Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Une analyse des facteurs qui pourraient aider à la compréhension de la situation politique et institutionnelle du Mali intègre différents niveaux dont les plus importants, à notre sens, sont relatifs aux caractéristiques et fonctionnement des institutions (I) et les acteurs dans leurs rapports à ses institutions ou la pratique institutionnelle (II).
Au plan institutionnel
On analysera les insuffisances de la constitution et les institutions qui en découlent avant d’évoquer l’Accord pour la paix qui est devenu par la force des choses « une charte » en complément.
Une rigidité constitutionnelle discutable
Comme, on a pu le noter, les circonstances qui ont prévalu au moment de l’élaboration de la constitution malienne de 1992, sous la Conférence Nationale, auraient accouché d’un nouvel espace politique caractérisé par une sorte d’immobilisation des forces politiques dans un jeu à somme nulle[1]:
« La majorité des interlocuteurs rencontrés soutiennent que la Conférence Nationale du Mali qui s’est réunie du 29 juillet au 12 aout 1991 à Bamako, à la suite de plusieurs mois de préparation, reste le véritable espace de dialogue national le plus ouvert (que certains qualifient de plus démocratique) du Mali indépendant, tant par le nombre et la nature des participants que par leur rôle et légitimité́ ».
Cela pouvait conférer aux acteurs une certaine marge de manœuvre pour être à l’abri des intérêts partisans afin de réaliser une réflexion profonde et objective pour des institutions démocratiques sur « fond d’une vision progressiste » (Aly Cissé 2006:26). Cependant, les stigmates de vingt-trois ans de monopartisme ont plané sur les travaux et fragilisé les réflexions sur les perspectives de construction en focalisant le débat sur une ingénierie institutionnelle relative aux procédés de verrouillage du système politique pour que le Mali ne se retrouve plus jamais dans un système mono partisan. Le verrouillage constitutionnel[2], l’obligation d’un référendum, qui s’en est suivi s’analyse aujourd’hui comme une des raisons du blocage des réformes démocratiques nécessaires à une mise à jour du processus démocratique. Les propositions de réformes butent sur la constitution qui est devenue aujourd’hui un objet fétiche dont on a oublié les incantations pour le dépoussiérer suite à l’échec de trois tentatives de révision[3].
On peut s’interroger sur la nécessité de mise en exergue de cette volonté de fermeture d’autant plus que tous les acteurs majeurs du système mono partisan étaient sous arrestation et dans l’attente d’un jugement. Par ailleurs, le souvenir du passage des militaires au pouvoir était encore frais dans les mémoires. Pour certains maliens, il fallait « verrouiller la constitution et jeter la clé à la mer » peu importe les perspectives d’évolution de la dynamique et leurs prises en compte. Contrairement à beaucoup d’autres pays en construction démocratique qui ont limité le référendum seulement à des clauses spécifiques[4], au Mali on ne peut pas changer la virgule dans la Constitution de 1992 sans passer par référendum. Ainsi, quel que soit la majorité parlementaire ou la question dont il s’agit, la Constitution n’est révisée qu’avec la consultation du peuple malien.
La conséquence de cette rigidité constitutionnelle s’analyse aujourd’hui au Mali en une sclérose du système politique qui se trouve dépassé sous l’influence de la dynamique politique. En effet, pour illustrer ce dépassement, le système majoritaire à deux tours prévues dans la Constitution pour l’élection des députés s’est très vite trouvé anachronique car ne permettant pas la représentation des différentes sensibilités culturelles du pays au niveau de l’Assemblée nationale. Pour une mosaïque d’aires culturelles comme le Mali, la représentation au niveau de l’Assemblée nationale est un facteur important d’inclusivité et de cohésion sociale. De même, un des points importants de l’Accord issu d’Alger était de permettre de combler les insuffisances de la représentation des légitimités traditionnelles et communautaires qui sont incontournables dans le processus décisionnel sur les questions nationales. Il s’agit de faciliter leur participation dans les instances de décision sans passer par le vote d’où la proposition d’un Sénat pour permettre à ces derniers de siéger dans les instances nationales de décision. Si, en 1992 cette question de représentation se posait avec moins d’acuité, elle est depuis 2013 un point essentiel de revendications des mouvements armés d’où son intégration dans les propositions de l’Accord pour la paix issu du processus d’Alger.
Une consécration inopportune du régime « semi-présidentiel »
Considéré comme la clé de voûte des institutions de la République en France, le Président de la république au Mali est aussi, à l’instar de son homologue français, comme le dirait Maurice Duverger, « un monarque républicain ». Fortement inspiré de la constitution française de 1958, la constitution malienne consacre le régime semi présidentiel qui lui-même est source de critiques en France. A titre illustratif, François Mitterrand dans le « Coup d’Etat permanent » dénonce un régime dans lequel « seul le président gouverne et décide ». Au Mali, les manifestations de ce régime semi présidentiel s’analysent sous l’angle d’une autocratie délicate[5] faisant de l’institution « Président de la République » le moteur des initiatives de réformes et le centre d’impulsion de toutes les décisions politiques importantes. Cette omnipotence, comme on a pu le constater durant les deux mandats successifs du Président Alpha Konaré (1992-2002) et du Président Amadou Toumani Touré (2002-2012) et, encore plus, avec le Président Ibrahim Boubacar Keita, s’analyse comme le « pouvoir d’un homme » (Sphynx 2006:2). Ce mode de gouvernance se trouve à la base d’une sclérose du jeu politique par la mise en orbite d’un seul homme qui est au départ et à la fin de toutes les questions importantes en rapport avec la vie de la nation. La rhétorique devenant pour tous et à tous les niveaux des structures politico-administratives « Qu’en pense le chef de l’Etat ? » ou « Conformément à la volonté du Président de la République ». Pour illustrer cela, un parlementaire[6] raconte que lorsqu’un projet de loi arrive à l’Assemblée nationale, beaucoup de parlementaires sont plus intéressés à connaître la position du « Fama» (Le Président de la République) sur le dit projet que son contenu. Les inconvénients de cette situation peuvent s’analyser à deux niveaux interdépendants avec des effets assez destructeurs. Le premier niveau est économique et le second est politique
Sur le plan politique, on assiste à une faiblesse de l’initiative politique car la seule source d’impulsion crédible reste celle du chef de l’Etat et on peut le constater dans le travail parlementaire. En effet de 1992 à 2018, 98% des lois votées[7] étaient des projets de lois discutés essentiellement dans les technostructures avec une faible initiative des parlementaires et des populations. Pour la période précitée tous les projets de lois sont systématiquement approuvés par l’Assemblée nationale parce qu’il y a toujours une majorité acquise au Président de la République. Dans l’histoire institutionnelle récente, une seule fois un projet de loi a fait l’objet d’une seconde lecture à l’Assemblée nationale du Mali en 2009[8] sous la pression des populations guidées par des leaders religieux.
