Le radicalisme religieux et les menaces sécuritaires en Afrique de l’Ouest : perspectives nationales et régionales

Introduction

Aujourd’hui, l’Afrique de l’ouest est traversée par une peur partagée à la fois par les populations et les gouvernants envers les « suicide bombers », les rapts et kidnappings de ressortissants des pays Occidentaux ainsi que les conquêtes d’espaces « libérés » de la tutelle des autorités légitimes et légales. Toutes ces opérations sont le fait de groupes armés au nom de l’islam, groupes en rupture avec une vieille et longue tradition d’un islam pacifique, spirituel et solidaire. Cette vague de violence qui se propage et se développe au nom de la religion musulmane affecte les sociétés dans leur stabilité et dans leur équilibre en perspective de leur développement et même de leur survie. Ce qui se présente comme un noeud de vipère pour les Etats, les acteurs sociaux non étatiques dont les religieux et aussi pour les Partenaires au développement.

Nous avons dit supra que l’islam en Afrique de l’Ouest s’est développé dans une tradition de pacifisme et de spiritualité solidaire à travers les confréries. L’on est alors dans le droit de se poser la question de savoir :

• les causes de cette radicalisation dans la sous-région,

• les défis auxquels elle expose nos sociétés et

• les possibles réponses à cela.

Les causes de la radicalisation en Afrique de l’ouest

Dans nos méthodes d’analyse, il nous arrive de cerner d’abord le champ sémantique et conceptuel des notions que nous manipulons.

Le radicalisme c’est quoi-même?

Lorsque nous consultons le dictionnaire politique, il nous dit qu’étymologiquement « le radicalisme est une attitude intellectuelle consistant à reprendre les questions à partir du commencement, de leur racine ». Il est intéressant de noter que dans l’histoire politique de l’Europe, le radicalisme est à la source de la réforme libérale qui, a abouti au suffrage universel en Angleterre, en 1867, sur la base du principe « plus grand bonheur pour le plus grand nombre ».

En France, le radicalisme est le courant qui a prôné l’instauration du suffrage universel, à partir de 1840, la liberté, l’égalité et la laïcité.

Mais lorsque nous consultons le Larousse, il nous renseigne sur cette notion en ces termes : « Attitude d’esprit et doctrine de ceux qui veulent une rupture complète avec le passé institutionnel et politique » ; il dit encore : « attitude d’esprit d’une intransigeance absolue ». Quant au nom ou adjectif radical, Larousse écrit : « se dit d’une organisation, d’une attitude visant à des réformes profondes de la société ».

A partir de cette définition, on se rapproche du phénomène qui nous intéresse et qui fait l’objet de toutes les préoccupations du monde. Mais ce qui est spécifique dans le phénomène c’est son caractère religieux et particulièrement « islamique ». Ici le qualificatif « islamique » ne signifie pas « être conforme aux normes de l’islam » ; cela signifie simplement que c’est référé à la religion musulmane. Nous pourrons discuter ultérieurement la justesse ou non de cette référence.

Analyse du radicalisme religieux d’aujourd’hui

De nos jours lorsqu’on aborde la question du radicalisme, tous les esprits se tournent vers l’islam, comme si c’était le seul vecteur de cette attitude intransigeante et réformatrice profonde. La cause réside dans le fait que les promoteurs du radicalisme en islam, prônent non pas seulement une attitude de repli et de réforme mais ils promeuvent aussi la violence pour y arriver.

C’est que le radicalisme religieux se nourrit d’une idée d’universalité qui ne se fonde pas sur la concurrence argumentaire mais sur le rapport de force. Tous les courants doctrinaux qui s’inscrivent dans ce registre de rupture institutionnelle par le retour au modèle des vertueux anciens (salaf), l’intransigeance absolue à la lettre des textes sacrés (intégrisme) et de réforme profonde au nom de l’islam (islamisme), exaltent d’une façon ou d’une autre l’usage de la a violence (jihâd), comme instrument pour arriver à leur but.

