Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Lomé (Togo), Source : Le Soleil
Membre de Gorée Institute et ancien directeur exécutif du Forum civil du Sénégal, Mamadou Seck, est coordonnateur général de la mission d’assistance électorale auprès de la société civile du Togo. Rencontré à Lomé avec son équipe composée de Sénégalais et de Togolais, M. Seck, présent au Togo depuis janvier, retrace l’évolution du processus électoral en cours. Considérant le fichier de crédible même s’il note des dysfonctionnements liés souvent à la non maîtrise de l’état-civil, il pense que la société civile ainsi que la presse ont un rôle à jouer dans les élections législatives et locales à venir.
De notre envoyé spécial Daouda Mane
« Le programme entièrement financé par l’Union européenne à hauteur d’un million d’euros (655 millions de FCfa) sur 8 mois, est mis en place afin d’accompagner les organisations de la société civile togolaise dans le cadre des élections législatives et locales à venir. Il comprend plusieurs volets notamment la formation, l’encadrement et le déploiement des observateurs et moniteurs qui sont formés pour un suivi du processus électoral sur plusieurs aspects : le monitoring de la violence électorale, celui des médias, du recensement biométrique ; l’observation à long terme, l’observation le jour du scrutin ».
Fichier électoral
« Le travail a commencé depuis janvier dernier. On a observé le recensement biométrique qui est la période d’enrôlement des citoyens dans le fichier électoral. Globalement, il s’est bien passé, même s’il y a eu quelques couacs : des dysfonctionnements ici et là, des kits qui tombaient en panne, des retards dans le démarrage dans certaines zones, l’inaccessibilité de certains centres de recensement des votes. Mais, on n’a pas atteint le seuil critique qui puisse remettre en cause le processus. C’est dire que globalement le processus s’est bien passé et d’ailleurs, on a atteint le nombre de 3 millions d’inscrits sur le fichier pour un pays qui a 6 millions d’habitants. C’est un ratio très intéressant ».
Participation de l’opposition qualifiée d’aile dure »
« Je pense que cela est d’abord lié à une prise de conscience. Elle s’est sûrement rendue compte que la politique de la chaise vide n’a jamais marché. Je reste convaincu aussi que parmi les 3 millions d’inscrits, il y a nombreux militants de l’opposition. Le dialogue semble rompu, mais dans les coulisses, il se poursuit. La présence d’une mission d’observation comme la nôtre peut, quelque part, rassurer. L’opposition n’a pas été présente durant le recensement biométrique, elle a boycotté les sièges qui lui étaient attribués à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Mais, elle a déposé ses listes pour ne pas hypothéquer toutes ses chances dans les 5 années à venir dans le débat politique, l’Assemblée nationale étant le seul lieu de débat au Togo ».
Anomalies dans le fichier électoral
« On n’a pas été présent dans les aspects techniques d’audit et du dédoublonnage. C’était du ressort de la Ceni. Cependant, nous avons participé à une séance de démonstration sur comment il faisait le dédoublonnage. C’était quand même crédible. 15.000 doubles inscriptions ont été décelées, ce qui est très infime par rapport à 3 millions d’inscrits. La biométrique est une technique qui vient davantage sécuriser le système électoral. Le fichier est crédible, même si (et cela est une réalité dans la plupart de nos Etats), un des gros problèmes réside dans la maîtrise de l’état-civil. On ne le maîtrise pas du tout ici au Togo ».
Travail de la société civile togolaise
« C’est un autre grand problème. La société civile souffre de crédibilité. Elle est jeune, faible, qui a besoin de leader et d’un leadership fort pour se faire entendre. Pour conquérir les Bastilles, il faut se battre. Cela est sûrement lié à la jeunesse de la démocratie qui n’offre pas forcément toujours des espaces d’interaction et d’évolution à la société civile. A chaque étape de développement, sa société civile, dit-on ».