L‘inconvénient majeur de la faiblesse d’initiative est la sclérose de tous débats contradictoires donc la possibilité d’élargir les horizons pour une grande inclusion de différentes perspectives et opinions. On peut en déduire implicitement que la non-prise en compte de la diversité d’opinions dans une mosaïque culturelle et géographique comme le Mali est un tremplin négatif pour l’accumulation des frustrations et pose la question de la représentativité ou la légitimité des élus qui parlent au nom des populations.
Sur le plan économique, l’Etat reste le principal pourvoyeur de ressources avec un secteur privé faible en termes de productivité et d’emplois. Le secteur informel reste le principal pourvoyeur d’opportunités pour les 3/4 de la population ; ce qui explique le nombre élevé de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour[9] et surtout beaucoup de frustrations. La faible redistribution des ressources naturelles trouve sa source dans la faiblesse d’initiatives mais surtout dans la corruption dont les principaux bénéficiaires sont les cercles du pouvoir[10] dans un système vicieux de « néo-patrimonialisme » (Transparency International 2017) où la famille joue un rôle de premier plan. Ce qui est surtout remarquable, et qui constitue la source des dérives, est que ces pouvoirs du président ne sont subordonnés à aucune règle ou disposition qui pourrait servir de filtre ou d’encadrement. Ainsi au Mali, tous les pouvoirs de nomination du Président de la République sont discrétionnaires[11] et il n’existe ni validation par une institution comme l’Assemblée nationale ou la Cour suprême, ni obligation de consultation préalable d’une institution quelconque. Le corollaire de cet état de fait est une inféodation de l’administration au président de la république avec comme manifestation, l’aggravation des pratiques corruptives et le « dévoiements des règles de concurrence et d’attribution des marchés publics » (Rapport Vérificateur général 2016 ; 2017; 2018) en tenant compte prioritairement de la position du Président ou celle de son entourage immédiat (famille et collaborateurs directs).
Cette situation de pourrissement entraine un déterminisme ou une fatalité visible qui se manifeste par la renonciation aux voies de recours légales car la volonté de survivre ou d’obtenir une position confortable oblige à adopter un profil bas et accepter les pratiques corruptives. A contrario et au fond, les récriminations et les frustrations de la majeure partie des acteurs ne font que grossir avec un amenuisement des espoirs et un rejet du régime et du système politique.
Une sacralisation de l’Etat unitaire : les tares de la verticalité administrative
Les pères de l’indépendance du Mali avaient une vision focalisée sur la construction d’Etat-nation, ambition noble et porteuse de sécurité de paix et de développement lorsqu’elle se réalise. Cependant, la configuration géographique et les stigmates de la colonisation ont rendu difficile la réalisation de cette ambition. En effet, les raisons qui ont poussé certaines populations à se révolter contre les colons ont été maladroitement utilisées par l’Etat-post colonial pour maintenir son autorité : la verticalité administrative caractéristique d’un Etat unitaire sous une doctrine d’Etat-nation forgée par les pères de l’indépendance et ancrée dans la conscience collective avec 92% des Maliens préférant un pays unifié (Afrobaromètre dépêche N°211)[12].
Le Mali est un territoire vaste de plus d’un million deux cent quarante mille km2 subdivisé administrativement en dix (10) régions dont huit (8) fonctionnelles qui sont à leur tour subdivisées en cercles « relais du pouvoir central » (Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima 2013) suivant des aires géographiques socio-politiques. Le processus de décentralisation a commencé très tôt avec la création de la région de Kidal et cinq nouvelles communes urbaines (loi de 1992). Par la suite une redéfinition de l’organisation administrative a été initiée en instituant des nouvelles communes au nombre de 684 par la loi de 1996 ; puis ce sera la loi de 2012 qui fera passer le nombre de régions de huit à 19 sur une prévision opérationnelle de cinq ans. Aujourd’hui, l’ambition de la loi de 2012 n’arrive pas à se concrétiser sous l’influence de la résistance administrative et des considérations économiques et stratégiques. En effet, la loi sur la décentralisation a créé de nouvelles régions mais l’opérationnalisation de celles-ci n’est pas encore effective après l’écoulement du délai prévu par la loi (2017).
Les insuffisances en matière d’organisation administrative apparaissent comme le péché originel de l’Etat post-colonial qui a maintenu les caractéristiques d’un état unitaire avec une centralisation jacobine du pouvoir. La hantise de la division et de la séparation s’est renforcée avec la première rébellion séparatiste touarègue en 1962 qui fut réglée par une solution militaire laissant des stigmates aussi bien dans les populations touarègues que dans le reste du pays avec la perte des soldats de l’armée nationale (Kalifa KEITA 1998 :11). La résolution de cette crise a renforcé les tenants du pouvoir d’alors[13] dans leurs convictions que les démons de la division rôdent autour du Mali et qu’il fallait renforcer la centralisation du pouvoir. Ce postulat a été consolidé après le coup d’état de 1968[14] par le régime militaire[15] qui a maintenu la doctrine socialiste d’état unitaire en consacrant le monopartisme dans la constitution à partir de 1974.
