Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
L’Afrique de l’Ouest est une vaste région extrêmement riche en ressources minières. Cependant, les pays qui la composent doivent faire face à d’énormes défis notamment économiques, politiques, sociaux et depuis plusieurs décennies sécuritaires. Aujourd’hui, l’espace Ouest-africain est confronté à divers actes terroristes, œuvres de groupes terroristes revendiquant ces opérations au nom d’un Islam à l’accoutumé solidaire, pacifique et spirituel. Ce courant de violence au nom de la religion musulmane affecte profondément les Etats de la sous-région et devient par conséquent un nouveau frein à leur développement. Il est donc nécessaire d’analyser les causes de cette radicalisation dans la sous-région ainsi que les défis auxquels elle expose nos sociétés et les possibles réponses à cela.
Les causes de la radicalisation en Afrique de l’Ouest
Pour en comprendre les causes, il est essentiel de s’interroger sur la notion de radicalisme. Selon le Lexique de Science Politique, d’une manière générale, le radicalisme désigne toute doctrine ou théorie politique proposant des thèses dont le but explicite est de rompre de façon radicale avec le système politique, social et économique en vigueur. Dans un tout autre sens, le terme désigne le mouvement politique qui se constitue en France au début du XXe siècle, avec la création du parti radical. Le radicalisme doit cette appellation à l’intransigeance défense de la République qui marque ses origines. Il caractérise en effet, sous le Second Empire (1852-1870), puis au début de la IIIe République, l’attitude de combat des défenseurs du modèle républicain, avant de désigner un courant républicain modéré, confronté sur sa gauche à la montée des socialismes, et sur sa droite aux adversaires de la République. Au début du XXe siècle, le terme « radicalisme » désigne désormais un mouvement politique. On évoque souvent le radicalisme révolutionnaire pour désigner, durant les périodes de renversement du pouvoir, les éléments les plus intransigeants, les plus extrémistes, qui souhaitent une rupture totale avec le passé, c’est-à-dire un changement radical de société qui suppose, le plus souvent, l’abandon des institutions, des règles et des traditions héritées de l’histoire. On parle également de radicalisme religieux pour désigner les mouvements fondamentalistes ou intégristes contemporains qui proposent une lecture stricte des Ecritures saintes et, assez souvent, conçoivent le développement de la religion et de la foi comme un combat contre les autres religions et toutes les forces culturelles, politiques, sociales ou économiques qui le soutiennent. Par conséquent, aujourd’hui, lorsqu’on aborde le thème du radicalisme religieux, on fait souvent référence à la religion musulmane considérée comme le seul courant de cette attitude extrémiste. Ce radicalisme religieux repose sur l’application stricte des textes sacrés ainsi qu’un retour au modèle des précurseurs de l’Islam afin d’y parvenir, le recours au jihad s’avère inévitable pour soumettre les mécréants.
Ainsi, quelques notions doivent être appréhender afin de mieux comprendre l’essence même de ces mouvements de violences en Afrique de l’Ouest.
- Le salafisme
Selon le Lexique de Science Politique, le salafisme est un mouvement sunnite dont la prédication invite à une renaissance de l’Islam par un retour aux origines. C’est un terme provenant du mot « salaf » signifiant prédécesseur ou ancêtre. Il renvoie aux compagnons du prophète Mahomet ainsi qu’aux deux générations qui lui ont succédé. Aujourd’hui, la nébuleuse salafiste enjoint les musulmans de se fonder sur une stricte lecture du coran et de la sunna (loi immuable d’Allah) et sur l’ensemble des hadiths (les faits et paroles prêtés à Mahomet et à ses proches). Ce mouvement apparaît cependant très hétérogène et constitue de différentes tendances, principalement quiétiste, laïque-salafiste et djihadiste. Mais qu’elles soient orientées vers la simple prédication ou au contraire vers le jihad armé, toutes partagent la conviction que seul l’Islam des premiers siècles est légitime et pur. Les salafistes refusent donc, toute réflexion théologique et s’oppose à fortiori à toute influence de la pensée occidentale (comme les idées de démocratie et de laïcité, accusées de corrompre la foi musulmane). C’est Mouhammad B. Abdel Wahhâb qui a été l’idéologue du salafisme le plus en vue aujourd’hui, lorsqu’il s’est approprié les idées d’Ibn Taymiyya. Il faut noter aussi que le salafisme n’est pas forcément violent. Cependant sa branche radicale elle est issue du Wahhabisme théorisé par les Frères musulmans notamment par Sayyid Qutb pour qui la société doit être islamisée, les modèles venant de l’occident doivent être rejetés et combattus, l’Etat doit être musulman même si le recours à la violence est nécessaire.
