Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Le radicalisme religieux est une réalité en Afrique de l’Ouest et constitue une menace réelle pour la sécurité humaine et le processus démocratique. Les récentes attaques terroristes dans les capitales du Mali et du Burkina Faso sont des preuves qu’aucun pays n’est à l’abri. C’est une question qui dépasse de nos jours les gouvernants et nécessitent l’implication de toutes les forces vives ouest-africaines, notamment la société civile et les organisations féminines.
Les ripostes armées ont démontré leur limite, donc il faudra passer à d’autres mécanismes pour éradiquer le phénomène. L’atelier a montré l’importance de la question qui est plus qu’inquiétante pour notre monde et nécessite de l’engagement de tous.
Pour cela, l’initiative prise par Gorée Institute en tenant en 2016 un atelier sous-régional sur le radicalism religieux a été saluée dans les remarques conclusives et des appels ont été lancés pour que les États de la sous-région puissent s’approprier les résultats des discussions. Il a été vivement rappelé que les États et leurs partenaires devraient se servir de relais enracinés sur le terrain, car la société civile, les chercheurs, les instituts de recherche sur les questions de sécurité peuvent constituer des canaux d’alerte et de sensibilisation sur la radicalisation.
Le radicalisme religieux gagne du terrain sur le continent africain sous plusieurs formes, alors qu’on est resté longtemps enfermé dans de vieilles grilles d’analyse rarement renouvelées sur un « islam africain » qui serait naturellement et durablement pacifique. Jusqu’à récemment, les études sur l’islam africain n’ont pas beaucoup intégré ni le caractère transnational des acteurs, ni la mondialisation progressive du croire qui n’a pas épargné le continent et la région sahélienne.
Suite à l’émergence d’une élite arabophone (Niger, Mali, Sénégal, Tchad, Nigeria, etc.) issue des universités arabes et/ou islamiques contestant l’hégémonie des cadres francophones désignés comme responsables de la faillite des pays depuis l’indépendance, s’installe le mythe de la « conscience islamique » traversant toutes les sphères y compris confrériques.
Ce mythe s’est érigé en un véritable courant politique captant les idéologies exogènes : salafisme, wahhabisme, chiisme balbutiant, voire djihadisme par concours de circonstances comme au Mali.
S’y ajoute que les déçus du courant confrérique traditionnel d’obédience soufie, trop marqué par ses accointances répétitives avec le pouvoir politique, conformément à l’héritage colonial, se dirigent, de plus en plus, vers un islam dit « rationalisé » recrutant de plus en plus dans l’élite intellectuelle même dite « occidentalisée ».
Cette situation aurait conduit, paradoxalement, ces dernières années à une « élitisation » de l’extrémisme, vers une sorte d’islam des « ingénieurs » comme en Algérie, Tunisie et récemment au Maroc ou au Moyen-Orient (Frères Musulmans en Égypte, Hamas palestinien). Ce courant transversal, à travers tous les pays du Sahel, est manifestement sensible aux revendications de l’islamisme mondialisé (cause palestinienne, anti-américanisme, anti-occidentalisme etc.). Cette nouvelle frange radicalisée est largement renforcée par les laissés pour compte des systèmes sociaux et économiques, habités par une misère sociale et exposés aux rudes conséquences de la crise socio-économique aggravée par le fossé grandissant entre classes dirigeantes et populations paupérisées. Ensemble, ces deux catégories constituent un relais sociologique et idéologique de groupes comme AQMI et Almourabitoune.
De tels relais existent dans les milieux associatifs islamiques ; mouvements radicaux ou évangéliques (nouvelles églises et charités) sans surveillance particulière (Mali, Sénégal) et dont les activités se déploient dans le domaine social et éducatif.
A ce jour, de nombreux pays de la sous-région souffrent toujours d’une dualité du système éducatif avec l’école « officielle » francophone et la multiplication d’écoles « arabes » ou « coraniques ». Cela représente un grand danger pour ce qui est de la cohésion nationale dans le processus de la construction et de consolidation de l’État dans la région. Le phénomène Boko Haram en est une illustration pour ce qui est du cas du Nigeria.
Les États sahéliens ne semblent pas saisir les enjeux d’une telle dynamique et n’ont jamais intégré cette dimension du religieux dans le cadre global d’une politique de sécurité. De temps à autre, ce sont les puissances occidentales alliés qui tirent la sonnette d’alarme.
Les experts sont, aujourd’hui, nombreux qui attirent l’attention sur le danger d’un système éducatif dual avec un enseignement institutionnel géré par l’État et un autre parallèle qui lui échappe et qui s’ouvre aux influences saoudiennes, iraniennes et récemment turques sans parler des églises évangélistes développant des secteurs parallèles à l’action étatique.
Cet état de fait est non seulement source de troubles à moyen terme mais d’une fracture sociale (heurts interconfessionnels) donnant lieu à des États-nations sans ciment national. Dans les prochaines années, il est à craindre que le choc des extrêmes (Islamisme radical et christianisme évangélique) devienne source de tensions ethnico-religieuses notamment en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Cameroun et dans une moindre mesure au Sénégal. Ces réseaux de solidarité confessionnelle se substituant aux États dans le travail social ne sont pas toujours sans lien avec des phénomènes mafieux allant du blanchiment d’argent au narcotrafic.
Les partenaires bilatéraux et internationaux des pays de la sous-région devraient intégrer cet aspect dans le renforcement de la stabilité et l’accompagnement des États ouest-africains en agissant sur les orientations éducatives, les programmes favorisant une plus forte inclusion des laissés pour compte pour éviter un plus grand émiettement des structures sociales.
Au regard de son enjeu et de sa corrélation avec l’expansion des idéologies djihadistes ou violentes, la question éducative mérite un interventionnisme onusien en faisant de la prévention par la socialisation le socle de la lutte contre les radicalismes religieux dans les décennies à venir.
La lutte contre le terrorisme, en amont, par une politique de prévention par l’éducation, le renforcement des capacités, la résorption des inégalités et la promotion d’espaces de socialisation alternatifs au tout[1]religieux et aux surenchères ethnico-confessionnelles paraîtrait plus efficace que les formes de guerres asymétriques qui, généralement, surviennent bien après que les groupes terroristes se redéploient dans de nouvelles zones de non-droit pour menacer à nouveau des États fragilisés.
Source: Rapport de l’Atelier sous-régional sur “Le radicalism religieux et les menaces sécuritaires en Afrique de l’Ouest: perspectives nationales et régionales”, Gorée Institute 2016