L’inconvénient majeur de cette politique de centralisation est qu’elle ne permet pas d’impliquer directement les populations dans la gestion des affaires qui les concernent et réduit du coup l’espace d’expression et de participation à la prise de décision. Cet état de fait s’analyse comme la continuité d’une forme de colonisation avec l’extranéité des décisions régissant la vie des populations. Dans de telles conditions, les perspectives pour les initiatives locales sont vouées à l’échec car quelle que soit la volonté des autorités nationales ou régionales, elles ne peuvent avoir la capacité de gérer toutes les questions de la base. L’existence d’un centre d’impulsion unique est infailliblement problématique et on serait en situation de non-gouvernance à chaque fois que le niveau central est en panne d’inspiration ; ainsi que le Mali le vit depuis plusieurs années.
Cette situation de non-gouvernance a constitué une source de frustration des cadres et leaders politiques des différentes régions pendant plusieurs années et cristallise aujourd’hui les revendications des mouvements indépendantistes (Mouvement Nationale Libération de l’Azawad) et les conseils régionaux, en ce qui concerne le transfert des ressources. Depuis 2012 les transferts de compétences aux autorités régionales ont été faits mais le transfert des ressources reste encore problématique car butant aux paradigmes de la centralisation étatique.
L’autre difficulté avec l’administration du territoire est que la taille des régions reste encore trop grande. La diversité des aires géographiques dans chaque région n’est pas suffisamment reflétée dans la conduite des destinées d’où des revendications importantes pour rendre opérationnelles les nouvelles régions. En outre, de fortes revendications existent pour créer d’autres régions en accordant plus de participation et plus d’inclusion dans les processus décisionnels.
La problématique de la sécurité et de sa dégradation continue
Il est communément accepté aujourd’hui que la situation sécuritaire du Mali est due à la chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye (Salomon 2015) cependant il faut admettre que la menace sécuritaire et la rébellion touarègue sont devenues cycliques[16] au point où « on peut considérer qu’au Mali l’état de guerre de faible intensité́ est quasi-permanent » (Guichaoua & Pellerin 2017); d’où la complexification de l’analyse du phénomène .
En 2012, les multiples « replis stratégiques[17] » des forces armées maliennes ont convaincu une tendance majoritaire des citoyens maliens que l’armée nationale n’avait pas la capacité de vaincre les terroristes. L’explication pour bon nombre de maliens se trouvait dans la mauvaise gouvernance de l’armée depuis l’avènement de la démocratie. Aujourd’hui, la dégradation continue de la situation sécuritaire suscite de nombreuses interrogations eu égard à la présence massive des forces étrangères. Le Président Macky Sall, lors de la 6ème édition du forum de Dakar sur la paix et la sécurité, (big.gouv.sn) relève de manière éloquente les contradictions de la situation en faisant remarquer :
« D’un effectif de 6491 éléments à ses débuts, la MINUSMA en compte aujourd’hui 14.400; plus que le double. Paradoxalement, l’agression terroriste contre le Mali s’est intensifiée ; et pire, le terrorisme étend son spectre ravageur à d’autres pays, charriant au quotidien des morts, des blessés, des réfugiés et personnes déplacées. Les attaques sont devenues plus fréquentes, plus meurtrières et plus audacieuses, puisque les groupes terroristes s’en prennent de plus en plus aux Forces de défense et de sécurité, jusque dans leurs casernes ».
Et il s’interroge ?
« Pourquoi en dépit de la présence plus massive des forces internationales, la situation continue de se dégrader au sahel ? Comment articuler et coordonner les différentes initiatives déployées sur le terrain, de façon à rendre leur action plus cohérente et plus efficace ? »
Les questionnements ci-dessus sont aussi pertinents que complexes et s’il peut paraitre difficile d’apporter une réponse ou donner une panacée, on peut noter sans se tromper que les sous-entendus expriment un échec des stratégies jusque-là utilisées par la communauté internationale et la France. D’ailleurs, le quotidien français l’Humanité (04.08.20) le relève si bien lorsqu’il affirme que « le naufrage du Mali est aussi un fiasco français ». L’analyse de l’aggravation de la situation sécuritaire, à notre sens, révèle l’interférence entre éléments la spécificité de la menace sécuritaire d’une part et l’insuffisance de la réponse des autorités nationales à travers l’Accord issu du processus d’Alger[18] d’autre part.
Une crise sécuritaire caractérisée par l’hétérogénéité des agendas et des acteurs de la crise
La prise des régions au nord du Mali et la déclaration d’indépendance qui s’en est suivie par le c en avril 2012 a laissé croire que la résurgence touarègue[19] a vaincu l’armée malienne ; mais très vite les dissensions sont apparues sur la nature des objectifs visés. Pendant que les indépendantistes réclamaient la victoire, les djihadistes déclinaient « leurs positions contre l’indépendance et l’autonomie » (Arthur Boutellis et Marie Joelle Zahar 2017:10), en boutant les premiers des grandes villes du nord comme Gao et Toumbouctou. Par la suite, au sein des djihadistes, les tendances religieuses se sont exprimées aussi avec comme conséquence la répartition des parties occupées suivant les obédiences et agendas politiques. L’équation difficile pour ces différentes factions était de s’organiser pour assurer la survie dans ces zones désertiques[20] où la source principale de ressource est dans le commerce et les trafics (Arthur Boutellis et Marie Joelle Zahar 2017:27). Cette équation constitue aujourd’hui encore la source des clivages et des opérations meurtrières entre les différents groupes armés (International Crisis Group rapport n° 267).
L’immensité des territoires et la porosité des frontières entre les quatre pays (Mali, Burkina, Niger et la Mauritanie) favorisent les mouvements des différents groupes armés qui, prônant leurs agendas religieux, continuent de contrôler les routes de trafic pour assurer leur approvisionnement en denrées et armements ainsi que leurs survies. Les affrontements idéologiques ont pour corollaires aujourd’hui les luttes pour le contrôle des trafics ainsi que le relève le rapport du secrétaire général des nations-Unies (S/2020/476) « L’accroissement de l’insécurité́ au Mali et dans la région du Sahel demeure très préoccupant, des groupes terroristes allies à Al-Qaida et à l’Etat islamique se disputant le contrôle des zones pour exercer leur influence ». En effet, le recrutement des combattants et leur prise en charge inclut une dimension à la fois spirituelle, compte tenu des concurrences entre les différentes tendances, et matérielle notamment la nourriture et l’armement. L’interférence entre ces enjeux explique les attaques répétées contre l’armée malienne et les forces étrangères tout en relativisant la lecture exclusivement religieuse du conflit.