Le salafisme

Du mot salaf, qui signifie ancêtres, la salafiyya est née. C’est un courant qui prône le retour au modèle religieux des pieux croyants des trois premiers siècles de l’islam. C’est Mouhammad b. Abdel Wahhâb qui a été l’idéologue du salafisme le plus en vue aujourd’hui, lorsqu’il s’est approprié les idées d’Ibn Taymiyya. L’ossature de ces idées tournent autour d’un rigorisme total concernant la théologie et d’un littéralisme absolu concernant les textes fondamentaux : coran et sunna. Le rigorisme d’Ibn Taymiyya entraîne le rejet de tout ce qui ne se conforme pas à ses vues, ainsi il exclut de la religion authentique les Shî’a et les soufis.

Il faut dire que le salafisme n’est pas forcément violent. Il y a les quiétistes, qui prônent un islam purifié dans un communautarisme solidaire, sans recourir à la violence. L’on peut compter El Hadj Malick Sy, Thierno Mamadou Saïdou Bah, et autres comme modèles de ce salafisme. Le salafisme radical et violent est une denrée dérivée du Wahhabisme, théorisée par les Frères musulmans d’Egypte, particulièrement par Sayyid Qutb. La doctrine des Frères est claire à ce niveau : « L’islam est dogme et culte, patrie et nationalité, religion et Etat, spiritualité et action, Coran et sabre ». Ceci résume la théorie et la pratique du salafisme des Frères musulmans qui a inspiré nombre d’associations de chez nous dont la Jamâ’atu Ibadu Rahman. L’islam est global, cela implique :

– Tous les aspects de la vie humaine sont réglés par la révélation, donc il faut islamiser la société,

– Les modèles venant de l’occident, quelle qu’en soit la forme et de quelque secteur que ce soit, (social, culturel, économique, politique) sont rejetés et doivent être combattus,

– Nécessité d’un Etat musulman multiethnique, multinational, un califat mondial

– Recours à la violence s’il le faut pour y arriver.

Au demeurant tout cela se retrouve en synthèse communicationnelle dans le logo et la devise des Frères musulmans ; « ليبس يف توملاو ،انليبس داهجلاو ،انروتسد نآرقلاو ،انتودق لوسرلاو ،انتياغ هللا انينامأ ىمسأ هللا » Allah est notre but, le Prophète notre guide, le Coran notre constitution, le Jihâd notre voie, la mort sur la voie d’Allah notre plus grand souhait ».

En revanche, l’association al-Falah se réclame du Wahhabisme qui, influence grâce à ses pétrodollars et à la position symbolique de l’Arabie saoudite, les organisations islamiques non confrériques en Afrique de l’Ouest et la plupart des Haut conseils islamiques qui s’y trouvent.

Au demeurant, il faut dire qu’à l’origine, le salafisme des Ikhwân est une sorte d’acclimatation du wahhabisme. Ce qui fait que les deux grandes organisations Falah et Ibadu sont deux courants salafistes qui partagent les mêmes idéaux et qui enseignent l’intégrisme.

L’intégrisme

L’intégrisme est plutôt une domestication d’une approche catholique conséquente à Vatican II. Lors de ce concile, certains prêtres ont refusé l’ouverture voulue par le Pape Paul VI. Ils ont prôné l’application de la tradition de façon intégrale. Actuellement, il existe des intégristes catholiques qui invitent au retour de l’Église comme elle existait avant le concile de Vatican II.

L’intégrisme est l’attitude consistant à réfuter toute évolution possible de la norme religieuse basée sur l’interprétation des textes. C’est une attitude qui favorise l’archaïsme et qui n’est pas, contrairement à ce que l’on croit, l’approche des salafs. Ces derniers s’adonnaient à l’interprétation des textes et à leur contextualisation. Sans l’interprétation on n’aurait pas ces écoles juridiques, les madhâhib.

L’islamisme

L’on a souvent accusé les chercheurs et autres universitaires d’avoir créé le concept. Ce qui est loin d’être exact. En effet, c’est l’un des dirigeants des Frères musulmans, Sayyid Qutb qui a lancé le concept dans les geôles.

L’islamisme peut être résumé en deux mots : l’islam politique. C’est cette doctrine qui cherche l’islamisation globale de la société, par l’application intégrale du Coran qui est la constitution chez eux.

