Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
La deuxième moitié du XXème siècle, avec son lot de conflits, apparait comme un tournant dans l’histoire de l’émancipation des femmes. Des droits leur sont reconnus comme le droit de vote, de travailler et d’exercer des responsabilités. C’est dans cette perspective que l’Organisation des Nations Unies s’est spécifiquement intéressée aux femmes, à leur condition par la réflexion, et a conduit un ensemble d’actions concertées sur le terrain. Cela avec l’organisation d’espaces internationaux de débats et de conférences mondiales sur les femmes (Mexico 1975, Copenhague 1980, Nairobi 1985 et Beijing 1995). Ces conférences ont permis de faire des recommandations visant le développement de la paix pour tout le genre humain et l’égalité sociale dans le monde. C’est ainsi que la situation des femmes durant et après les conflits est- à considérer. D’où l’adoption de la résolution 1325, le 31 octobre 2000 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Au niveau régional, l’Union africaine, consciente de l’insécurité humaine qui prévaut sur le continent, a adopté le Protocole à la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples relatif aux droits des femmes en 2003. Ce protocole rappelle le principe des droits inaliénables de la femme et s’appuie sur la Résolution 1325 pour montrer que les femmes jouent un rôle prépondérant dans la promotion de la paix et de la sécurité.
Dans l’espace CEDEAO, la mise en place, en 2004, d’une politique en matière de sexospécificités a permis de prendre en compte la dimension genre au cœur leur programme. Ainsi, un plan d’action régional fut adopté pour la mise en œuvre de la Résolution 1325, en 2010. Ce plan vient renforcer l’engagement politique pris par la Commission de la CEDEAO en 2008 avec l’adoption d’un Cadre de prévention des conflits, en raison des crises qui minent cet espace. Le premier plan d’action de la CEDEAO fut adopté à Dakar en septembre 2010. C’est dans cet esprit que le Sénégal adopta le Plan d’Action National pour la mise en œuvre de la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies au mois de mai de l’année 2011.
La résolution 1325 est l’une des plus grandes initiatives du XXIème siècle. Elle met en exergue les conditions des femmes et des filles lors des conflits armés. L’adoption de la Résolution 1325 par les 192 États Membres de l’ONU a fondamentalement changé l’image des femmes dans les situations de conflit – de celle de victimes à celle de participantes œuvrant activement au maintien et à la consolidation de la paix, ainsi qu’aux négociations. C’est ainsi que, pour la première fois, une résolution du Conseil de sécurité s’est concentrée sur une question fondamentale autre que l’arrêt des hostilités pour traiter l’impact plus insidieux et à long terme de la violence armée sur les femmes[1]. D’une part, elle reconnaît l’impact genre (sexospécifique) des conflits armés sur les femmes et les jeunes filles. D’autre part, elle fait allusion aux rôles que les femmes et les jeunes filles peuvent jouer dans la consolidation de la paix.
Le contexte sénégalais est marqué par une instabilité dans la partie sud du pays. En effet, depuis 1982, la revendication indépendantiste formulée par le Mouvement des Forces Démocratique de Casamance (MFDC) va l’opposer à l’Etat du Sénégal. Les affrontements entre l’armée sénégalaise et le MFDC entrainent des centaines de morts, des milliers de blessés et des dizaines de milliers de personnes déplacées internes ou réfugiées. Cette crise est considérée comme l’une des plus longues de l’Afrique sub-saharienne. Et les femmes ont joué un rôle important dans le processus de paix à l’exemple des femmes de Niaguiss dans le déminage et la consolidation de la paix en Casamance. Les femmes de la Casamance ont très tôt compris l’importance d’établir la paix dans la zone sud à travers les organisations féminines. Elles ont joué d’importants rôles dans la gestion du conflit et la construction de la paix. Par exemple le Comité Régional de Solidarité des Femmes pour la Paix en Casamance (USORORAL) a agi dans la construction d’une paix durable en Casamance et la gestion non violente des conflits par le biais de marches de dénonciation et la sensibilisation sur les violences spécifiques générées par le conflit. L’Association Régionale des Femmes pour la Recherche de la Paix en Casamance (KABONKETOOR) a participé à la gestion du conflit casamançais en apportant une assistance psychologique surtout dans les cas de violences générées par le conflit, par l’écoute et la sensibilisation.
