Défis actuels de la justice fiscale dans le secteur extractif au Sénégal : avis d’experts

Dans les quatre ou cinq prochaines années, le Sénégal doit, entre autres défis, accroître la capacité de l’Administration fiscale dans la définition et la mise en œuvre de politiques fiscales justes et efficaces en ce qui concerne l’exploitation du secteur minier. C’est à cet effet que des experts dans les domaines fiscal et géologique sollicités par l’Institut Gorée en décembre 2018 pour parler des défis actuels relatifs à la réalisation de la justice fiscale dans le secteur des minéraux au Sénégal ont donné leurs avis sur l’expertise en question.

Gouvernance et Justice fiscale dans le secteur extractif au Sénégal 

L’Enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Sémou Ndiaye, rappelant le contexte marqué par la situation du Sénégal qui est en passe de devenir un pays producteur de pétrole et de gaz, a évoqué la faible gouvernabilité du secteur qui, à son avis, fonde une injustice fiscale dans le secteur extractif, mais aussi les perspectives d’amélioration de la gouvernance du secteur extractif qui laisse entrevoir l’émergence d’une certaine justice fiscale dans ce secteur. Définissant les notions de gouvernance et de justice fiscale, M. Ndiaye précise que cette dernière est controversée. Pour renforcer la gouvernance dans le secteur extractif, il recommande d’assoir les bases d’une réelle justice fiscale.

Cadre juridique et institutionnel de la fiscalité du secteur des ressources énergétiques et des hydrocarbures au Sénégal 

Idrissa BODIAN, Ingénieur Géologue – Géophysicien, Professeur-vacataire à l’Institut des Sciences de la Terre (IST) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) a successivement mis l’accent sur le cadre juridique, contractuel et fiscal du secteur du pétrole et du gaz au plan international en guise de rappel, sur le cadre institutionnel et légal du pétrole et du gaz au Sénégal, sur le partage des revenus pétroliers avant de terminer en tirant un certain nombre de conclusions. Dans ses propos introductifs, il a rappelé la structure de la gouvernance du secteur du pétrole et du gaz et les fondamentaux de l’Etat. S’agissant des fondamentaux, il a notamment fait savoir que l’Etat poursuivait à la fois des objectifs financiers et non financiers (protection de la sécurité, de l’hygiène et de l’environnement). Ces objectifs peuvent converger ou diverger avec ceux des sociétés, mais le cadre juridique devrait pouvoir aider à les concilier. S’agissant du cadre juridique, il a rappelé qu’il était constitué du droit international, de la Constitution, de la loi et des règlements sur le pétrole, la législation fiscale sur le pétrole et le gaz, de la loi environnementale et des contrats pétroliers. Les meilleures pratiques en matière de conception juridique et réglementaire reposent sur les principes suivants : la clarté, l’harmonisation, la simplicité et la stabilité. C’est, dira-t-il, le cadre juridique qui détermine certaines questions essentielles notamment a propriété du pétrole et du gaz tant dans le sous-sol qu’à l’exploitation qui varie suivant la nature qui lie l’Etat à la société pétrolière, même si le principe fondamental reste la souveraineté de l’Etat sur ses ressources conformément aux résolutions des Nations Unies notamment la résolution 1803 (XVII) de l’AGONU. C’est également le cadre juridique qui détermine, selon lui, les modalités d’intervention directe et indirecte de l’Etat, ainsi que la typologie, les procédures d’attribution et de validation des contrats pétroliers. Concernant le cadre institutionnel, il a indiqué que le secteur était placé sous la tutelle du Ministère du Pétrole et de l’énergie. Les supports institutionnels sont constitués principalement de PETROSEN et la Direction des hydrocarbures. D’autres structures interviennent. Il s’agit du COS PETRO GAZ, de l’ITIE, du Ministère des Finances et du Ministère de l’environnement. Pour ce qui est de la fiscalité, il a passé en revue les principaux impôts et taxes applicables au secteur du pétrole et du gaz. De ses explications, on retiendra que le régime fiscal est conçu selon les trois (3) familles de contrats à savoir le contrat de concession, le contrat de recherche et de partage de production et le contrat de service. Le régime fiscal de la concession repose sur un système d’impôts et de redevances alors que le régime fiscal du contrat de recherche et de partage de production et du contrat de service est fondé sur un système fiscal de partage. Il y a lieu également de distinguer entre les impôts assis sur le profit et les impôts assis sur la production.