Jihadisme

Le jihadisme comme son nom l’indique vient du mot jihad. Le jihad qu’il ne faut pas confondre avec la guerre sainte, est un concept coranique à opération multiple. Mais on peut retenir les deux formes les plus usitées : le jihad pour le développement personnel au niveau spirituel et humain, c’est le jihad majeur. Et le jihâd di mineur, qui est la pratique militaire dans le cadre de la défense du territoire de l’islam, de ses biens et des populations lorsqu’ils sont agressés.

Aujourd’hui, le jihadisme est une idéologie extrémiste qui a recours au terrorisme pour exprimer son rejet de l’occident et son désir d’instaurer l’Etat islamique qui appliquerait intégralement le Coran dans la société globale.

Interrogations sur la portée de ces concepts et courants en Afrique de l’Ouest

Par quel moyen peut-on mesurer la pénétration de ces concepts et courants dans les sociétés africaines ? J’ai essayé d’observer les discours des religieux à travers les médias, lors des grandes manifestations religieuses dans les foyers confrériques. J’ai voulu interroger le nombre de protestations faites pour dénoncer les actions des terroristes. Enfin, le regard sur l’enseignement moderne.

Au Sénégal, en Afrique de l’Ouest, en général, (Mali, Côte d’Ivoire, Niger) l’explosion de la bande et la libéralisation médiatique a libéré des espaces d’expression qui ont vite fait d’être occupés par les prédicateurs salafistes déclarés ou non. La majorité des intervenants dans les médias partagent la même opinion et le même discours sur :

– Le Coran est notre constitution,

– La société doit être islamisée davantage,

– Il n’y aura de développement ni de stabilité tant que qu’on n’applique pas la Sharî’a,

– La violence actuelle est justifiée par le comportement de l’occident.

Il y a moins de deux semaines, dans une grande ville confrérique, un petit-fils du fondateur de laconfrérie, du haut de la tribune du prêche de vendredi disait que seul les peureux prétendent que le jihad militaire est révolu.

Il y a moins de deux semaines, dans une grande ville confrérique, un petit-fils du fondateur de la confrérie, du haut de la tribune du prêche de vendredi disait que seul les peureux prétendent que le jihad militaire est révolu.

Sur une radio de la place, un célèbre prédicateur, très bien écouté, exaltait les frères Kouachi et lisait un poème élogieux à leur honneur.

En ce qui concerne les dénonciations, il y a vraiment une très grande bienveillance à l’égard des salafistes radicaux. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai perçu aucune dénonciation vigoureuse (marche, communiqué, protestation) face aux exactions des islamistes, même pas au profit des filles de Shibock. Contrairement à ce qu’on a vu pour le fait divers du sac d’un jeune chanteur.

Si une étude sérieuse n’est pas à notre disposition pour mesurer le degré de pénétration, il y a quand même une donnée irréfutable : la récurrence du discours salafiste et islamiste dans les média et dans les discours des religieux.

Cette constatation est valable pour les pays de la sous-région où il existe des stations dédiées, souvent appelées radio Qurân, financées par les pays du Golfe.

L’autre élément qui peut mesurer la portée de ces courants réside dans les écoles franco-islamiques et les centres de mémorisation (tahfîdh) à travers le pays. Si l’on sait que la Fédération des associations de maîtres coraniques regroupe plus de sept cents associations qui détiennent un récépissé, et si l’on voit avec quelle détermination, la loi sur la modernisation des daaras a été rejetée, on peut avoir une idée la pénétration de ces courants, même si cela ne se fait pas publiquement.

Au demeurant, le rejet de l’enseignement public, et les récurrentes liaisons faites entre les critiques des avatars de société moderne et l’éducation à l’occidentale est un signe inquiétant. Lors d’une réunion avec les prédicateurs, au ministère de l’éducation sur la question de loi sur la modernisation des daaras, l’un d’eux déclarait : « ce sont ceux que vous avez éduqués qui manifestent dans les rues, qui brûlent les pneus, qui détruisent les biens publics, qui détournent les deniers publics, détériorent les moeurs, nous ceux que nous éduquons n’ont rien comme soutien de l’Etat, mais ils restent corrects ». Un autre dira, dans une émission qu’il anime sur une radio de la place : « Tous les déséquilibres de la société sont le fait des ressortissants de l’école publique. Jusqu’à présent on n’a pas donné l’opportunité aux sortants des daaras de montrer leurs capacités. Il est temps qu’ils accèdent au pouvoir ».