De plus, avec les pesanteurs sociales et culturelles et les pratiques traditionnelles qui perdurent, ainsi que les problèmes socio-économiques et politiques qui existent encore au sein de la société sénégalaise, toutes les régions sont à considérer. En outre, selon le comité de pilotage, il est plus sage de considérer toutes les conditions d’amélioration du ou des statuts des femmes et des filles au Sénégal que les contenus de la résolution 1325 et suivantes nous offrent pour examiner la situation des femmes au Sénégal, en évaluer les points forts et les lacunes et proposer des actions de consolidation et/ou de redressement. Il est donc important, pour le Sénégal, de balayer large et de prendre conscience de l’utilité de la Résolution 1325 dans ses quatre piliers (Prévention, Participation, Secours et Reconstruction), même dans des zones calmes[2].
C’est dans cette perspective que le comité de pilotage du plan d’action national avait mis en place un formulaire de sept chapitres et il a été retenu au sortir des travaux :
« L’étude des 18 objectifs et 26 indicateurs pertinents de la Résolution 1325 et la mise en accord sectorielle de ces derniers avec les programmes actuels du ministère du Genre ;
- Plan d’action coordonné entre tous les acteurs politiques et civiles, assorti de stratégies de mise en œuvre sous l’égide du Ministre d’Etat en charge du Genre et des Relations avec les associations féminines africaines et étrangères.
- Un cadre d’évaluation et de suivi périodiques, à suivre par le ministère du Genre pour faciliter un compte rendu périodique au Chef de l’Etat, aux institutions régionales et internationales. Un cadre de référence pourrait être créé si besoin en est, pour faciliter la coordination et la synergie des actions entreprises par le ministère du Genre et celles mises en œuvre par ses homologues de la sous-région ;
- La création de cadre de bases de données spécifiques sur les acteurs et leurs actions sur le terrain pour stocker et analyser les informations concernant les programmes et faciliter l’évaluation de leurs progrès. Une publication périodique pour rendre compte aux différents acteurs concernés de l’état de l’évolution de la mise en œuvre du plan national d’action ».
Pour ce faire, une cartographie des intervenants à savoir les ministères, les ONG, la société civile et les mouvements, a été réalisée. L’aboutissement de ces objectifs repose sur le financement facilité par l’organisation d’une table ronde de bailleurs de fonds, pour la contribution à la réalisation du plan. A cet effet, un plan de financement des actions (à court, moyen et long terme) a été fait selon l’activité, la période et le domaine d’intervention. Le coût total s’élève à 2261500 dollars américains. Nous avons alors un cadre logique du budget du plan d’action pour la mise en œuvre au Sénégal de la Résolution 13251 du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
L’élaboration du formulaire sur le plan national pour la mise en œuvre de la Résolution 1325 au Sénégal a la qualité d’être claire et précise.
Néanmoins, au cours de nos recherches, mis à part les ateliers de l’Alliance pour la Migration, le Leadership et le Développement et le Centre pour le Contrôle Démocratique, partenariat avec le REPSFECO, qui sensibilisent sur la Résolution 1325 en 2012, on ne trouve ni les comptes rendus périodiques, ni des documents nous renseignant sur l’état actuel du plan d’action national.
Le 25 octobre 2016, lors de la 7793e Séance[3] sur Femmes, paix et sécurité : au Conseil de sécurité, les appels se multiplient pour combler le déficit de mise en œuvre de la Résolution 1325 (2000), au siège des Nations Unies, le représentant du Sénégal a eu à souligner que le Sénégal avait traduit la Résolution 1325 dans ses principales langues parlées par la population. Il ajoute que le Sénégal a créé un réseau de points focaux nationaux Femmes, paix et sécurité dont la première réunion a eu lieu le 23 septembre 2016. Et six ans plus tard, le fond de l’initiative d’Elsie des Nations Unies va financer le déploiement des femmes casques bleues pour les opérations de maintien de la paix. Ce fut le moment opportun pour rappeler la mise en œuvre du plan d’action national couvrant la période 2020-2024, et qui définit cinq domaines [4]prioritaires à savoir : « la prévention des crises et la protection des femmes et des filles, notamment en améliorant les services de la justice, de la police et de l’armée ; la participation et la promotion dans les dispositifs et les processus de prévention, de négociation et de maintien de la paix ; et la coordination de la mise en œuvre du plan d’action national ». La disponibilité des informations sur le plan d’action national ne suit pas la logique du formulaire. Il est déplorable de ne pas trouver des traces électroniques subséquentes à l’heure actuelle.