Apport de Gorée Institute
« Le programme est d’abord et avant tout, un programme d’assistance électorale. On forme la société civile, puis on la déploie. Nous sommes en partenariat avec un consortium de 35 organisations de la société civile togolaise : la Synergie citoyenne pour des élections démocratiques au Togo. C’est dans ce creuset que nous puisons nos ressources humaines qui sont formées, redéployées et suivies. Elles produisent des rapports régulièrement qui nourrissent nos réflexions et nous permettent d’affiner nos stratégies d’intervention. Nous avons une unité d’assistance technique composée de 16 personnes. J’en suis le coordonnateur général. J’ai une adjointe qui a en charge tout le volet monitoring : des médias, du recensement biométrique et de la violence électorale pour faire une sorte d’alerte précoce en nous adressant aux autorités, les parties prenantes. Il y a 3 assistants (logistique, formation et suivi des activités et administration et finance). Nous avons également un analyste politique, un statisticien et une chargée de communication. Les rapports envoyés sont traités par le statisticien pour éviter la rumeur qui joue énormément sur le processus électoral. Nous voulons rompre avec cette pratique de la rumeur. Tout ce que nous dirons est objectivement et scientifiquement documenté. Le statisticien prend toutes les informations reçues de nos observateurs, les agrège et en sort des tendances, mais ces informations ne sont pas intelligibles. L’analyste politique en donne l’intelligibilité. Nous avons des kits (formulaire, code de bonne conduite, instruments de visibilité : sac, casquette, tee-shirt, polo…) puisque nous déployons 25 moniteurs des médias, 60 de la violence électorale, 25 du recensement biométrique et 25 observateurs à long terme, 600 observateurs le jour du scrutin et 200 M-observateurs (M comme mobile, un concept nouveau) qui sont dotés de portables. Nous avons une plate-forme technologique qui est le réceptacle de toutes les informations recueillies par les observateurs».
Expertise sénégalaise en marche
« Oui, sans trop verser dans l’autosatisfaction ni dans la prétention, nous cherchons à jouer notre rôle et à apporter notre pierre à l’édification d’une démocratie au Togo, comme nous sommes en train de le faire au Sénégal. Nous avons été présents en Côte d’Ivoire dans le cadre de la médiation, nous le sommes au Mali, en Guinée- Bissau ».
Rapport Gorée Institute avec l’Etat
« Nous avons des rapports de franche collaboration. Nous avons notre protocole d’accord depuis le mois de février qui nous confère presque un accord de siège temporaire entre l’Institut de Gorée et l’Etat togolais. La Ceni a désigné un point focal qui travaille avec nous directement. Tous nos besoins sont pris en charge. Nous avons des contacts permanents avec les autres institutions qui ont un rôle direct dans le processus : le ministère de l’Administration territoriale, le ministère de la Protection et de la Société civile, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac)… Nous pouvons entrer librement dans toutes ces institutions et nous y avons un répondant ».
Les médias dans le processus
« C’est une question difficile. Il faut noter que c’est une presse jeune qui cherche à s’en sortir, mais qui a énormément de lacunes : problème de formation, des relations heurtées avec la Haac. Je ne pense pas que la presse en soit responsable. La Haac doit améliorer sa politique de communication, son approche en direction des médias. On a l’impression qu’elle est une institution plus répressive que constructive. Mais, il faut reconnaître que la presse paraît plus caporalisée. Elle est dans des querelles partisanes. On le sens dans les discours, les positions, les éditoriaux, les articles… C’est peut être aussi liée à sa jeunesse, son manque de formation, de moyens (celui qui a faim n’est pas libre). Gorée Institute a formé des acteurs de la presse en monitoring des médias, un aspect lié à la gouvernance. Ce qui leurs a permis de voir qu’au-delà des querelles de position, il y a des enjeux qui se déroulent. A la sortie de cette formation, ils ont mis en place un réseau des journalistes pour la gouvernance. C’est dire qu’ils ont senti un certain nombre de besoins et qu’ils se mettent dans la perspective de trouver des réponses. »