Le fait remarquable dans l’aggravation de la situation sécuritaire résulte de l’absence de toute perspective de dialogue ou de règlement pacifique quelconque avec les groupes armés d’obédience religieuse qui sévissent dans le septentrion du Mali. Les tentatives de contact établi par le Haut Conseil Islamique du Mali sous le leadership de l’imam Dicko en 2012 n’ont pas prospéré à cause de la faiblesse de la vision globale de l’Etat malien mais aussi et surtout du fait des partenaires internationaux comme la France et les Etats-Unis. Ceux-ci ont exclu toute négociation avec les groupes djihadistes, les plus importants, comme An sar Dine de Iyad Ag Ghali qui est devenu par la suite le JNIM (Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans) et l’EIGS (Etat Islamique au Grand Sahara).
Cependant au centre du pays, il est aujourd’hui difficile de distinguer ce qui relève du banditisme, des vendettas locales et de l’action des groupes radicaux (International Crisis Group op. cité). La situation est complexe et différente de celle du nord sauf à préciser que des djihadistes font partie des instigateurs du conflit. Cependant si l’enjeu des conflits au nord est un contrôle de zone d’influence, il reste par contre sui generis au centre avec un conflit intercommunautaire entre les peuls et les dogons. Ce conflit qui résulte, à notre sens, des considérations économiques (contrôle de terres, circulation du bétail…etc) généralement résolu par des conciliabules entre les leaders des différentes communautés étonne les Maliens par son ampleur et sa durée ; d’où les interrogations sur sa nature et ses commanditaires. Cependant, il est loisible de constater que des milices dozos (Chasseurs) ont eu des relations équivoques avec l’Etat malien pour assurer la sécurité de l’élection présidentielle en 2018 et par la suite ces milices ont été tolérées et acceptées pour pallier la défaillance de l’Etat en termes de sécurité militaire et publique. Aujourd’hui la situation échappe complètement à l’Etat qui a déserté les zones de conflits sous la pression des djihadistes contrôlés par Amadou Kouffa[21]. Les perspectives de dialogue pour juguler cette crise au centre s’amenuisent à cause du manque de vision de l’Etat et de la crise de confiance entre les leaders des différents mouvements communautaires.
Les conséquences de ces conflits sont désastreuses comme le relève le rapport d’Afrobaromètre n° 190 sur le Mali en 2018 :
« Les résultats les plus récents des enquêtes Afrobaromètre donnent un aperçu des impacts directs et des séquelles de cette crise : abandon de maisons, destruction des affaires, perte d’emploi ou changement d’occupation, intimidations ou menaces, témoignages de blessures et de tueries. Toutes ces exactions ont majoritairement affecté les populations des trois régions du Nord, mais toutes ont aussi été vécues par des proportions importantes à travers le pays ».
Le rapport 2019 sur les droits de l’homme de l’Ambassade des Etats-Unis au Mali épingle aussi bien les milices ethniques (au centre), les mouvements armés (au nord) que les Forces armées maliennes d’avoir commis de graves violations des droits de l’homme, notamment des exécutions sommaires, des actes de torture et le recrutement et l’emploi d’enfants soldats (www.ml.usembassy.gov). De même le rapport de Amnesty International sur le Mali fait un décompte macabre des civils tués par les milices et les groupes armés. Ainsi 450 civils (dont plus de 150 enfants) ont été tués rien qu’en 2019. Le rapport pointe aussi des exécutions extrajudiciaires du fait de l’armée malienne et des cas de tortures et de mauvais traitement (amnesty.org).
Toutes ces atteintes aux droits de l’homme contribuent à l’aggravation de la précarité des populations déplacées déjà dévastées matériellement et sur le plan psychologique. En outre, le désespoir de ne plus retrouver son lieu de résidence et les déchirures créées renforcent la haine et la hantise chez les populations avec de grandes difficultés pour recoudre le tissu social.
Une réponse nationale bancale : l’Accord pour la paix issu du processus d’Alger[22]
Accepté à mots couverts aussi bien par l’Etat malien que les mouvements armés[23], l’Accord issu du processus d’Alger est devenu le cordon ombilical d’un processus de construction de la paix auquel on s’accroche sans vraiment y croire. Il faut rappeler que cet accord a été paraphé et signé par le gouvernement sans un débat à l’Assemblée nationale. Par la suite l’Assemblée nationale n’a jamais été formellement impliquée dans le suivi de sa mise en œuvre. Dès sa signature, les différentes catégories socio professionnelles et la société civile ainsi que l’opposition ont rejeté l’Accord au motif qu’il prépare la partition du Mali, tandis qu’en même temps le principal mouvement touareg, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), rechignait à l’accepter au motif qu’il ne consacre ni l’indépendance ni l’autonomie.
Les résistances des deux côtés se sont maintenues avec comme incidence la stagnation de l’Accord comme le rapporte International Crisis Group[24]:
« Selon le Centre Carter, investi fin 2017 du rôle d’observateur indépendant au Mali, le processus de mise en œuvre de l’accord ne progresse quasiment pas : 22 pour cent des dispositions de l’accord étaient mis en œuvre en 2017, contre 23 pour cent trois ans après. Aucun des cinq piliers sur lesquels se fonde l’accord n’a été appliqué de façon satisfaisante ».
De même le rapport des Nations de juin 2020 (S/2020/476) révèle « Malgré les progrès accomplis en ce qui concerne les élections, l’équipe a constaté́ des désaccords persistants entre les parties signataires, qui empêchaient la mise en œuvre rapide de certains éléments essentiels de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, en particulier le redéploiement des éléments restants des forces armées reconstituées à Kidal ».
