Extrémisme violent en Afrique de l’Ouest: Causes et facteurs multidimensionnels

Les causes de l’extrémisme violent sont parfois identiques dans certains pays et spécifiques dans d’autres. C’est du moins ce qui est ressorti des différentes analyses expertes lors de l’atelier sous-régional tenu en 2016 au Gorée Institute sur le thème: « Le radicalism religieux et les menaces sécuritaires en Afrique de l’Ouest: perspectives nationales et régionales ». A titre d’exemple, selon Dr Poussi Sawadogo, on peut noter, pour ce qui est du Burkina Faso, deux types de causes : les causes internes et les causes externes. Pour les causes internes Dr SAWADOGO a mis l’accent sur « la crise sociopolitique et la fragilité sécuritaire et le déficit de la gouvernance politique » qui trouvent leurs origines, entre autres, dans le départ mouvementé de l’ancien Président Blaise Compaoré. En effet, celui-ci avait installé le pays dans une instabilité politique chronique, avec la désorganisation de l’armée et des forces de sécurité.

Les autres causes évoquées dans cette étude basée sur des éléments factuels croisés avec une fine analyse du contexte sociopolitique des dix dernières années sont liées à des tentatives de coup d’État répétitives, l’absence d’un leadership politique « légitime » à la tète de l’État pour entreprendre des réformes. De même, l’environnement sécuritaire régional n’a pas été étranger avec les attentats dans les pays frontaliers, notamment le Mali, et la crise ivoirienne.

Ces événements qui ont fortement impacté le Burkina Faso, combinés à d’autres facteurs, ont fragilisé la situation sécuritaire du pays et permis l’émergence de groupes radicaux (comme les « pieds nus ») ou le contact des populations avec les groupes extrémistes environnants.

A côté de la crise sociopolitique qui a aussi affaibli le pays, il a été noté la manière dont « l’envoi de contingent à la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MUNISMA) » a surexposé le Burkina et en a fait une cible des groupes djihadistes. A l’image de tous les pays contributeurs de la MINUSMA, le Burkina Faso a été, ainsi, considéré comme un pays ennemi et naturellement exposé à des attaques et représailles. La dimension socio-économique de la radicalisation s’est, alors, imposée comme un dénominateur commun à tous les pays analysés.

En effet, le taux de chômage est très élevé au Burkina surtout au niveau des jeunes diplômés ou non. Cette pauvreté a été pour beaucoup dans les tentatives de rejoindre l’Europe en passant, le plus souvent, par la voie terrestre. Il a été noté que cette aventure concernant de plus en plus de jeunes ouest-africains les pousserait à rejoindre les groupes extrémistes menaçant, aujourd’hui la sécurité de tous les pays voisins.

Pour ce qui est de la Côte d’ivoire « on ne peut pas réellement parler de radicalisme religieux, même si ce n’est pas à exclure » selon le professeur Boa Thiémélé Ramsès. Le professeur Thiémélé préfère parler, plutôt, de tentatives de radicalisme religieux se matérialisant par l’implantation progressive d’idéologies exogènes.

En effet la crise ivoirienne de 2002 a mis à jour beaucoup de problème et d’intolérance qui, selon l’analyste ivoirien, « n’existait pas durant les 33 années de règne du Président Félix Houphouët Boigny dont les divergences ethniques et religieuses ». Comme dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, la pluralisation croissante du religieux interpelle les observateurs de la scène ivoirienne et, selon certains experts, augurent d’une montée du radicalisme religieux.

Cette pluralisation se caractérise par l’émergence de nouveaux groupes religieux, la démultiplication de l’offre religieuse à travers les églises de réveil et les courants évangélistes, l’éclatement des dénominations existantes et la fragmentation des acteurs. De ce fait, les signes d’émergence d’une radicalisation multiforme sont visibles dans ce pays même si elles ne sont pas encore très actives. Mais comme certains participants l’ont pointé du doigt, les risques d’affrontements entre extrémisme musulman et évangélisme conquérant sont bien réels sans que cela attire l’attention des autorités comme de de la communauté internationale.

