Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
I. Introduction
La gouvernance des ressources minérales en Afrique de l’Ouest a été caractérisée par des conflits récurrents. Les pays tels que la Guinée, le Ghana, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire ont connu des conflits sociaux et environnementaux liés à l’exploitation de ces ressources minérales. Ces conflits ont souvent des causes profondes qui sont à la fois économiques, sociales, politiques et environnementales. L’un des problèmes majeurs est la question de la gouvernance des ressources minérales et de leur partage équitable, ainsi que la question de la marginalisation des communautés locales. Les inégalités économiques, la corruption et la mauvaise gouvernance sont également des facteurs clés qui ont contribué à ces conflits.
Dans cet article, nous allons examiner les causes profondes des conflits liés à la gouvernance des ressources minières et pétrolières en Afrique de l’Ouest, en nous concentrant sur les pays mentionnés ci-dessus. Nous allons également examiner les impacts socio-économiques et environnementaux de ces conflits, ainsi que les mesures qui peuvent être prises pour prévenir et résoudre ces conflits.
II. Causes profondes des conflits
- Inégalités économiques
Les inégalités économiques sont l’une des causes profondes des conflits liés à la gouvernance des ressources minérales en Afrique de l’Ouest. Dans ces pays, les ressources minérales sont souvent concentrées dans les mains d’un petit nombre d’individus, notamment les gouvernements et les sociétés multinationales, laissant peu de bénéfices aux populations locales. Cette situation crée des tensions et des conflits entre les différents acteurs, notamment les communautés locales, qui estiment être lésées dans l’exploitation de leurs ressources naturelles.
Les inégalités économiques peuvent se manifester de plusieurs manières dans la gestion des ressources minérales. Tout d’abord, l’attribution des licences d’exploitation peut être opaque et ne pas prendre en compte les intérêts des populations locales. De plus, les contrats d’exploitation peuvent être conclus sans consultation des communautés locales, ce qui peut mener à des situations de conflit. Les gouvernements peuvent également accorder des avantages fiscaux et des exemptions à des entreprises étrangères, réduisant ainsi les recettes publiques et les investissements dans les secteurs sociaux.
Enfin, les revenus tirés des ressources naturelles ne bénéficient souvent pas aux populations locales, car ils sont captés par les élites politiques et économiques. Les communautés locales peuvent donc se sentir marginalisées et exclues des bénéfices de l’exploitation de leurs ressources minérales.
Des exemples concrets de cette situation existent dans plusieurs pays de la région. En Guinée, par exemple, les contrats miniers ont été conclus sans consultation des communautés locales, et les revenus de l’exploitation minière ont été captés par une élite politique et économique restreinte. Au Ghana, les communautés locales ont accusé les sociétés minières de ne pas respecter les normes environnementales et de nuire à leur santé et à leur bien-être. Au Nigeria, les revenus pétroliers ont été détournés par une élite politique et économique corrompue, sans bénéficier à la population.
Les conflits fonciers sont fréquents en Sierra Leone, en particulier dans les régions riches en ressources naturelles telles que les mines de diamants et d’or. Les populations locales sont souvent exclues de la prise de décision sur l’utilisation des terres et ne bénéficient pas des revenus provenant de ces ressources. Les conflits fonciers ont entraîné des violences et des pertes économiques pour les communautés locales. (Référence : Sengbe, 2020)
L’extraction illégale de ressources minières est un autre facteur qui contribue aux conflits en Sierra Leone. Les communautés locales sont souvent impliquées dans l’exploitation illégale des ressources minières, mais elles ne bénéficient pas des revenus tirés de ces activités. Les entreprises minières étrangères peuvent également être impliquées dans l’exploitation illégale, entraînant des conflits avec les communautés locales. (Référence : ITIE, 2020).
Pour remédier à cette situation, il est essentiel d’assurer une participation réelle des communautés locales dans la gestion des ressources naturelles, en impliquant les populations locales dans l’attribution des licences d’exploitation et en leur permettant de bénéficier des revenus générés. De plus, il est nécessaire de garantir la transparence et la responsabilité dans la gestion des ressources minérales, notamment en rendant publics les contrats d’exploitation et en renforçant les mécanismes de surveillance et de contrôle.
- Marginalisation des communautés locales
La marginalisation des communautés locales est un autre facteur important qui contribue aux conflits liés à la gouvernance des ressources minérales en Afrique de l’Ouest. Les communautés locales sont souvent évincées de leurs terres ancestrales pour faire place à des projets d’exploitation des ressources naturelles, ce qui entraîne des pertes économiques, sociales et culturelles considérables pour ces populations[1].