En plus de la difficulté d’application de l’accord, on peut s’interroger aussi sur son efficacité compte tenu du fait que les forces les plus importantes qui sont présentes sur le terrain aujourd’hui ne sont pas signataires et donc, ne sont aucunement liés par ledit accord. En effet, les groupes djihadistes, conformément à leurs agendas consistant à instaurer un khalifat ou une république islamique suivant les promoteurs, n’ont aucune considération pour l’Accord et pis, comptent tenu de leur influence sur le terrain se servent des alliés, par ailleurs signataires (cas de la CMA), pour le torpiller.
Nicolas Normand, Ancien Ambassadeur de France au Mali, dans une tribune publiée par Le Monde (juillet 2020) disait que « L’accord d’Alger entre Bamako et les rebelles armés a créé plus de problèmes qu’il n’en a réglés » et il appelle à sa révision. Cette vision est celle des Maliens qui ont demandé durant le Dialogue National Inclusif tenu en décembre 2019 de réviser l’accord issu du processus d’Alger. Le constat est que cet accord en l’état n’a pas pu apporter la paix et qu’il est important, en tenant compte de l’évolution des acteurs et du contexte, d’explorer d’autres perspectives soutenues par des réformes réalistes pour s’accorder sur des voies crédibles de construction de la paix.
Les acteurs et leurs rapports aux institutions.
Evoluant dans une fragmentation politique avancée avec plus de 180 partis politiques dont seulement 15 sont représentés à l’Assemblée nationale, le système politique malien est caractérisé par une crise de confiance et des relations clientélistes avec les populations. Il en résulte un faible ancrage social des institutions politiques et l’émergence concomitante d’autres acteurs plus proches des populations.
Les acteurs politiques maliens : une crise de confiance sur fond de concurrence d’égo.
L’avènement de la démocratie au Mali s’est opéré dans des conditions difficiles avec des acteurs politiques fermement engagés contre le système de parti unique sur fond de « revendications du pluralisme démocratique et des revendications catégorielles » (Aly Cissé 2006:16) . En effet, si les énergies avaient été fédérées pour le combat du pluralisme politique, par contre peu de perspectives politiques était déjà posé déjà pour la suite de l’évolution politique. Cette faiblesse de vision des acteurs politiques pour la construction démocratique s’est manifestée très tôt avec les divergences sur la mise en place du Conseil de Transition pour le Salut du Peuple (CTSP). La cohésion qui a prévalu entre les acteurs de la lutte pour la démocratie s’est vite effritée sous l’influence des ambitions et des positionnements politiques autour du pouvoir et du cercle de pouvoir, dans le but de bénéficier des dividendes de la victoire[25].
Les premières dissensions qui ont été constatées pendant la transition notamment entre les militaires et les acteurs civils ont cristallisé le débat politique et élevé un mur de méfiance entre ces deux catégories d’acteurs. Par la suite, elles évolueront sous différentes formes après la transition. Chaque catégorie socio professionnelle, chaque leader revendiquait la paternité de la victoire contre le régime ; ce qui suscitera une certaine concurrence entre les différents acteurs.
Ces dissensions ont persisté pendant longtemps avant de se cristalliser au moment des élections autour de contestations et de suspicions de fraudes (1997, 2002, 2004, 20013, 2018 et 2020). Ainsi, on relève une sorte d’accord entre les acteurs politiques sur le fait que les élections ne sont pas transparentes parce que tout simplement chaque parti peut pratiquer la fraude. La conséquence de ces pratiques est la faible légitimité des élus mais surtout l’élévation du mur de méfiance entre les acteurs politiques sur toutes les questions nationales qui malheureusement ne constituent ni la priorité des programmes des partis ni la raison du choix des populations.
Dans ce sillage, la question de personne devient prégnante, découlant du mode d’acquisition du pouvoir fondamentalement basé sur la relation entre les populations et un individu et non la considération d’un projet de société ou d’un programme électoral. Les Maliens seraient plutôt à la recherche d’un homme providentiel. Cette situation se trouve exacerbée par le développement patrimonialise des partis politiques qui s’identifient souvent à leur leader. La relation est telle que la réussite ou l’échec de l’un rejaillit forcément sur l’autre. Cette orientation patrimoniale rejaillit forcément sur l’organisation et le fonctionnement des partis au point d’engendrer les nombreuses scissions que l’on connaît.
Ces pratiques ont décrédibilisé les acteurs politiques et éloigné les populations du fait politique avec comme conséquence le développement des relations clientélistes, l’affirmation des personnalités au détriment des idées d’où le renforcement des combats « de personnes » au lieu des « combats d’idées » et l’aggravation de la crise de confiance.
Les pratiques corruptives et le dévoiement des principes démocratiques
Selon l’ancien premier ministre Moussa Mara[26]
« … le fléau de la corruption, qui tend à se banaliser, constitue encore aujourd’hui, sans doute plus qu’hier, la plus grande menace contre l’existence de notre pays, contre l’Etat malien et contre la société malienne. Plus que le conflit au Nord dont elle a été l’un des catalyseurs, plus que l’insécurité, la corruption est le problème principal du Mali et mine profondément les soubassements de notre vivre ensemble…».
Dans la même veine le rapport de la conférence d’entente nationale[27] qualifie le phénomène de la corruption comme une « incrustation endémique dans le fonctionnement quotidien de l’administration publique… ». La question est publiquement dénoncée même par des voix d’ordinaires discrètes, ainsi que l’a affirmé l’ambassadeur Allemand M Dietrich Becker, agacé par le niveau de la corruption au Mali, en ces termes « Je n’encouragerais pas un Allemand à investir au Mali, vu l’état de corruption de la justice »[28].
Phénomène devenu presque banal pour les populations, certainement par dépit, les rapports du vérificateur général depuis 2004 ont levé le voile sur un secret de polichinelle en mettant à la disposition des populations les irrégularités et détournements observés dans la gestion financière des services publics et des fonds publics. L’histoire de l’achat de l’avion présidentiel (mai 2014) et celle de la surfacturation de l’achat des équipements militaires (septembre 2014)[29] ont fini par convaincre plus d’un que la question de la corruption gangrène le système administratif malien à des niveaux insoupçonnés. Les élites politiques ont depuis une vingtaine d’années fait de la prévarication le mode de gouvernance le plus répandu (Laurent Bigot, Le Monde 16/08/17)[30] pour toutes questions politiques ou de gouvernance, au détriment de la légitimité et de la légalité. Le modus operandi passait par les revendications syndicales, les mouvements de contestation ou les campagnes de réconciliation politique, toutes choses qui conduisaient à des réformes coûteuses et souvent clientélistes. Cette manière de régler les situations au coup par coup constitue un obstacle à la définition d’une vision structurée et cohérente dans la durée pour apporter des solutions aux préoccupations des populations.