Y a-t-il un arrière-plan historique pour le radicalisme religieux?

Au chapitre précédent, nous avons montré les points sur lesquels le radicalisme se fondait. Et la démarche des Frères musulmans à travers leur logo et leur slogan nous amène à nous interroger sur la réceptivité de ces idées à partir de l’arrière-plan historique. Je voudrais proposer que l’on examine deux projets du 18e siècle en Afrique de l’Ouest : celui des Almamis prolongé par El H. Omar et celui de Dan Fodio.

Le projet des Almamis était-il un projet radical ? Et celui d’El H. Omar ? L’on ne peut pas parler de radicalisme à ce niveau vu le contexte impérial et conquérant. Mais la notion de jihad victorieux, en un moment donné, peut servir de mémoire pour les jihadistes des temps contemporains, pour justifier leurs actions comme une continuité, comme une fidélité à la mémoire des ancêtres.

C’est d’ailleurs ce qui s’est produit avec Abu Bakr Shekao, qui « rétablit l’émirat de Sokoto » lorsqu’il prête allégeance à l’OEI, le 24 aout 2014.il dit : « Je suis Aboubakar Shekao, guide de la communauté de la sunna pour l’appel et le jihâd, dans ce qu’on a appelé le Nigéria. Nous, nous ne reconnaissons pas l’appellation Nigéria, car nous sommes dans l’Etat du califat islamique. Ainsi, Nigéria ne signifie rien à DAESH ». Les observateurs ont établi le lien entre cette déclaration et l’évocation du premier califat au nord Nigéria consécutif au jihad de Dan Fodio (1754/1817).

Si l’on reprend la théorie de Dan Fodio dans ‘Nûr al-Albâb’, qui a servi de base au lancement de son jihad, l’on est frappé par la similitude de son argumentaire avec ceux des jihadistes modernes.

Les défis de la radicalisation sur les sociétés ouest africaines

Lorsqu’on revient sur l’agenda des doctrines salafistes islamiste, l’on a une vue claire de ce qui pourrait être des défis auxquels s’exposent les pays africains. Ils tournent  autour de la nature de l’Etat, de la diversité dans la société, de la pluralité des expressions, du respect des droits humains, de la pérennité de la démocratie.

La nature de l’Etat

En Afrique de l’ouest, l’Etat est de nature laïque. Une laïcité qui est héritée de la France et qui risque de nous coûter nombre de malentendus avec les populations.

Les islamistes ne cessent de dénoncer cette laïcité et de manipuler à travers prêches, émissions, conférences et autres occasions, les populations pour les dresser contre cette notion.

Ceci est d’autant plus facile que l’environnement socio-culturel permet une jonction entre certains aspects des traditions musulmanes avec les traditions africaines. L’on se rappelle la volte-face du gouvernement malien sur le projet de code la famille adopté par le parlement et renvoyé en seconde lecture par le Président de la République sur la base d’une forte pression des islamistes du Haut conseil islamique du Mali. Avant cela, le Sénégal avait adopté une loi sur l’excision mais avait établi un moratoire sur son application. Récemment, le projet de loi sur la modernisation des daaras a été retiré à cause des mêmes pressions des arabisants.

La laïcité de nos États, à cause de l’histoire de ses origines (ancienne colonie, anticléricalisme) risque d’être une ligne de fracture entre deux catégories de la population : ceux qui regardent vers l’ouest, les europhones et europhiles, peut-être et ceux qui sont orientés vers l’orient, arabophones et islamistes. Or, sur cette question, il y a consensus, sur le principe entre l’ensemble des secteurs de l’islam, même si dans les modalités de conquête il y divergence. Car les islamistes, même s’ils ne le disent pas n’écartent pas l’usage de la violence alors que les courants confrériques condamnent cela. Comme nous l’avons expliqué plus haut, la tonalité des condamnations des exactions des terroristes comparée à la virulence des manifestations contre l’homosexualité, contre la modernisation des daaras est un indicateur.