C’est tout à fait le contraire de la Guinée selon le professeur Barry Alpha Amadou Bano, recteur de l’université Winfrey Oprah de Guinée qui en répondant à sa propre interrogation «quel est l’état de la situation du radicalisme religieux, et en particulier celui en rapport avec l’Islam, en Guinée ? » affirme que « le radicalisme religieux est une réalité de la République de Guinée ». Ainsi le professeur Diallo explique que cette radicalisation a comme origine la migration des populations de l’Est vers le sud et de l’islamisation qui a accompagné ce mouvement. Cette islamisation a été accentuée, selon un long processus, par la formation des imams et prédicateurs dans les pays arabes.

Des organisations basées surtout dans les pays du Golfe octroient des appuis financiers importants surtout dans le cadre de la construction et d’entretiens de mosquées, des services sociaux de base. Un tel phénomène qui a pris son envol depuis que l’instauration des politiques d’ajustement structurel a affaibli l’État et largement affecté sa légitimité et sa marge de manœuvre. A coté de ce mouvement de populations et des conditions de l’islamisation qui s’en sont suivies, l’internet aussi joue un rôle dans cette radicalisation à travers « la paupérisation urbaine » et le déficit de cadres de socialisation en dehors des structures religieuses.

Ce fait qui concerne la plupart des pays de la sous-région s’est surtout expliqué par le paradoxe entre les archaïsmes caractérisant le discours de l’islam traditionnel et la demande pressante de religiosité des jeunes de plus en plus attirés par les outils modernes de la prédication salafiste mondialisée.

Sous certains aspects, la situation de la Guinée est un peu comparable à celle du Mali. La marginalisation de certaines régions, et surtout du celles Nord, a fait émerger des mouvements qui se sont substitués à l’État pour ce qui est des services sociaux de base. L’analyse qui a été faite de cette situation a abouti au constat selon lequel, le Nord du Mali était presque laissé à lui-même pendant des décennies. Au cours de ces dernières années, les populations ont été prises en charge par le système de coopération informelle développée par les pays arabes à partir des années 70.

Aidés par des relais locaux à travers des ONG et autres organisations qui ont implanté des écoles et construis des hôpitaux ce système alliant prédication et travail social s’est développé en marge de l’action étatique au point de trouver un ancrage social qui a fait le succès des mouvances salafistes et wahhabites. Pour les Dr Hafizou Boncana enseignant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques et BREMA Ely Dicko du département de Sociologie de l’université de Bamako, il y a eu d’autres causes dont, notamment, le chômage endémique de jeunes et perte de repères.

Le voisinage avec l’Algérie et la présence depuis 1990 de groupes armés étrangers (GSPC algérien, DAWA), la convoitise des ressources minières(pétrole, phosphate, uranium, manganèse, gaz, bauxite, etc.) ainsi que la faiblesse de l’État (perte de l’autorité, faiblesse de contrôle sur les régions du nord ont été à l’origine de la perte de contrôle ayant abouti à une occupation djihadiste inédite en Afrique. La présentation concernant le Mali a permis de mettre en lumière les profondes causes imbriquées de l’extrémisme au Mali qui sont à la fois historiques, sociologiques et religieuses etc.

Selon Aminatou Daouda Hanikoye, on retrouve des causes similaires dans l’étude des facteurs du radicalisme qu’elle a consacrée au Niger, notamment, dans la région de Diffa. Dans cet espace vivant, avec les mêmes tensions dues à la présence de la secte Boko Haram dans tous les pays riverains du Lac Tchad, il s’est trouvé que les causes à l’origine de cet extrémisme sont entre autres socio-économiques. Ces facteurs se sont greffés à d’autres induits par le partage d’un vaste espace commercial et de la langue kanouri, marqué par un fort taux d’analphabétisme, d’exode rural vers le nord du Nigéria. Il s’y ajoute les contrecoups de l’absence de l’État surtout par le déficit criant en infrastructures et services sociaux de base.

