Jeunesse et cyberactivisme en Afrique: quel impact sur la démocratie ?

La démocratie est un concept qui s’est souvent développé comme étant le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Le terme démocratie est apparu dans l’antiquité, plus précisément à Athènes, avant que ce concept ne perdure au fil des siècles. Mais aujourd’hui, avec la mondialisation caractérisée par un monde interconnecté et surtout la prolifération des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication), la jeune génération a tendance à mettre un lien intrinsèque entre la démocratie et les NTIC.

C’est dans cette perspective que le Goree Institute : Centre pour le développement et la Culture en Afrique s’intéresse à cette question qui animera le monde dans les prochaines décennies. Car étudier la démocratie sans prendre en compte l’importance des NTIC serait dépourvu de tout sens étant donné que ces nouvelles technologies peuvent faire basculer, dans certaines circonstances, des élections, des injustices sociales et la perception de la population.

Dès lors, pour mieux comprendre les liens entre la démocratie et l’utilisation des NTIC par les jeunes, il conviendra de se poser les questions suivantes :

L’impact du cyberactivisme

Quel est l’impact du cyberactivisme sur la démocratie ?  Quels sont les bouleversements que l’ère digitale a apportés à l’engagement politique en rapport avec l’âge sur la démocratie ? Quelle est la conclusion générale qu’on pourrait faire du lien entre les jeunes, les NTIC et l’engagement politique en Afrique ?

Le cyberactivisme se définit souvent comme un moyen d’alerter l’opinion publique via les réseaux sociaux sur les questions liées à la démocratie, aux droits humains et sur certains faits sociaux. A cet effet, Pippa Norris postulait la thèse de l’épuisement de formes traditionnelles de participation politique et l’émergence de nouvelles formes d’activisme. Sa thèse accordait une attention particulière à la communication digitale adossée à des technologies comme internet et la téléphonie mobile. Le mouvement « Y en a marre » du 23 juin au Sénégal et les manifestations de la rue portées par le Balai Citoyen au Burkina Faso semblent accréditer la thèse de Norris dans la mesure où la mobilisation via les réseaux sociaux a accéléré le processus démocratique dans ces deux pays.

La communication, à travers les réseaux, a un impact très significatif pour faire alerter l’opinion publique sur certaines questions. Pour Luca Raffini, « le désengagement des circuits politiques traditionnels va donc de pair avec un développement ambigu de modes de mobilisation innovants, non conventionnels et autonomes, pluriels et hétérogènes, tels que les mouvements d’action citoyenne, les associations de quartier, les groupes qui militent pour une unique cause, les attitudes de protestation. Ces nouvelles formes de participation politique recouvrent les réseaux sociaux, le consumérisme politique et la participation électronique ».

Les plateformes comme Facebook et Twitter regroupent des milliards d’utilisateurs dans le monde. A cet effet, les évènements du 23 juin au Sénégal avec le mouvement « Y en a marre » en est une parfaite illustration. En quelques heures, des milliers de sénégalais se sont regroupés sur les plateformes numériques afin d’exprimer leur point de vue sur la situation que certains estiment « injuste » du pays, permettant par la suite, le renforcement de l’esprit démocratique.

L’activisme des jeunes à travers les réseaux sociaux, favoriserait-il l’intérêt de la population pour la politique ?

A cette question, il faudrait prendre en compte le fait que le Sénégal est l’un des pays les plus connectés de la sous-région avec une population active jeune. Sur un pourcentage de 100 personnes sondées, les ¾ s’intéressent à la politique. En restreignant l’étude vers les 18-25 ans, le constat est que la majorité ne s’intéresse point à la politique car ils ont d’autres activités qu’ils exercent à travers les réseaux.

En élargissant l’étude vers les 26-35 ans, la relation devient significative. En effet, sur les 100 personnes interrogées, les ¾ s’intéressent à la politique renforçant ainsi leur cyberactivisme par divers moyens à travers ces outils informatiques.

La remarque faite avec cette étude est que l’engagement politique varie à travers l’âge. Les plus jeunes avec une tranche d’âge entre 18-25 ans s’intéressent plus au divertissement et à l’évasion à travers les réseaux. Ceci dit, les 26-35 ans s’intéressent plus à la vie active à travers les réseaux.

En rajoutant le niveau d’éducation dans l’étude, la remarque faite est que les plus instruits s’intéressent aux affaires publiques car pour comprendre ce qui se passe dans le pays, le fait de pouvoir lire et écrire participe au renforcement de l’esprit critique de la personne. En prenant en compte le contexte sénégalais, le pourcentage des personnes instruites est variable car l’accès à l’éducation est un des maux de nos pays africains. Donc en rajoutant ce constat, on voit une nette réduction de l’association des NTICS avec le pouvoir publique.  