La systématisation de ce phénomène de clientélisme à tous les échelons du pouvoir (candidature aux élections, organisation des élections, gestion des résultats du scrutin, gestion des affaires publiques) enlève tout sens de l’Etat au comportement de ses dépositaires qui deviennent redevables non pas aux citoyens conformément aux principes de la démocratie mais à des « parrains » (ceux qui les désignent à des postes de responsabilité) en ce qui concerne les cadres de l’administration et au pouvoir de l’argent en ce qui concerne les élus. Pour ces derniers, un parlementaire[31] nous a confié « …le député paye son siège et il n’est redevable à personne… ».
Hormis la dilapidation des ressources, un manque à gagner effroyable pour des populations qui manquent de tout, la corruption induit une profonde défiance vis-à-vis des institutions dont les principaux dépositaires souffrent du manque de légitimité du fait des nominations népotistes ou issus d’élections frauduleuses. La crise de confiance entre élus et populations trouve aussi son explication dans l’adoption des pratiques corruptives par les candidats et les partis pour remporter les élections. En la matière, la période des élections coïncident avec des pratiques malheureuses qui relèguent au second plan les principes et valeurs programmatiques sur lesquels les populations peuvent évaluer les candidats pour décider. Les propos du Président de la Cour constitutionnelle, Salif KANOUTE, dépité par cette situation, lors de la proclamation des résultats des élections législatives de 2007 sont assez évocateurs :
« …. A travers la lecture de l’ensemble des requêtes, vous avez vu la physionomie matérielle et morale de l’élection chez nous. Elle traduit toutes les formes de fraudes et, par-dessus tout, je ne comprends pas que ceux qui sont chargés, au niveau des bureaux de vote, de travailler dans l’intérêt national, acceptent de procéder à des falsifications de chiffres, de procéder à des inversions de chiffres ».
Ces propos restent d’actualité si l’on se réfère à la déclaration du chef de file de l’opposition M Soumaila CISSE, à l’occasion d’un point de presse après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle d’août 2018, qui disait[32]: « Je rejette catégoriquement et sans équivoque les résultats proclamés par le ministère de l’Administration territoriale. Je refuse et dénonce ces résultats. Ils ne sont que supercherie, mascarade, parodie et mensonges. Ils ne sont que le fruit pourri d’une fraude honteuse ».
La gravité du phénomène de la corruption et du népotisme ont atteint leurs propres instigateurs qui, une fois investis des responsabilités ne sont pas assez courageux pour prendre des décisions politiques importantes parce que sceptiques du retour des populations mais surtout incapables de gérer les conséquences de telles décisions. Ce qui met le pays dans une situation de non-gouvernance avec la pratique d’approches démagogiques sous forme de consultations interminables par les représentants de l’état en espérant avoir le soutien d’autres leaders comme les religieux qui jouissent de plus de légitimité. Laurent Bigot l’explique ainsi :
« La frontière entre l’Etat et le crime organisé s’est estompée progressivement, laissant les populations livrées à leur sort. L’islam radical s’est répandu comme un modèle alternatif à la démocratie, laquelle est perçue par une part grandissante de la population comme une escroquerie idéologique visant à maintenir en place des kleptocraties. Le réarmement moral passe désormais par l’islam dans sa version la plus rigoriste (et étrangère aux pratiques confrériques du Sahel), soutenu par une classe politique qui a utilisé la religion pour faire du clientélisme ».
L’influence grandissante de l’islam en politique
De tradition malékite (fondé sur l’enseignement de Malik Ibn Anas) pour une grande majorité de maliens, la pratique d’un islam[33] modéré a toujours coexisté de manière pacifique et en bonne intelligence avec les différents régimes politiques qui ont su côtoyer les leaders religieux sans véritablement leur ouvrir l’espace politique[34]. Ces différents régimes les ont tenus à distance en réduisant leurs missions à la gestion du culte et à l’assurance des bons offices en cas de malentendus ou de troubles. Ce postulat est consacré d’un point de vue normatif par la constitution[35] qui consacre, d’une part, le caractère laïc de l’Etat et la charte des partis qui interdit, d’autre part, les partis politiques[36] à caractère religieux. Cette coexistence entre les politiques et les leaders musulmans s’est maintenue jusqu’en 2012, même si de manière diffuse les leaders religieux ont été toujours discrètement approchés par les politiques pour demander leur soutien en matière électorale ainsi que le confirme Afrobaromètre (Dépêche N° 211). « Presque trois-quarts (72%) des Maliens affirment que les politiciens se servent de l’Islam pour régner ».
La transformation de la relation et l’immixtion directe des leaders musulmans dans la sphère politique s’est opérée à la suite du coup d’Etat de 2012 à l’occasion duquel, un leader musulman, Bouyé Haidara[37] a joué un rôle important dans la libération des leaders politiques arrêtés par les putschistes et l’acceptation du retour à l’ordre constitutionnel. Dans ces périodes troubles « La faillite socioéconomique, politique, morale et sécuritaire de l’Etat confère au religieux un poids considérable dans la sphère publique et politique » (International Crisis Group op. p14). Bouyé Haidara est apparu comme une autorité morale capable de rassembler différents acteurs. Par la suite, à la demande du candidat IBK, il s’est investi financièrement et politiquement en mobilisant le Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) dirigé par Mahmoud Dicko[38], pour lui assurer la victoire à l’élection présidentielle de 2013.
