formation, et au sortir justement de cette formation, qu’est-ce que vous en retenez ? Quelle est l’importance de tenir ce genre de formation qui porte rappelons-le sur le « Leadership des femmes dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest » ?
J’avais besoin de cette formation. La première formation que j’ai reçue c’était en 1999 organisée par le Secrétariat d’Etat américain qui était destinée aux jeunes entrepreneurs de moins de quarante ans. J’ai représenté la Guinée et c’est la première fois que j’ai reçu une formation en leadership. Mais c’était dans un domaine complètement différent. Actuellement, je suis à la tête de la plus grande faitière féminine de la Guinée, c’est un autre leadership et personnellement cette formation m’a beaucoup apporté. D’abord sur l’évolution du concept même de leadership féminin, sur l’évolution des conflits, des acteurs de conflits, des aspects du conflit, même la définition de la paix. J’aime souvent dire que le mot partage est le plus beau mot de la langue française et justement on a partagé. Ce n’était pas théorique, c’était interactif et on a beaucoup apprécié cela. Moi j’ai beaucoup appris. De plus, le site de Gorée est propice à la réflexion et à la production intellectuelle.
Aujourd’hui quelle forme de collaboration voyez-vous entre le Gorée Institute et les associations de femmes guinéennes ?
Ecoutez, quand je me séparais de l’équipe du Gorée Institute (projet « Case de veille » lors des élections législatives guinéenne de 2013, voir plus haut), je leur ai dit « Moi je vous tiens et quand je tiens les gens, je les lâche plus ». Evidemment nous mettons Gorée Institute en première place pour ce qu’il s’agit de la collaboration technique et d’accompagnement. Nous sommes en train de travailler sur un grand projet étalé sur une année : l’implantation de cases de veille permanentes dans toutes les préfectures de la Guinée. Gorée Institute est notre partenaire technique sur ce projet. Et je disais également au Directeur exécutif de l’Institut (Doudou DIA) qu’il serait intéressant de penser à y ajouter les modules de cette formation, qui sont très concrets, car sur la période de ce projet, il est prévu beaucoup de formations. Les femmes sont très nombreuses. Actuellement nous avons plus de 11500 adhérentes et elles ont besoin d’être formées sur la durée. En termes de collaboration, il serait également intéressant de penser à un cadre de concertation et de partage sous régional de nos différentes expériences de plateformes de veille pour voir tout ce qui a été fait et prendre ce qui est bon et le partager.
Docteur Traoré, merci d’avoir répondu à nos questions.
Je vous remercie.
Interview réalisée par Aurélie CARLOT, Chargée de la Communication du Gorée Institute