En outre, la marginalisation des communautés locales dans le processus décisionnel en matière de gestion des ressources naturelles est un autre facteur qui contribue aux conflits. Les communautés locales sont souvent exclues des processus de prise de décision en matière de gestion des ressources naturelles
En Guinée, par exemple, la communauté de Boké, qui est l’une des principales régions minières du pays, a connu des protestations et des émeutes en 2017 en raison de la marginalisation économique et politique de la région[2]. Au Ghana, les communautés locales de la région d’Obuasi ont également été marginalisées dans le processus de prise de décision concernant l’exploitation minière, ce qui a entraîné des conflits sociaux et environnementaux[3].
La marginalisation des communautés locales dans la gestion des ressources naturelles est donc un facteur crucial à prendre en compte dans la prévention et la gestion des conflits liés à la gouvernance des ressources minérales en Afrique de l’Ouest.
- Faible gouvernance et corruption
La faible gouvernance et la corruption sont également des causes profondes des conflits liés à la gouvernance des ressources minérales en Afrique de l’Ouest. Dans ces pays, la gestion des ressources minérales est souvent opaque, peu transparente et largement contrôlée par les gouvernements ou les entreprises étrangères. Cette situation a souvent conduit à une exploitation irresponsable des ressources minérales et à des violations des droits des communautés locales. Les pratiques de corruption, telles que le paiement de pots-de-vin et la fraude dans les contrats d’exploration et d’exploitation, sont courantes dans cette région et ont un impact direct sur les conflits liés aux ressources naturelles.
Dans un rapport de 2013, l’organisation Global Witness a identifié les pratiques de corruption dans l’industrie minière en Guinée et au Sénégal comme des facteurs contribuant aux conflits liés aux ressources minérales dans ces pays. Le rapport a révélé que les entreprises minières ont payé des pots-de-vin à des fonctionnaires pour obtenir des permis d’exploration ou pour éviter d’avoir à payer des taxes sur leurs revenus[4].
De même, une étude menée en 2018 par l’ONG Transparency International a mis en évidence la corruption dans le secteur pétrolier et gazier au Nigeria, où l’attribution de contrats et la gestion des revenus pétroliers ont été entachées de corruption. Les auteurs ont noté que la corruption dans ce secteur a conduit à une mauvaise gestion des ressources naturelles, à une perte de confiance dans les institutions gouvernementales et à une exacerbation des tensions sociales et politiques[5].
En outre, la faible gouvernance dans la région est souvent liée à un manque de participation et de consultation des communautés locales dans la prise de décision concernant la gestion des ressources naturelles. Les gouvernements et les entreprises ont tendance à ignorer les droits des communautés locales à l’accès à l’information, à la consultation et à la participation dans les processus de prise de décision, ce qui entraîne une marginalisation des communautés locales et des tensions accrues.
La corruption est un autre facteur qui contribue aux conflits liés à la gouvernance des ressources minières et pétrolières en Sierra Leone. Les pots-de-vin et les pratiques de népotisme sont courantes dans l’industrie minière et pétrolière, ce qui entraîne une mauvaise répartition des revenus entre les entreprises et les communautés locales. (Référence : MoFED, 2018).
En conclusion, la faible gouvernance et la corruption sont des facteurs importants contribuant aux conflits liés à la gouvernance des ressources minières et pétrolières en Afrique de l’Ouest. Les pratiques de corruption dans l’industrie minière et pétrolière ont un impact direct sur la gestion des ressources naturelles et peuvent conduire à des violations des droits des communautés locales. La faible gouvernance et le manque de participation des communautés locales dans les processus de prise de décision aggravent la marginalisation et les tensions sociales et politiques.
- Les impacts socio-économiques et environnementaux de ces conflits
Les conflits liés à la gouvernance des ressources minières et pétrolières en Afrique de l’Ouest ont des impacts socio-économiques et environnementaux considérables sur les populations locales. Les conséquences de ces conflits sont multiples et peuvent se faire ressentir sur plusieurs générations.
Les impacts socio-économiques incluent notamment la perte de terres et de ressources naturelles pour les communautés locales, ce qui peut entrainer une perte de revenus et de moyens de subsistance. Les entreprises extractives ont souvent recours à des déplacements forcés de populations pour libérer des terres et installer des infrastructures, ce qui peut affecter gravement les communautés locales. Les populations déplacées peuvent se retrouver sans accès à l’eau, aux terres agricoles, aux pâturages, aux forêts, et peuvent ainsi perdre leur capacité à subvenir à leurs besoins.
Les conflits peuvent également entrainer des violations des droits de l’homme, y compris la restriction de la liberté d’expression et de réunion pacifique, ainsi que des arrestations et des violences contre des activistes locaux. Les communautés locales peuvent se sentir marginalisées et ignorées par les gouvernements et les entreprises, ce qui peut conduire à une détérioration de la confiance et de la collaboration entre les parties prenantes.