Devenant ainsi faiseurs de roi, Mahmoud Dicko et ses amis sous la férule du Chérif de Nioro se voient ainsi ouvrir un boulevard conduisant directement aux sphères du pouvoir avec l’ambition manifeste de s’approprier leurs prérogatives. En effet, convaincus de leur capacité de mobilisation électorale, les leaders religieux ont réussi à s’emparer du centre du pouvoir en imposant la nomination ou la révocation des responsables politiques et administratifs, ainsi que l’illustre la grande mobilisation du 05 avril 2019 qui a précipité le départ de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maiga. Les différentes mobilisations qui ont suivi avec la demande de démission du président de la République ont sérieusement impacté la faible légitimité de ce dernier aggravant la crise politique avec des incertitudes et des interrogations sur les perspectives réelles d’apaisement politique.
L’analyse du relèvement du niveau d’importance des religieux dans la sphère politique et la transformation de leurs relations avec le Pouvoir symbolise principalement, le discrédit ou la disqualification qui frappe les acteurs politiques dans leur aptitude à porter les préoccupations des populations et à leurs trouver des solutions. Cette incapacité des politiques doublée des pratiques corruptives et la prédation sur les ressources de l’Etat ont créé un scepticisme à l’égard des acteurs politiques et ouvert la voie aux acteurs religieux qui jouissent, compte tenu de leurs statuts, d’une confiance ancrée dans la foi.
Il importe de préciser qu’aujourd’hui le tandem des deux grands leaders religieux (l’Imam et le Shérif) qui ont mené la contestation contre le pouvoir politique fédèrent les maliens autour d’eux non pas sur une base idéologique mais sur des considérations catégorielles, en rapport avec la mauvaise gouvernance et l’ambition d’avoir un changement de régime politique pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Sinon au fond, sur le plan d’obédience religieux, ce qui sépare le Shérif de Nioro et Mahmoud Dicko est plus grand que ce qui les unit. Ce postulat nous permet de relativiser la menace d’un agenda d’Etat islamique ou la transformation de l’Etat malien en un Kalifa. Cependant, il faut noter la progression importante de la tendance salafiste de l’islam avec presque 46% (Afrobaromètre) de maliens qui pensent que le Mali devrait appliquer la Charia : une imbrication du fait politique et du fait religieux. Cette tendance de l’islam qui a existé au Mali depuis des décennies a progressivement pris de l’ampleur grâce à une démarche d’assistanat aux populations démunies à l’image des Frères Musulmans en Egypte sur la base de la faiblesse de l’Etat à apporter aux populations les services de base. Elle continue à tracer son sillon d’où l’importance d’en tenir compte dans les prospective et recherche de pistes de sortie de crise et les perspectives de la consolidation de la démocratie.
[1] Sy, Ousmane, Dakouo, Ambroise et Traore, Kadari 2016. Dialogue national au Mali : Leçons de la Conférence Nationale de 1991 pour le processus de sortie de crise. Berlin: Berghof Foundation. Aussi disponible en anglais. Sur internet: www.berghof-foundation.org/publications/
[2]En effet, suivant l’article 118 de la constitution en vigueur : « L’initiative de la révision de la constitution appartient concurremment au président de la République et aux députés… ». On constate que la disposition de cet article est fréquemment utilisé dans les constitutions africaines quant il s’agit de l’initiative des révisions. Cependant ce qui fait la particularité au Mali se trouve dans les dispositions de l’alinéa 2 qui précise : « le projet ou la proposition de révision doit être votée par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers de ses membres. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvé par référendum »
[3]D’abord en 2001 par le Président Konaré dont le projet de révision a été interrompu par la Cour constitutionnelle après constatation d’un vice de procédure qui relevait que la loi portant modification de la Constitution telle que votée par l’Assemblée nationale n’était pas celle publiée dans le Journal Officiel. Ensuite la tentative initiée par le Président Amadou Toumani TOURE a franchi le cap de l’Assemblée nationale et le contrôle de la Cour Constitutionnelle mais s’est heurté à la désapprobation citoyenne. La troisième tentative a été celle initiée par le Président Ibrahim Boubacar KEITA qui comme la deuxième tentative a franchi le cap de l’Assemblée nationale mais suspendue par son initiateur sous la pression de la rue.
[4]A titre d’exemples, on peut relever les révisions constitutionnelles dans certains pays qui ont adopté une procédure de révision sans référendum: Janvier 1997 Burkina Faso; mars 1998 Sénégal; mars 1998 Madagascar; Décembre 1998 Namibie; Novembre 2001 Guinée; Mai 2002 Tunisie; Juillet 2003 Gabon; Mai 2004 Tchad; Février 2005 Togo.
[5] Par le fait qu’il dispose d’énormes pouvoir qu’il exerce seul et met en oeuvre sans filtre: le Président de la République nomme le premier-ministre et les ministres sur proposition de ce dernier; Il nomme certains membres d’institutions comme la Cour Suprême et la Cour constitutionnelle ; il est le chef suprême des armées ; préside le Conseil supérieur de la magistrature et il peut dissoudre l’Assemblée nationale.
[6]Interrogé par nos soins en 2014.
[7] Source: bureau des archives de l’assemblée nationale
[8] La loi portant code de la famille avait été promulguée et publiée par le président de la république. Une loi progressiste qui accordait les mêmes avantages et droits à l’homme et à la femme en matière successorale. Cette loi a été jugée « scélérate et satanique » par les organisations musulmanes qui ont organisé des mobilisations gigantesques pour demander son retrait.
[9] Banque mondiale, avril 2020, www.worldbank.com
[10]Malheureusement ces cercles sont soit déterminés sur le plan normatif tant pour leur nature que leur fonctionnement en rapport avec les pouvoirs constitutionnels de nomination et de révocation du président de la république soit de manière naturelle, la famille.
[11] Nominations du PM et aux hautes fonctions civiles et militaires
[12] Certes, il s’agit de la réunification du pays y compris Kidal qui échappe à l’autorité de l’Etat malien. Cependant le fait que l’unicité étatique n’ayant jamais fait l’objet de débat, les maliens comprennent mal une autre forme d’état dans les circonstances que traversent le pays.