En outre, l’espace public risque de devenir, depuis que les sociétés civiles à caractère islamique y pris goût, un espace de conflit et non de dialogue comme l’avait plutôt voulu Serigne Abdoul Aziz Sy Dabbkah. Le risque du conflit sur la laïcité est d’autant plus grand qu’aujourd’hui, à la suite de la Conférence des oulémas d’Afrique, une résolution appelant à une structuration a été saisie au vol. Ce qui a entraîné la mise en place de la coordination des Oulémas d’Afrique, structure financée par l’Arabie Saoudite et qui regroupe les salafiste et wahhabites qui lui ont fait allégeance. Il y a là comme une volonté de créer les germes d’une oumma régionale, comme au Sénégal, le RIS est l’embryon d’une oumma local, selon leur conception des choses. Or, l’objectif final demeure l’érection d’un califat islamique avec le Coran comme constitution.

Dans cette volonté de regroupement, les finances sont importantes et elles proviennent de l’Arabie saoudite à travers le Wamy, la LIM, l’AMA ou d’autres agences à cet effet.

Diversité, pluralité et citoyenneté

Nos sociétés sont des sociétés plurielles de par leurs croyances religieuses et philosophiques. Cette pluralité est respectée par tous et l’Etat en est garant par le cadre législatif et réglementaire.

La citoyenneté permet de faire respecter l’égalité entre tous, en droit et en devoirs. C’est ce qui assure l’équilibre et l’équité au sein de la société.

Avec le projet radical, il y a un risque important à une « purification » de la société. Rien que le terme islamisation, que cela soit par le haut que cela soit par le bas, est assez éloquent pour percevoir les menaces sur la diversité et la pluralité.

L’Afrique de l’ouest est une zone de diversité ethnique, par conséquent culturelle. Le sort de palmyre, des Boudhas géants et des tombes de Tombouctou est assez éloquent pour montrer les risques qui se profilent à l’horizon avec le radicalisme.

Par ailleurs, la police des mœurs, comme nous l’avons vu dans les pays où l’Etat est estampillé islamique, et même lors de l’amère expérience de l’occupation du Nord Mali, montre à suffisance, que l’on va vers la mort de l’expression artistique, de la diversité culturelle, de la pluralité politique et médiatique et des libertés individuelles et publiques.

Démocratie et droits humains

La démocratie est considérée par les salafistes et islamiste comme une invention satanique de l’occident.

Même s’ils en usent et en abusent, ils ne cessent de la dénoncer. Il en est de même pour les droits humains, en particulier pour les droits de la femme et de l’enfant. Pour eux, il s’agit d’une idéologie concoctée par ce qu’ils appellent les coalisés (juifs, chrétiens et francs-maçons).

A ce niveau, l’agressivité des organisations de défense des droits de l’homme par rapport à l’homosexualité, à l’excision, et à tout ce qui touche à la famille, est une preuve que les droits de l’homme ne sont rien d’autre qu’une idéologie anti-islamique.

Au demeurant, le rapt des filles de Shibok (Nigéria), le mariage forcé des filles lors de l’occupation du Nord Mali, les discours des prédicateurs sur le mariage précoce et le mariage forcé, saut autant de points qui doivent alerter sur les risques du salafisme et de l’islamisme, en Afrique de l’Ouest.

Sécularisation et éducation

Il apparaît clair que le projet de globalisation de l’islam, par une réislamisation de nos sociétés, ne peut prospérer sans la formation d’une élite pétrie de cette idéologie et prête à la servir.

Deux secteurs sont importants pour cela : le secteur de l’éduction et celui de la communication de masse.

Tout comme la laïcité et les droits de l’homme l’école publique est pointée du doigt, dans ses contenus et ses méthodes. Ce n’est pas pour rien que la jam’a sunna li-tawhîd wal-jihâd, soit connu par leur slogan « boku haram ». le rejet de l’occident commence par le rejet de l’école qui reproduit ses idées et pratiques.