Cadre juridique et institutionnel de la fiscalité du secteur des ressources minières au Sénégal 

Elimane POUYE, Inspecteur principal des Impôts, Auditeur interne à la Direction du Contrôle Interne de la Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID) a indiqué que ce cadre juridique et institutionnel présente deux caractéristiques principales : un cadre en mutation et une rénovation qui apparait toutefois inachevée. Le cadre juridique était constitué par le Code général des impôts, le Code minier et le Code minier communautaire. Le code général des impôts constitue depuis 2012 le cadre juridique encadrant la fiscalité des ressources naturelles. Le Code minier, malgré la réforme de 2012, comporte quelques dispositions fiscales spécifiques. Quant au Code communautaire, il encadre les législations nationales sur lesquelles elle prime en principe, mais elle souffre d’un manque d’effectivité. En termes de contenu, ce cadre juridique est marqué par d’importantes exonérations fiscales et douanières en phase d’exploration et de développement et d’exonérations fiscales   en phase d’investissement. Il a ensuite passé en revue les différents impôts et taxes perçus en phase d’exploitation et applicables à des revenus d’ordre général ou spécifiques. S’agissant du cadre institutionnel, il a mis l’accent sur les structures compétentes avec leurs prérogatives en termes de recouvrement de définition de l’assiette, de comptabilisation ou de gestion et les impôts et taxes concernés. Il distinguera entre les mécanismes de collecte des mécanismes de gestion. Le caractère inachevé reste lié à une législation disparate et illisible. Il a ainsi questionné le caractère de prélèvement fiscal ou de taxe parafiscale des droits, redevances et taxes contenus dans le Code minier. Pour lui le caractère inachevé est également lié à la gestion institutionnelle essaimée des prélèvements fiscaux.

Impact social (réel ou potentiel) des revenus tirés du secteur des ressources énergétiques et des hydrocarbures au Sénégal

Demba SEYDI, Coordonnateur Régional Afrique de l’Ouest Francophone de la Coalition « Publiez Ce Que Vous Payez International », parlant des revenus dans le secteur minier, a d’abord fait observer leur constante augmentation dans le domaine minier. Ces revenus sont ventilés entre le Fonds d’appui et de péréquation des Collectivités territoriales, le Fonds d’appui au développement local et le Fonds de réhabilitation des sites miniers. Le problème majeur demeure leur opérationnalité en raison des critères définis. Ainsi si une commune comme Kédougou pourrait bénéficier d’une dotation de plus d’un milliard de FCFA, d’autres communes risquent de se retrouver avec 50000 FCFA. Dakar pourrait également bénéficier d’une dotation importante. Il s’y ajoute qu’à ce jour l’Etat n’a jamais reversé l’argent collecté. Dans le domaine pétrolier et gazier des lois sont en gestation et en passe d’être adoptées : un nouveau code pétrolier, une loi sur le contenu local et une loi portant répartition des revenus générés par le secteur pétrolier et gazier. En ce qui concerne la répartition des revenus, la proposition annoncée par le Gouvernement est de les ventiler entre le budget de l’Etat, un Fonds d’investissement et un Fonds pour les générations futures.

La justice fiscale et la répartition équitable des revenus tirés des ressources pétrolières et gazières 

Thialy FAYE, Expert fiscaliste, Représentant du Forum Civil au Conseil Présidentiel de l’Investissement (CPI) a tenu d’abord à préciser que l’analyse porterait exclusivement sur la répartition des revenus dans le secteur du gaz et du pétrole. Il a également rappelé l’importance de l’impôt et de la justice fiscale dans le contexte d’une Afrique qui a besoin de beaucoup de ressources financières. Dans le cadrage conceptuel, il est revenu sur les notions de justice fiscale et d’injustice fiscale. Un accent particulier est mis sur l’injustice fiscale dont il analyse les causes à savoir principalement les flux financiers, ses facteurs et moteurs et les moyens pour y faire face. S’agissant des revenus, M. FAYE abordera successivement les questions liées à leur répartition, aux caractéristiques de recettes, aux scénarios des politiques budgétaires, aux instruments et mécanismes de gestion des revenus ainsi qu’à la gouvernance et à la transparence des fonds de ressources naturelles.

Bientôt, le Gorée Institut va procéder à la publication d’un Document de plaidoyer sur les défis actuels de la justice fiscale dans le secteur extractif au Sénégal