- L’intégrisme
Pour Olivier Nay, il représente toute doctrine et disposition d’esprit visant à préserver la totalité d’un système de pensée ou d’une religion. L’intégrisme se confond avec le fondamentalisme. Par extension, il désigne l’attitude de certains adeptes et partisans d’un système de croyances, le plus souvent religieux, qui au nom d’un respect intransigeant de la tradition, exigent qu’il reste fixé et ne subisse aucune adaptation, quelle que soit la société où il est en vigueur. Ainsi, d’un usage courant, ce terme apparaît aujourd’hui péjoratif et est souvent associé à l’idée de fanatisme.
- L’islamisme
Selon le Lexique de Science Politique c’est un ensemble des doctrines et des mouvements politico-religieux extrémiste appelant à la guerre sainte (jihad) contre l’occident au nom d’une conception radicale de l’Islam. C’est tout simplement la politisation de l’Islam. Les islamistes allient les interprétations les plus radicales du coran à un discours politiques de combats, mêlant les appels de la lutte contre les infidèles, la haine des juifs et d’Israël, le recours à la violence brute, et le mystique du martyre et de la rédemption céleste, et le sentiment de constituer une élite à la tête d’un mouvement universel.
- Le jihadisme
Le djihadisme ou jihadisme est définie selon le Larousse comme les idées et les actions extrémistes qui recourent au terrorisme en se réclamant de la notion islamique du djihad. Il revient donc de s’interroger sur le djihad. Le jihad est un concept politico-religieux que la tradition entend par l’effort du croyant pour demeurer fidèle aux prescriptions de la religion musulmane. C’est donc un effort sur soi-même pour atteindre le perfectionnement religieux. Mais, il signifie aussi, l’action armée pour étendre l’Islam, combattre les mécréants et, éventuellement le défendre. Pour Jarret Brachman, le jihadisme est un terme maladroit et controversé qui réfère au courant de pensée extrémiste islamiste, qui demande l’utilisation de la violence de façon à chasser toute influence non-islamique des territoires traditionnellement musulmans, ceci pour établir une gouvernance véritablement islamiste basée sur la charia. Il poursuit en nous disant que le premier principe du djihadisme est qu’il existe un complot pour détruire l’Islam dont les pays conspirateurs sont les pays chrétiens « croisés » et leurs alliés juifs et sionistes d’Israël. Cependant, Louis Martinez aborde le djihadisme sous un angle différent des précédents en parlant de djihadisme offensif, c’est-à-dire l’attaque d’un pays dans le but de convertir de force ses habitants ou frapper ici-même l’agresseur en l’occurrence les pays occidentaux mais aussi de djihadisme défensif afin de se battre contre l’envahisseur comme en Irak et en Afghanistan.
Les défis de la radicalisation sur les sociétés africaines
Au vu des différentes notions appréhendées ci-dessus, nous pouvons donc conclure que la majeure partie des défis auxquels s’exposent l’espace Ouest-africain repose essentiellement’ sur la nature même de l’Etat, la diversité dans nos sociétés, le respect des droits de l’homme ainsi que sur le principe même de la démocratie.
Dans la zone Ouest-africaine, les Etats sont de nature laïque du fait de modèles étatiques issus de la colonisation. Cette laïcité de l’Etat représente la première cause de lutte des islamistes. En effet, par le biais de prêches, d’émissions et de rencontres, ils ne cessent de manipuler l’opinion publique. Ces manœuvres sont facilitées par une certaine adjonction entre certaines traditions musulmanes et celles africaines. Cela peut être la cause d’une scission des sociétés africaines dans la mesure où on compte des europhiles souhaitant une société plus moderne, plus occidentale et les islamistes ayant le regard tourné vers les pays d’Orient et leur mode de vie.