Cette étude spécifique de la région de Diffa montre que les causes de radicalisation sont surtout économiques et politiques et que le facteur religieux est très souvent instrumentalisé dans une logique de manipulation de symboles et pour donner un sens à des combats aux motivations diverses. Le cas nigérien a pu faire ressortir la nécessité de l’approche régionale du phénomène de la radicalisation et de l’extrémisme violent. Les exactions de Boko Haram qui ont transformé tous les pays du Bassin du Lac Tchad en zone de repli stratégique ou des théâtres sporadiques d’opération en est une parfaite illustration.

Au Sénégal on ne peut plus nier l’existence de cette radicalisation même si jusqu’à présent aucun attentat n’est perpétré sur le territoire sénégalais. Une présentation des facteurs de radicalisation dans ce pays avait été faite par Dr. Docteur Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies de Dakar.

Comme la plupart des pays de la sous-région la population juvénile sénégalaise est confrontée au chômage, à la précarité qui est une des causes de l’émigration qui, dans certains cas, a fini en Libye. Le noyau de djihadistes sénégalais signalés dans la région de Syrte est une preuve que plus aucun pays de la sous-région n’est à l’abri du phénomène djihadiste.

Pour le directeur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA), par ailleurs facilitateur des travaux du séminaire, le Sénégal n’est pas à l’abri des influences idéologiques qui ont abouti ailleurs à une radicalisation violente. Au moment où les risques ne peuvent plus se mesurer à partir des seuls facteurs internes, il faudrait, selon Sambe, prendre en compte l’environnement sécuritaire sous-régional dans sa globalité.

La porosité des frontières combinée au décloisonnement et la réduction des espaces par les moyens modernes de communication induit d’autres réalités nouvelles qui rendent complexes l’étude de la radicalisation dans ce pays longtemps considéré comme « un îlot de stabilité dans un océan d’instabilité ».

De plus en plus, l’internet joue un rôle important dans cette radicalisation qui peut être motivée au début par la recherche de modes de religiosité alternatives au discours traditionnel. A l’intérieur du pays, surtout dans les régions périphériques éloignées de la capitale, les organisations islamiques s’investissent beaucoup dans le social et interviennent dans les circuits économiques par le financement de certains projets véhiculant leurs idéologies.

On peut noter l’exemple de certains villages de la région de Kolda et de Tambacounda. La première est investie par des groupes chiites dont les activités débordent jusqu’à Bignona tandis la seconde, frontalière du Mali est sous influence de groupes salafistes et wahhabites.

La récente vague d’arrestations d’imams présumés en connivence avec des groupes terroristes notamment Boko Haram a remis à l’ordre du jour la viabilité du modèle religieux sénégalais, incarné par les confréries soufies, longtemps considéré comme un rempart contre l’extrémisme violent. Elle a mis à nu comment un islam local à l’heure des appartenances mondialisées est traversé par les courants les plus contradictoires au moment où se multiplient les inquiétudes quant au risque réel d’attentats.

Les causes de l’extrémisme sont nombreuses et variées. Elles présentent des similitudes dans certains pays de l’Afrique comme la mal gouvernance, des politiques publiques inadaptées voire inexistantes, des régions reculées avec des populations paupérisées, parfois abandonnées à elles-mêmes etc.

Le facteur religieux est aussi omniprésent avec la faculté de catalyser différentes contestations qui trouvent en lui une forme de refuge et de fabrique de sens ambivalent. Mais ce qu’il faudra surtout noter c’est que le radicalisme est devenu une sorte d’idéologie de contestation de l’establishment politique et d’un modèle économique ultralibéral dominant, suite à la disparition des partis de gauche qui se formaient surtout dans le milieu scolaire et universitaire. La paupérisation et la marginalisation économique souvent évoquées comme principale du phénomène ne reflètent pas toute la réalité l’entourant.

La question éducative, aussi, se trouve au cœur de problématique avec la dualité des systèmes éducatifs dans la plupart des pays de la région à majorité musulmane. Cette dualité à l’origine d’un choc des modèles religieux source de tensions dans la plupart des pays de la sous-région et de la contestation de l’État de la part des acteurs religieux a des conséquences immédiates sur la consolidation de la paix.

Source: Rapport de l’Atelier sous-régional sur « Le radicalism religieux et les menaces sécuritaires en Afrique de l’Ouest: perspectives nationales et régionales », Gorée Institute 2016