A contrario des pays du Sahel à l’exemple du Mali et du Niger définissent leurs plans d’action national de manière périodique. En effet, le Mali est à son troisième plan d’action national de mise en œuvre de la Résolution 1325 appelé PAN3. En 2012, le Mali a lancé son premier Plan d’Action National pour la mise en œuvre de la Résolution 1325 de la période 2012-2014, suivi d’un deuxième plan (2015-2017) qui a été prolongé jusqu’en fin 2018 pour permettre un état des lieux, un partage des acquis et l’élaboration de la troisième génération du PAN (2019-2023).
Et le Niger est à son deuxième plan d’action national sur la résolution 1325. Le premier Plan d’Action National a été adopté pour 2017-2019 et son évaluation a permis l’adoption d’un autre pour la période de 2020-2024.
Il est vrai que la situation conflictuelle de ces pays favorise l’évaluation des plans d’actions nationaux. Mais ils ont respecté les périodes définies dans la formulation du plan. Le Sénégal avait établi sur cinq ans son plan d’action national pour la mise en œuvre de la Résolution 1325 qui a donc expiré en 2016.
L’Etat du Sénégal doit revoir sa politique de mise en œuvre du plan d’action national sur la résolution 1325 en le plaçant dans la feuille de route du ministère du Genre et en garantir le suivi-évaluation. Le Sénégal, pays frontalier du Mali, n’est pas à l’abri du djihadisme dès lors que le gouvernement doit agir dans la prévention de potentiels conflits. Ainsi, le plan d’action national permettra de renforcer le pouvoir de décision des femmes et le respect de leurs droits fondamentaux. C’est aussi un moyen pour les gouvernants de prendre en compte la dimension sexospécifique des conflits et des situations de paix, d’où la nécessité d’institutionnaliser la formation sur la résolution 1325.
La prise en charge des besoins particuliers des femmes et des jeunes filles par la Résolution 1325 est un impératif pour tous les acteurs concernés et pour ceux soucieux de l’équilibre et de l’égalité entre les sexes sur le plan national. La société civile sénégalaise et les organisations féminines doivent sensibiliser davantage les populations sur la Résolution 1325 au niveau local. Elles doivent aussi utiliser leur influence pour que l’évaluation du plan d’action national se fasse. De plus, animer des émissions à la télévision et même sur les chaînes radios sur le thème femmes, paix et sécurité, participent à la vulgarisation de la Résolution 1325 sur le territoire.
L’intégration des plans nationaux a été prévue par la Résolution 1325 des Nations Unies et suivantes. Ainsi, la communauté internationale devrait appuyer une pleine intégration des politiques nationales et des cadres de planification de l’agenda femmes-paix et sécurité, surtout dans l’espace CEDEAO qui est une zone de conflits latents. Soutenir l’instauration et le fonctionnement de mécanismes de suivi du plan d’action national sur la mise en œuvre de la résolution 1325 au Sénégal par le biais de forums sur les questions relatives aux femmes, à la paix et à la sécurité est à prévoir.
En somme, le formulaire du plan d’action national pour la mise en œuvre de la résolution 1325 au Sénégal a été bien élaboré car prenant en compte tous les éléments de sa mise en œuvre au sein de ses sept chapitres. Mais la disponibilité des informations sur l’état du Plan d’action périodique comme prévu fait défaut. Ce qui ne permet pas de faire le suivi et l’évaluation exhaustive du plan d’action national sénégalais.
Auteure : Mame Diarra Bousso Ndour, Stagiaire
[1] https://www.un.org/fr/chronicle/article/les-conflits-armes-et-le-femmes-la-resolution-1325-du-conseil-de-securite-dix-ans-dexistence
[2] Plan d’Action National sur la mise en œuvre au Sénégal de la Résolution 1325 (2000) du Conseil de Sécurité des Nations Unies
[3] https://press.un.org/fr/2016/cs12561.doc.htm
[4] https://www.ungeneva.org/fr/news-media/news/2022/05/grace-elsie-le-senegal-va-sefforcer-daccroitre-le-nombre-de-femmes-casques.