Ce même rejet est partagé partout en Afrique de l’ouest : au Sénégal, l’école est appelée « écolu tubaab », l’école du blanc, et le faible taux de scolarisation a amené les pouvoirs publics à compter les pensionnaires des écoles coraniques dans le tbs.

Le risque que l’on encourt ici, c’est que la multiplication des écoles arabo-islamiques, avec des programmes véhiculant les idées salafistes, aboutissent à une cohorte de gens lettrés en arabe, et hostiles à la société. C’est avoir une masse critique de personnes qui donnent la primauté au nationalisme religieux au détriment du patriotisme. C’est cela qui fait que nos enfants se mobilisent pour DAESH, ou autres choses au détriment de leurs propres patries.

Pourtant, il existe des exemples opposés à ceux-là car avant les indépendances, l’école Franc-mouride avait été créée par Serigne Cheikh Gaïnde Fatma, dans un milieu hostile à l’éducation séculière.

Dans la même veine, la famille Tidiane de Tivaouane envoyait ses enfants à l’école publique et même dans les écoles catholiques. Mon homonyme et guide spirituel, Serigne Abdoul Aziz Sy al-Amine a confié ses filles à l’école Sainte Ursyle à Thiès, et à Dakar, l’actuel Khalife des Tidiane et lui-même ont envoyé certains de leurs enfants à l’école des pères Maristes.

Or, en y regardant de près, c’est comme si nos États se laissent encercler par ces écoles ou medersas et ne sont pas conscients des enjeux qui s’y manifestent. Avec la Faculté africaine et la future université africaine financées par l’Arabie Saoudite, la régionalisation de la Oumma se précise. Former une élite ouest africaine aux mêmes idéaux, les préparer au même projet, et les libérer dans leurs pays respectifs pour poursuivre de travail de réislamisation par la base, et préparer d’autres pour le travail au sommet.

Quelles réponses alternatives au radicalisme religieux ?

Le radicalisme religieux est une idéologie qui se fonde sur une religion et une pratique ou une modalité extraterritoriale. De ce point de vue, il y a lieu de réfléchir sur une réponse fondée sur la même religion avec une modalité territoriale. Par ailleurs, les secteurs qui reflètent les menaces sont à investir pour élaborer des stratégies idoines de réponse.

A ce niveau les confréries sont des entités qui ont une excellente maîtrise des savoirs islamiques, et elles présentent l’avantage d’être des émanations d’une conjonction de l’histoire et de la culture du territoire.

C’est ce qui leur confère cette légitimité dont elles jouissent et cette conscience de leur responsabilité sur la survie du legs.

Comment tirer profit de ces entités?

Il est d’une importance capitale de les consulter sur certaines grandes questions qui engagent la société et la nation afin de les entretenir sur les enjeux et solliciter leur appui : toutes les grandes réformes, que ce soit institutionnel ou autres, les problématiques qui touchent la religion, comme le jihadisme et le terrorisme, les réformes sur l’éducation.

Il est utile de prendre en charge les besoins des confréries, en matière d’infrastructures utiles pour la communauté, qui peuvent être inclues dans les politiques publiques.

En ce qui concerne le système éducatif, outre la réforme des curricula qui doit prendre en charge la mémoire des territoires, l’histoire de l’islamisation, les fondements culturels de la cohabitation, il est utile de travailler sur un socle commun relatif au fait religieux dans la sous-région.il faut une approche régionale des curricula concernant l’histoire des religions et des idées, l’histoire de l’Afrique, l’éducation civique et citoyenne, la sécurité.

Au plan média

Le radicalisme tire profit de l’explosion médiatique et du vide laissé au niveau des espaces religieux. Il est impératif de corriger e vide et de mettre en place des structures légères, genre observatoire du discours religieux, non pas pour censurer mais pour proposer un discours alternatif.

Enfin, avec la velléité de régionalisation d’une oumma, qui réponde aux vues des salafistes, la réponse doit être l’encouragement des regroupements de leaders religieux et d’intellectuels musulmans éclairés, capables de proposer des plans d’actions dans le sens de contrer le radicalisme, avec intelligence, clairvoyance et efficacité.