Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Regard des jeunes sénégalais sur l’économie : une image mi-figue mi-raisin
Le regard que les jeunes sénégalais portent sur la situation économique du pays ainsi que sur leurs propres conditions de vie est nuancé. Une part infime de jeune estime que leurs conditions de vie sont très reluisantes. Cette proportion est de 5 %. C’est donc 1 jeune sur 20 qui est très satisfait de ses conditions de vie. 51 % des jeunes (soit 1 sur 2) trouvent que leurs conditions de vie sont assez bien. Si 17,9 % des jeunes trouvent qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, ce sont 15,7 % d’entre eux qui estiment qu’elles sont assez mauvaises et ils sont 10,3 % (soit 1 sur 10) qui soutiennent que leurs conditions de vie sont très mauvaises. En résumé, 26 % des jeunes (soit 1 jeune sur 4) estiment que leurs conditions de vie sont mauvaises voir très mauvaises.
Environ 31 % des jeunes estiment que la situation économique des pays est mauvaise ou très mauvaise : c’est donc un jeune sur trois qui soutient ce point de vue. Un jeune sur cinq (19,6 %) trouve que la situation économique n’est ni bonne ni mauvaise alors qu’environ 46 % des jeunes estiment que la situation économique est assez bonne.
Cette perception de la situation économique du pays est à l’image de celle que les jeunes ont de leurs propres conditions de vie. En effet, lorsqu’on croise la perception des jeunes de la situation économique du pays par leur perception sur leurs propres conditions de vie, la relation est statistiquement significative au seuil de 1 %. En d’autres termes, leurs conditions les informent sur la situation économique du pays. L’examen des distributions conditionnelles montre que :
- Sur 100 jeunes sur estiment que leurs conditions de vie sont mauvaises, 63 considèrent que la situation économique du pays est mauvaise, 20 qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises et 17 qu’elles sont bonnes ;
- Sur 100 jeunes sur estiment que leurs conditions de vie ne sont ni bonnes ni mauvaises, 19 considèrent que la situation économique du pays est mauvaise, 34 qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises et 47 qu’elles sont bonnes ;
- Sur 100 jeunes sur estiment que leurs conditions de vie sont bonnes, 20 considèrent que la situation économique du pays est mauvaise, 15 qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises et 65 qu’elles sont bonnes.
Des attentes très fortes en matière de démocratie mais largement insatisfaites
L’instauration d’un multipartisme sous le magistère de Senghor et son élargissement sous celui de Abdou Diouf et l’expérience de deux alternances politiques réussies, survenues respectivement en 2000 et en 2012 ont permis de renforcer la demande démocratique des citoyens conformément à la thèse de Staffan Lindberg. En effet, ce dernier dans son ouvrage Democracy and Elections in Africa paru en2006, puis dans un autre article intitulé The Power of elections revisited et présenté lors de la Conférence de Yale sur « Elections and Political Identities in new Democracies » en 2007, Lindberg montre que l’organisation régulière d’élections était de nature et à élargir et à approfondir l’assise démocratique.
Les résultats montrent que 80 % des jeunes enquêtés, soit 4 jeunes sur 5, estiment que la démocratie est le meilleur système de gouvernement. Cela traduit l’attachement des jeunes sénégalais à la préservation des acquis démocratiques que des générations avant eux ont eu à conquérir. Les manifestations du 23 juin 2011 sont une illustration à la fois violente et symbolique du positionnement des jeunes comme des sentinelles de la démocratie sénégalaise. En protestant comme le projet de loi du ticket unique supposé élire le président et le vice-président, ils ont obligés le Président Wade et l’Assemblée nationale à reculer et renoncer à ce qui s’annonçait être une tentative de piégeage de la démocratie sénégalaise et un agenda caché d’un projet de dévolution monarchique du pouvoir. A ce propos, Awenengo-Dalberto (2011) note que :
Les 23, 26 et 27 juin 2011, ces mobilisations ont pris une ampleur inédite : de grandes – et violentes – manifestations contre un projet de réforme constitutionnel ont été suivies, à Dakar, d’émeutes généralisées dites « de l’électricité.Les jeunes urbains sont les acteurs principaux de ces expressions protestataires, investissant d’une manière nouvelle l’espace public et la scène médiatique. Cet investissement semble rompre avec les formes d’expression politique de la jeunesse à l’œuvre dans les années 2000.
Awenengo-Dalberto (2011)
Cependant, la forte demande de démocratie est décalée par rapport à la satisfaction que le processus démocratique procure à ces jeunes : 12 % des jeunes interrogés ne sont pas du tout satisfaits de la démocratie sénégalaise tandis que 25,7 % des jeunes ne sont pas très satisfaits de cette démocratie. En résumé 37,7 % des jeunes ne sont pas satisfaits de l’état de la démocratie sénégalaise.
Ce hiatus entre une forte demande de démocratique et le peu de satisfaction que le processus démocratique procure aux jeunes exprime la désaffection vis-à-vis du pouvoir central :
Les années 2009-2011 marquent l’apogée de la désaffection de la jeunesse pour le président Wade. Les élections locales de 2009 en sont un indice fort : le PDS perd les jeunes principalement dans les centres urbains et les grandes villes de la banlieue dakaroise, où la population se caractérise par sa densité et sa jeunesse. La démesure du pouvoir et des élites (classe politique et nouvelle bourgeoisie financière), le décalage et l’aveuglement du président par rapport aux préoccupations des Sénégalais ont semblé atteindre leur paroxysme. D’une part avec « l’obscénité » financière, incarnée par la construction du Monument de la Renaissance africaine, statue démesurée inaugurée en 2010 – projet qui a en outre focalisé un certain nombre de controverses religieuses. D’autre part, avec la cooptation politique du fils du président, Karim Wade. Il est nommé à des postes ministériels de premier plan alors même qu’il venait de subir un échec retentissant aux élections locales de 2009 à Dakar. Des craintes d’une dévolution monarchique du pouvoir commencent alors à émerger. Pour ces différentes raisons, la jeunesse qui avait participé à l’avènement de l’alternance en mars 2000 s’est sentie trahie et laissée pour compte, son sort économique et social n’ayant guère eu l’air d’évoluer depuis.
Awenengo-Dalberto, 2011
Compte tenu du poids de plus en plus important que ces jeunes vont peser sur le collège électoral, leurs attentes et exigences en matière de démocratie, d’accès à une meilleure éducation, d’accès à l’emploi et à de meilleures conditions de vie seront encore plus importantes.
Source : Perspectives Politiques dans les pays du Sahel: Burkina Faso, Niger, Mali et Sénégal