Quels sont les bouleversements que l’ère digitale a apportés à l’engagement politique en rapport avec l’âge sur la démocratie ?

Chaque pays fixe ses propres conditions pour qu’une personne puisse s’engager politiquement. La maturité, l’expérience et le pouvoir de discernement sont essentiels pour qu’une personne puisse voter en toute sincérité pour élire son représentant. C’est pourquoi l’âge est l’un des critères les plus retenus pour voter et celui-ci varie selon les pays.

« Mais qu’est-ce que l’âge en politique », disait Anne Muxel, rappelant un vieux postulat « Contestataire à 20 ans, conservateur à 60 ans »

 Le monde d’aujourd’hui est régi par une démocratie plus expressive permettant aux jeunes d’entrer rapidement dans le clivage politique, leur donnant un point de vue idéologique qui, par la suite, va les orienter vers une pensée politique une fois l’âge légal atteint.

S’interrogeant sur la signification d’être jeune à l’ère digitale, Green souligne que les jeunes sont au niveau de l’épicentre de la révolution de l’information dans la mesure où ils sont naturellement les plus portés vers la domestication des NTICS.

Les acteurs politiques ont compris la force que les réseaux sociaux ont de nos jours. Bon nombre d’entre eux expriment leur militantisme et la promotion de leurs partis politiques à travers la digitalisation de leurs pensées, faisant adhérer des milliers de jeunes, malgré le fait qu’un pourcentage de ceux-ci n’a l’âge légal de voter. La force que ces jeunes ont, malgré le fait qu’ils ne puissent voter, n’est pas négligeable car les outils de prolifération des informations qu’ils ont entre leurs mains sont puissants. Les SMS et les Tweets sont un moyen considérable de leur faire parvenir les informations.

La déduction faite de cet angle d’approche est que l’engagement politique des plus jeunes avec l’apparition de l’ère digitale est devenu intrinsèque.

En partant des données de l’enquête Afrobarometer, le croisement entre le soutien à la démocratie et l’usage des NTICS a montré un lien existant, mais relativement faible entre les deux variables au sein des 1200 personnes enquêtées et représentatives de la population des 18 ans et plus. En effet, la relation est seulement significative au seuil de 10 %. Une analyse des distributions conditionnelles, illustrées par certaines données montre que :

 – Sur 100 personnes qui utilisent les NTICS, les 90 préfèrent la démocratie à tout autre mode de gouvernement ;

– Sur 100 personnes qui n’utilisent pas les NTICS, les 86 préfèrent la démocratie à tout autre mode de gouvernement. Par contre, si nous restreignons l’étude aux jeunes, c’est-à-dire aux personnes dont l’âge est compris entre 18 et 35 ans, la relation entre l’usage des NTICS et le soutien à la démocratie n’est pas significative. Elle ne l’est pas non plus si on considère les plus jeunes d’entre eux dont l’âge est compris entre 18 et 25 ans. Par contre, si l’on considère les jeunes âgés entre 26 et 35 ans, la relation devient significative au seuil de 10 %. La probabilité critique est de 0,06.

Quand on s’intéresse aux distributions conditionnelles, on remarque que sur 100 jeunes d’âge compris entre 26 et 35 ans et utilisant les NTICS, les 93 soutiennent que le régime démocratique est préférable aux autres régimes contre 87 chez ceux qui n’utilisent pas les NTICS.

Conclusion :

L’apparition des NTICS sur notre quotidien a considérablement façonné notre façon de fonctionner et de voir le monde. Son lien avec la démocratie est intrinsèque dans le sens où il a largement favorisé la diffusion des informations, participant ainsi à une réduction des inégalités et par conséquent, favorisant la bonne gouvernance dans certains pays africains.

La jeunesse africaine constitue une large frange de la population active et celle-ci se doit d’être les leaders de demain. Le débat qui se pose aujourd’hui est la limite des NTICS dans le sens où elles pourraient être un instrument de manipulation de la masse et pousser certains groupes à des péripéties dangereuses.

 Cependant, entre un « cyberberactivisme » (Prolux, 2015) se manifestant sous la forme d’un simple intérêt aux affaires publiques et un soutien à la démocratie sur la toile et un engagement effectif sur le terrain, il y a un fossé qui interpelle les conditions de passage entre ces deux types d’engagement.

Source: « L’Etat de la démocratie et des droits de l’homme en Afrique de l’Ouest », Gorée Institute 2020