Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
La question de l’exploitation des ressources minérales occupe une place importante dans l’actualité en Afrique et au Sénégal en particulier. Facteur de développement incontestable lorsqu’elles sont bien exploitées, les ressources minérales n’ont pas que des vertus. Certains individus subissent ses effets négatifs, car elles peuvent avoir des implications très différentes pour les communautés, les pouvoirs publics et les compagnies minières. Les divergences d’intérêts entre les principaux acteurs ont tendance à occulter les impacts négatifs causés par les projets miniers. Conscient de ces enjeux, le Gorée Institute a élargi son champ d’intervention en s’intéressant à ces questions. C’est dans cette perspective que l’Institut a mis en place, depuis 2018, un programme de gouvernance des ressources naturelles matérialisé d’ailleurs par la création d’une plateforme sur laquelle plusieurs informations relatives à l’exploitation des ressources minérales sont publiées. C’est dans le cadre de la mise en œuvre de ce programme que le Gorée Institute a rencontré les populations des zones minières afin de requérir leurs perceptions.
La zone d’étude s’est limitée à trois (03) régions, précisément Thiès, Matam et Kédougou, zones où les opérations minières sont beaucoup plus intenses. En effet, les conventions minières conclues entre l’Etat et les entreprises minières ont principalement pour objet l’exploitation du Zircon, des phosphates et de l’or, et les sites miniers se trouvent dans ces trois (03) régions. Par conséquent, les impacts positifs ou négatifs devraient être suffisamment perceptibles par les populations locales.
La méthode de travail consistait à collecter des données auprès des cibles sur la base d’un questionnaire structuré suivant les indicateurs préalablement établis. Les données collectées ont porté sur les impacts économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux de l’exploitation des ressources minières au Sénégal. Douze (12) enquêteurs formés par le Gorée Institute ont mené les enquêtes auprès des populations et les résultats (perception des enquêtés sur les impacts économiques) qu’ils ont obtenus varient d’une région à une autre. Ils ont permis de relever les perceptions sur la création d’emploi, la création d’opportunités commerciales, la réduction de l’exode rural, l’impact de l’exploitation sur la qualité du sol, le degré de transparence et le développement d’infrastructures routières.
Les enquêtes relatives aux impacts économiques de l’exploitation minière ont révélé les constats suivants :
Un potentiel de création d’emploi inexploité
Plus de la moitié des enquêtés (54%) des trois régions estiment que l’exploitation minière n’a pas du tout favorisé la création d’emploi. A cet égard, les résultats de l’enquête reflètent la situation nationale en matière d’emploi. Plusieurs facteurs expliquent cette faiblesse du secteur minier dans la réduction du chômage. On peut citer par exemple l’option politique basée sur une gestion centralisée des ressources minières par le recours à de grands opérateurs qui mettent en avant l’optimisation de l’efficacité économique, la rentabilité financière et les recettes d’exportation plutôt que la création d’emploi. A cela s’ajoute la faiblesse de la politique de l’Etat sur la formation. Cependant, les enquêtés relativisent leur position en ce que l’industrie extractive ferait partie des secteurs les plus pourvoyeurs d’emplois car le potentiel d’emploi est sous exploité, et les activités s’opèrent dans des endroits pauvres. L’Etat du Sénégal cherche pourtant à promouvoir l’emploi dans le secteur extractif à travers l’article 109 du code minier. En application de cette disposition, certaines entreprises comme GCO (Grande Côte Operation) et SGO (Sabodala Gold Corporation) fournissent des efforts en termes d’emploi, notamment dans les régions de Thiès et de Kédougou. Cependant, certaines études ont montré que les femmes représentent moins de 25% des effectifs, ce qui veut dire que la promotion de l’égalité des chances à l’emploi entre les femmes et les hommes n’a pas encore produit ses effets.
Des opportunités commerciales limitées
Pour ce cas précis, les enquêtes sont partagées. L’analyse par région montre que quelle que soit la région, moins de 30% des enquêtes estiment que l’exploitation minière a été bénéfique en favorisant la création d’opportunités commerciales. Au même titre que les emplois, la création d’opportunités commerciales apparait globalement limitée. L’exploitation minière a pour l’heure une faible capacité d’entrainement sur le reste de l’économie locale. La faiblesse des opportunités commerciales s’explique souvent par la méconnaissance des besoins en matière de biens et services des entreprises minières ou tout simplement par l’absence de capacités pour saisir ces opportunités. A titre d’exemple, des femmes se sont plaintes du fait que souvent les entreprises refusaient de s’approvisionner sur le plan local. Ce déficit d’attractivité des produits locaux est dû à l’absence d’une politique de contenu local en général. Dans certains cas, le refus des compagnies minières de s’approvisionner sur le plan local s’explique par une volonté de ne pas augmenter les prix pratiqués sur le marché local au détriment des populations locales au pouvoir d’achat limité.
Une exploitation source d’exode rural
Les enquêtes ont révélé aussi la perception des populations sur les effets de l’exploitation minière sur la réduction de l’exode rural. En effet, si 19% des enquêtés estiment que l’exploitation minière a permis de réduire l’exode rural, 44% soutiennent le contraire. Sur ce point, les résultats de l’enquête ne sont guère surprenants en raison des faiblesses des retombées de l’exploitation minière en termes d’emploi et d’opportunités commerciales. La solution pour nombre de jeunes est naturellement l’exode. Cependant, le constat révèle que la région de Kédougou résiste mieux que les régions de Thiès et de Matam à cause de l’existence d’une exploitation artisanale de l’or. Il ne semble pas que l’Etat ait pris cette dimension de l’exode rural généré par l’exploitation des ressources minières. L’accent doit donc être mis sur la création d’activités génératrices de revenus tant dans le cadre des ressources du fonds de péréquation que dans le cadre des programmes de responsabilité sociétale des entreprises. Il y a lieu de souligner que les résultats de l’enquête contrastent avec ceux de l’enquête d’Afrobaromètre où la majorité des personnes interrogées avait estimé que l’exploitation minière pouvait endiguer l’exode rural. Il semble que la divergence des conclusions pourrait s’expliquer par le fait que l’enquête d’Afrobaromètre n’a pas prioritairement ciblé les populations impactées.