[13] Le régime socialiste dirigé par le président Modibo KEITA
[14] Premier coup d’Etat au Mali avec l’arrestation et la déportation du président Keita à Kidal ou il mourut en mai 1977
[15] Le CMLN Comité Militaire pour la Libération Nationale dirigé par le président Moussa TRAORE qui a dirigé le Mali jusqu’en 1991 (vingt trois ans)
[16] On considère les périodes suivantes:en 1963-1964, 1990-1996, 2006-2009 et 2012
[17] Expression galvaudée avec désinvolture par des citoyens déçus qui avaient surestimés la capacité de l’armée malienne face au péril djihadistes
[18]L’Accord pour la paix qui a été signé sous la médiation algérienne avec le soutien de la communauté internationale en avril juin 2015
[19] Pour approfondir les recherches sur la question voir: Jean Sebastian Lecocq 2002 That desert is our country: Tuareg rebellions and competing nationalisms in contemporary Mali (1946-1996), Universiteit van Amsterdam, 2002. Disponible en ligne https://pure.uva.nl/ws/files 3553390/21895_UBA002000855_10.pdfBernard. Aussi: Grégory Chauzal and Thibault van Damme 2015, “The Roots of Mali’s Conflict: Moving beyond the 2012 Crisis,” Netherlands Institute of International Relations Clingendael, March 2015, p. 31, available at www.clingendael.nl/sites/default/files/The_roots_of_Malis_conflict.pdf .
[20] « Narcotrafic, violence et politique au Nord du Mali » Rapport Afrique N°267 | 13 décembre 2018
[21] Amadou Kouffa est le chef de la Katiba Macina. C’est un salafiste lié à Iyad Ag Ghali et partisan d’une république islamique
[22] Il représente l’instrument politique pour le retour de la paix car ayant permis aux différents mouvements armés et l’Etat malien de s’engager sur des principes et surtout sur des questions importantes qui s’analysent en des réformes politique et sécuritaire (Institutionnalisation d’une deuxième chambre, renforcement des compétences et capacités des collectivités territoriales au niveau régions, démobilisation et réintégration des combattants, armée reconstituée etc.) qui impliqueront une réforme constitutionnelle.
[23]Le texte de l’Accord a été imposé par la médiation algérienne après plusieurs mois de discussions selon des acteurs participants aux négociations, interrogé par nos soins en février 2016.
[24] Cité par Mathieu Pellerin ICG « Accord d’Alger cinq après: un calme précaire dont il ne faut pas se satisfaire» juin 2020
[25] La multiplicité des catégories socio professionnelles représentées dans le Conseil de Transition pour le Salut du Peuple (CTSP) a symbolisé l’ardent désir de celles-ci d’être dans la quadrature du pouvoir plutôt que de se poser en acteurs de soutien au processus. En effet, la course au pouvoir a commencé avec la composition des membres de l’organe chargé de piloter la transition C’est l’analyse qu’on peut faire de cette situation. Les intrigues et les suspicions autour du pouvoir et la transmission du pouvoir ont oblitéré les perspectives d’émergence d’un projet de construction nationale avec des fondamentaux caractéristiques de la gouvernance démocratique. Celle-ci reste toujours articulée autour de réponses aux questions suivantes : de quelle société démocratique le pays avait besoin ? De quelle politique de citoyenneté ? Quelle mesure d’accompagnement citoyen pour l’appropriation des principes et règles démocratiques? Ces questions importantes ont été moins discutées à la Conférence Nationale au détriment de l’élaboration d’une ingénierie institutionnelle, certes importante, en rapport avec les conditions de candidature, les modes de scrutin de l’Assemblée nationale, en somme la définition des règles de jeu sur comment acquérir et gérer le pouvoir. L’ambition de conquérir et a tellement dominé chez les acteurs politiques que ceux-ci n’ont pas su transformer leurs relations, leurs alliances circonstancielles ayant permis la chute du régime de parti unique, en un tremplin pour soutenir un processus naissant qui avait besoin d’ouverture et de partage afin de poser les bases d’une démocratie apaisée.
[26] www.moussamara.com
[27] Du 27 mars au 02 avril 2017
[28] Publié dans le quotidien l’indépendant du 20 juillet 2020
[29] Suite à un rapport de vérification du BVG et de la Cour suprême
[30] Laurent Bigot est un ancien diplomate français qui a servi au Mali et il est devenu par la suite un consultant indépendant.
[31] Interrogé par nos soins
[32] voir le quotidien 20 minutes du 17 août 2018
[33] Pour approfondir les connaissances sur la pratique de l’Islam voir : International Crisis Group « Islam et politique au Mali : entre réalité et fiction » Rapport Afrique N°249, 18 juillet 2017.
[34] Tentative désespérée en 1995 sous IBK, en tant que Premier Ministre, de créer un parti politique d’obédience religieuse
[35]Art 28 al.2 : Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale, de la démocratie, de l’intégrité du territoire, de l’unité nationale et la laïcité de l’Etat.
[36]Art 45 al 3 : Aucun parti ne peut se constituer et s’organiser sur une base ethnique, religieuse, linguistique, régionaliste, sexiste ou professionnelle.
[37] Bouyé haidara communément appelée « Cherif de Nioro » (lieu de sa résidence). La légitimité du chérif de Nioro repose sur sa proclamée ascendance chérifienne,. Il serait le dernier fils de Cheikh Hamallah, fondateur de la branche hamalliste de la Tijaniya,. D’âge très avancé. Il jouit aussi d’un grand respect auprès de la plateforme qui gère le culte musulman au Mali (le Haut Conseil Islamique du Mali HCIM) et qui était dirigé à l’époque par Mahmoud Dicko (Autorité morale du M5 RFP).
[38] Iman et parrain de la CMAS (Coordination des Mouvements, Associations et Supporters de Mahmoud Dicko), ll est aujourd’hui l’une des personnalités les plus influentes au Mali. Leader politico-religieux il est de tendance rigoriste de l’Islam contrairement à une majorité de malien qui pratique un islam tolérant. Il a su mobiliser les maliens sur un agenda religieux surtout en se présentant comme un défenseur crédible des couches défavorisées , victimes de la corruption étatique et de l’injustice sociale.