Du point de vue environnemental, l’exploitation minière et pétrolière peut entraîner la destruction de la biodiversité, la dégradation des sols et des ressources en eau, ainsi que la pollution de l’air, de l’eau et des sols. Les rejets de déchets toxiques, les émissions de gaz à effet de serre et les pratiques minières non durables ont des effets néfastes sur la santé des populations locales et sur l’environnement dans son ensemble.
Ces impacts socio-économiques et environnementaux ont des répercussions à long terme sur les communautés locales, qui peuvent mettre des années à se remettre de la perte de leurs terres et de leurs moyens de subsistance. Par exemple la découverte de gisements pétroliers au Sénégal a conduit à une augmentation de la demande foncière dans les zones où les compagnies pétrolières opèrent. Cela a exacerbé les tensions foncières entre les communautés locales et les compagnies pétrolières, car les populations locales sont souvent expulsées de leurs terres sans compensation adéquate. Ces conflits fonciers ont été documentés dans des régions comme Saint-Louis et Dakar, où des communautés locales ont protesté contre l’expropriation de leurs terres pour des projets pétroliers[6]. En outre, ces conflits ont des répercussions sur les économies nationales, car ils peuvent entraîner une instabilité politique et économique.
Il est donc essentiel de prendre en compte les impacts socio-économiques et environnementaux des conflits liés à la gouvernance des ressources minérales en Afrique de l’Ouest. Les gouvernements, les entreprises extractives et les organisations de la société civile doivent travailler ensemble pour trouver des solutions durables qui permettent de concilier les besoins économiques avec la préservation des droits de l’homme, de la biodiversité et de l’environnement.
III. Conclusion et recommandations
La gouvernance des ressources minérales en Afrique de l’Ouest est marquée par des conflits liés à des inégalités économiques, une marginalisation des communautés locales, une faible gouvernance et une corruption. Ces conflits ont des impacts socio-économiques et environnementaux négatifs sur les communautés locales. Cependant, il existe des mesures qui peuvent être prises pour prévenir et résoudre ces conflits, notamment une meilleure participation des communautés locales dans la prise de décision, une meilleure transparence et redevabilité dans la gestion des ressources, une réforme foncière pour protéger les droits des communautés locales et une lutte contre la corruption.
En partant de l’identification des causes profondes des conflits liés à la gouvernance des ressources minérales en Afrique de l’Ouest, les recommandations suivantes sont formulées :
- Renforcer la participation et la consultation des communautés locales dans la gestion des ressources minérales afin de mieux prendre en compte leurs intérêts et préoccupations.
- Améliorer la transparence et la redevabilité dans la gestion des ressources minérales en publiant des informations sur les contrats, les revenus et les dépenses liés aux industries extractives.
- Protéger les droits des communautés locales sur les terres et les ressources en mettant en place des lois et des réglementations appropriées qui garantissent une compensation équitable pour les pertes de terres et de ressources naturelles, et en impliquant les communautés locales dans la gestion des terres.
- Renforcer les institutions pour lutter contre la corruption en instaurant des mesures anti-corruption, en poursuivant les auteurs de corruption et en mettant en place des mécanismes de surveillance pour prévenir la corruption.
- Mettre en place des mécanismes de règlement de conflits efficaces qui incluent la médiation, l’arbitrage et la justice pour aider à prévenir et à résoudre les conflits liés aux ressources naturelles.
Références :
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Hilson, G., 2018. La gouvernance des ressources naturelles et les industries extractives en Afrique subsaharienne. Routledge.
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[1] Kapoor, I. (2003). Ressources minérales, conflits et gouvernance. Développement durable, 11(1), 1-14.
[2] Lancaster, T. (2017). Guinée : Les émeutiers de Boke bloquent le chemin de fer à cause des coupures de courant et du mécontentement. Bloomberg. https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-04-28/guinea-boke-rioters-block-railway-over-power-cuts-discontent
[3] Gyasi, E. A. (2017). Examen de la responsabilité sociale des sociétés minières dans le développement minier durable : données probantes du Ghana. Ressources, 6(3), 36.
[4] Global Witness (2013). Jade : le grand secret d’État du Myanmar. https://www.globalwitness.org/en/campaigns/myanmar/myanmars-big-state-secret/
[5] Transparency International (2018). Petro-Perceptions: Cartographie des perceptions de la corruption dans le secteur pétrolier du Nigeria. https://www.transparency.org/files/content/feature/PetroPerceptions_Mapping_corruption_in_Nigerias_oil_sector.pdf
[6] Diop, M. S., Ly, A. B. et Cissé, M. T. (2020). L’exploration pétrolière et gazière au Sénégal : une analyse des opportunités, des défis et de l’impact sur l’économie. Journal of Energy and Natural Resource Management, 3(2), 1-18.
Auteure : Houleymatou Baldé (Chargée de Projet Gouvernance des ressources minérales)