En définitive, l’espace public, depuis la prépondérance des sociétés civiles à caractère islamique, menace de devenir une arène de conflits au détriment d’un lieu d’échange. Les menaces autour de la laïcité sont aujourd’hui de plus en plus importantes du fait de la résolution prise lors de la Conférence des Oulémas d’Afrique, qui appelle à une structuration. Ce qui a eu pour conséquence la mise en place de la coordination des Oulémas d’Afrique, armature financée par l’Arabie Saoudite et qui rassemble en son sein de nombreux Salafistes et Wahhabites. Conséquemment, la finalité de cette structure serait l’établissement d’un califat islamique avec le coran pour constitution.
Cependant, nos sociétés africaines sont des sociétés pluri formes du fait de leurs croyances religieuses théologiques et culturelles. Et ceci est garanti par la constitution et les textes de lois en vigueur. Ces derniers permettent de faire respecter l’égalité des droits et devoirs de tout un chacun. Ce qui assure l’équilibre et l’égalité au sein de la société. Avec la menace islamiste qui pèse de plus en plus sur nos sociétés, il y a un risque important de menaces de la diversité et de la pluralité. Le développement de branches radicales pourrait voir l’extinction de la diversité culturelle, de la démocratie, de l’expression artistique et médiatique ainsi que des libertés individuelles et publiques.
De plus, les salafistes et les islamistes considèrent la démocratie comme une invention démoniaque de l’occident visant à pervertir les peuples de même que tout ce qui se rapporte aux droits de la femme et de l’enfant. Ainsi, il s’agit d’idéologies anti musulmanes promues par les juifs, les chrétiens et les francs-maçons.
Aussi, du point de vue de l’éducation, l’école occidentale Afrique de l’ouest est vivement pointée du doigt par ces extrémistes musulmans. Pour eux, l’école occidentale ne fait que promouvoir et pervertir les fausses valeurs véhiculées par les pays de l’ouest. D’où cette multitude d’écoles Arabo-Islamiques qui promeut des valeurs islamiques plus justes. Cependant, il y a un risque que ces écoles forment des cellules d’hommes anti occident et hostiles à la société contemporaine. Ce qui pousserait certains à rejoindre des groupes terroristes comme DAESH ou des milices islamistes au détriment de leur pays d’origine
Quelques réponses alternatives au radicalisme religieux
Le radicalisme religieux menace de plus en plus les pays de la sous-région. Il est important d’y apporter quelques solutions alternatives afin de freiner son impact sur les populations les plus faibles. Ainsi, les secteurs qui reflètent le plus son influence doivent être investis pour élaborer les stratégies adéquates.
Dans ce processus, il serait bien d’intégrer des confréries religieuses qui sont des organismes garants des savoirs islamiques. De plus, elles bénéficient d’une certaine renommée ainsi qu’une certaine légitimité qui les fait perdurer d’âge en âge.
Par ailleurs, il serait avantageux pour les Etats Ouest Africains d’interroger ces confréries sur certaines grandes questions qui engagent la société afin d’en connaitre les enjeux et de bénéficier de leur soutien sur la plupart des grandes réformes ainsi que les problèmes qui touchent la religion comme le djihadisme et le terrorisme. Les Etats devraient ainsi accorder plus d’importance à ces confréries en leur construisant par exemple des infrastructures dans la mesure où cela pourrait profiter au communautaire.
Se rapportant au système éducatif, les États ouest africains et les grandes instances islamiques doivent collaborer afin que l’école arabo islamique ne puisse devenir un foyer de personnes hostiles à la société. Au plan médiatique, il est nécessaire d’encourager des regroupements avec des leaders religieux ainsi que des intellectuels musulmans confirmés capables d’approfondir les connaissances des populations sur la religion musulmane et de proposer des solutions pertinentes et efficaces contre le radicalisme.
Bernadette Judith Mendy (Extrait du Rapport de l’Atelier sous régional 2016 de Gorée Institute)