Une dégradation de la qualité du sol
Dans le cadre de l’enquête, les populations ont été également interpellées sur l’impact de l’exploitation minière sur la qualité du sol. En effet, il existe deux catégories de contamination du sol : une contamination provenant des poussières fouettées par le vent et une contamination par le déversement de produits chimique set de résidus. Plus de 60% des personnes enquêtées considèrent que l’exploitation minière a contribué à la dégradation de la qualité des sols. Cette dégradation du sol semble avoir des effets sur le plan économique car selon certaines estimations, le Sénégal perdrait environ 550 milliards par an en raison de la dégradation des sols. Deux facteurs semblent justifier cette situation alarmante. Soit parce que les études d’impact environnemental n’ont pas été effectuées avant l’attribution des titres miniers, soit parce que toutes les entreprises minières ne disposent pas de plan de gestion environnementale et sociale.
Une gouvernance peu transparente et parasitée par la corruption
Les populations se sont également prononcées sur la transparence dans l’exploitation minière. Sur ce point, 77% des enquêtés pense que le degré de transparence dans l’exploitation minière est bas et que la transparence représente encore un défi majeur de l’Etat dans la gouvernance des ressources minières. Cela, malgré les initiatives dans ce domaine avec l’adhésion à l’ITIE et l’exigence par le Code minier du respect de ses principes par les entreprises minières et l’obligation de publier les contrats. Par ailleurs, en dépit des reformes, les résultats confortent l’étude d’Afrobaromètre qui avait conclu que le secteur minier était peu transparent. Au plus, la gouvernance des ressources minières est parasitée par la corruption qui implique les forces de sécurité, les chefs de village, les agents des eaux et forêts et les autorités du commandement territorial, bien que le code incrimine la corruption dans l’attribution des titres miniers. Cette situation démontre largement que la présence de la société civile au sein du secrétariat national de ITIE apparait insuffisante pour garantir la transparence dans le secteur minier surtout à la suite de la réforme constitutionnelle qui fait désormais du peuple le propriétaire des ressources naturelles. En outre, le conflit d’intérêt dans lequel se trouve l’Etat en sa double qualité d’actionnaire et de contrôleur ne favorise pas la transparence dans le secteur.
Des opportunités commerciales limitées
L’apport de l’industrie minière sur le développement d’infrastructures routières a été abordé par les populations qui ont donné leur avis sur la question. Les résultats de l’étude indiquent que 82 % des populations des trois (03) régions interrogées estiment que l’exploitation minière n’a pas favorisé le développement d’infrastructures routières. L’enquête a révélé que l’exploitation minière peut pourtant favoriser le développement des infrastructures qui pourraient contribuer au désenclavement des régions où les ressources minières sont exploitées. A titre d’exemple, dans le cadre de la concession d’exploitation des réserves de fer de la Falémé à Arcelor Mittali, il était prévu la construction de 750 km de voie ferrée, un port minéralier à Bargny-Sendou. Par ailleurs, dans le cadre du projet d’exploitation du zircon avec la société GCO, il était prévu la construction de 22 km de lignes de chemin de fer pour rejoindre le réseau national.
Les résultats de l’enquête montrent que les infrastructures créées étaient souvent liées aux seules exigences de l’exploitation des ressources minières. Dans d’autres cas, les sociétés, au lieu de créer des routes de contournement des habitants, utilisent les infrastructures routières existantes créant beaucoup de risques pour les populations qui vivent aux alentours de ces routes. Les populations de Mboro condamnent d’ailleurs les camions des Industries Chimiques du Sénégal (ICS) qui déversent du souffre qui menace sérieusement la santé des populations. L’autre facteur qui rend insuffisante la politique d’infrastructures est l’utilisation d’avion pour l’exportation du minerai notamment de l’or.
Selon les enquêtés, pour favoriser le développement de liens spatiaux entre les industries extractives et le reste des secteurs économiques, l’Etat devrait persuader les entreprises minières à prendre en compte cette exigences ou alors bâtir un partenariat stratégique avec elles en contribuant au financement de ces infrastructures.
En somme, l’enquête menée par les moniteurs avait pour but de faire le diagnostic du secteur minier en interrogeant sans intermédiaire les populations afin de requérir leurs avis sur les impacts de l’exploitation minière. Victimes directes ou bénéficiaires des projets miniers, les populations ont pu se prononcer sur la gestion des ressources naturelles. Les résultats des enquêtes sur les impacts économiques révèlent que le secteur minier peine à contribuer au développement de ces localités. Malgré les réformes notoires initiées ces dernières années, notamment l’intégration de règles relatives à la protection de l’environnement, l’adhésion à l’ITIE, la création d’un fonds d’appui au développement local, les rapports de l’ITIE montrent à suffisance que l’apport du secteur minier dans le domaine économique est encore faible.
L’Etat doit alors prendre des mesures pour faire du secteur minier un secteur non seulement attractif, mais qui sera aussi capable de contribuer au développement du pays en général et des localités abritant les sites miniers en particulier.
Etudes réalisées en 2020