Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Les 27 ans de « règne » de Blaise Compaoré au Burkina Faso ont été marqués par une relative stabilité. Cependant, celle-ci a été remise en question depuis l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et à nouveau par la tentative de coup d’Etat du 17 septembre 2015. Le pays des hommes intègres se relève progressivement de la crise depuis la dernière élection présidentielle et laisse envisager un espoir de renouveau démocratique. Toutefois, le Burkina Faso reste confronté à divers défis sécuritaires. Certains enjeux sont les conséquences de l’insurrection populaire de 2014 tandis que d’autres sont des questions classiques qui ont cependant pris de l’ampleur ces dernières années.
Les conséquences de l’insurrection populaire
En Afrique de l’Ouest, la lutte pour le pouvoir politique est la source de la majorité des conflits et violences observés au cours des dernières décennies. Cela se traduit par des tentatives de révision de la Constitution par les dirigeants pour prolonger leur mandat ou encore des refus de céder le pouvoir aux vainqueurs des élections. Au Burkina Faso, la population a résisté courageusement et avec succès à ce phénomène. Des manifestations se sont déclenchées après la tentative par Blaise Compaoré de modifier, au mois d’octobre 2014, l’article 375 de la constitution afin de se présenter à nouveau en 2015.Le projet de loi visant à changer la constitution a finalement été retiré le 30 octobre. Toutefois, cela n’a pas suffi à une grande partie de la population, qui a continué à manifester, refusant de s’arrêter tant que Blaise Compaoré n’aurait pas quitté le pouvoir. Ce dernier a finalement démissionné le 31 octobre 2014 laissant place au gouvernement de transition. Un an plus tard, pour la première fois dans l’histoire du pays, les Burkinabè ont choisi un président civil à la suite d’élections libres et transparentes le 29 novembre 2015. Ces événements peuvent donc être considérés comme un espoir pour un renouveau de la démocratie burkinabè. Cependant, ils ont entrainé une déstabilisation du pays. Ainsi peuvent être cités comme conséquences, l’émergence des « koglwéogo », l’incivisme grandissant au sein du pays, la difficulté à organiser les élections communales ainsi que la rupture de confiance entre la justice et les citoyens.
La perte de l’autorité de l’Etat et l’émergence des « Koglwéogo »
L’Etat, affaibli par l’insurrection populaire, a progressivement perdu son autorité sur le territoire national. Les services de défense et de sécurité ont fait face à de nombreuses contestations de la part de la population qui a perdu confiance en leur mission de protection des biens et des personnes. De ces mécontentements se sont constitués en milieux rural, des milices d’autodéfense appelés « koglwéogo ». Ces groupes entendent défendre leurs intérêts face à la recrudescence de la violence dans les zones rurales. Ils essaient de se substituer à l’Etat et défient les forces nationales en créant des barrages, en vérifiant les pièces d’identités à la place de la police et en imposant des couvre-feux. Ceci représente un danger pour les populations puisqu’ils exercent un pouvoir arbitraire sur celles-ci et dans le même temps affaiblissent les services de sécurité nationale. De nombreuses dérives ont été dénoncées comme des arrestations et détentions arbitraires de supposés délinquants, le rançonnement ainsi que la pratique de la torture entrainant dans certains cas la mort. La possibilité que des éléments extérieurs infiltrent les rangs des Koglwéogo n’est pas non plus à exclure. Les autorités du pays tentent de composer avec ces milices en les sommant de respecter les règles de droits ainsi que les autorités. Dans cette optique, une rencontre nationale s’est tenue le 22 juin 2016. Elle s’est néanmoins soldée par un échec puisque les Koglwéogo ont publiquement rejeté l’injonction du gouvernement. Toutefois, selon Simon Compaoré, Ministre en charge de la sécurité intérieure, lors d’un dialogue citoyen tenu le 30 juin 2016, ces groupes d’autodéfense se seraient engagés à respecter les lois de la République.
Un incivisme grandissant
Le pays des hommes intègres fait face à un incivisme grandissant depuis l’insurrection de 2014. Si la déperdition des valeurs sociales touche l’ensemble de la population, indifféremment de la classe sociale, elle est surtout accentuée au niveau de la jeunesse. Elle se manifeste par la pratique d’une justice privée, des actes de vandalisme, un manque d’intérêt pour la chose publique, le nonrespect de l’autorité de l’Etat, de l’intolérance ainsi que par des revendications tout azimut. Cette situation atteint même le système éducatif. Dans certains établissements scolaires comme les lycées de Nagaré, Gounghin ou encore Ouahigouya, des élèves s’en sont pris à leurs professeurs en détruisant leurs biens et parfois même en les séquestrant. Ce phénomène reste une préoccupation majeure quant à l’évolution de la société. Il convient toutefois de souligner que les jeunes burkinabè sont dans une position délicate qu’ils évoluent en milieu rural ou urbain. Les principaux problèmes auxquels est confrontée la jeunesse rurale sont le sous-emploi, le non accès aux terres cultivables, l’insécurité foncière, l’analphabétisme ou encore l’exposition aux maladies endémiques. Quant à la jeunesse urbaine, elle est surtout touchée par le chômage, la délinquance juvénile, la prostitution, l’alcoolisme, le tabagisme et la drogue, le manque de formation qualifiante ou encore l’influence négative des médias.
Des élections locales contestées
A l’occasion des élections municipales du 22 mai 2016, le pays a enregistré une vague de violence sans précédent. Des affrontements entre militants ont fait deux morts et de nombreux blessés. Des maires et conseillers municipaux ont été pris pour cible, lynchés et leurs biens vandalisés. Ces événements ont été observés dans les localités de Gomboro, Péni, Kanchari, Sabcé, Kongoussi, KarangassoVigué, etc. En raison des troubles, les citoyens de trois communes rurales n’ont pu voter tandis que les populations d’une vingtaine de communes se sont trouvées dans l’incapacité d’élire leurs exécutifs, du fait de tensions locales. Dans d’autres communes, ce sont les résultats qui ont été contestés de manière violente. Selon les médias locaux, ces violences postélectorales ont engendré le déplacement de quelques centaines de personnes fuyant les exactions, notamment à Bobo-Dioulasso.La crainte est de voir les communes concernées dirigées par des délégations spéciales mais également que d’autres se trouvent bloquées dans leur fonctionnement du fait des tensions sociales.
Une gestion délicate des affaires de justices
La récente gestion de plusieurs affaires judiciaires a entrainé une rupture de confiance entre la justice et les citoyens qui pourrait créer des tensions au sein du pays. La mise en liberté provisoire accordée à certaines personnalités de l’ancien régime suspectées d’être impliquées dans les répressions contre les civils en octobre 2014 et septembre 2015 a donné lieu à de nombreuses manifestations. C’est le cas d’Eddie Komboïgo, président de l’ancien parti au pouvoir le Congrès pour la Démocratie et le Progrès dont la libération pour des raisons de santé a suscité de vives réactions de certaines organisations de la société civile. Les familles des victimes de la répression au moment de l’insurrection populaire ont demandé justice. Il est important de ne pas laisser les crimes relatifs aux violations de droits humains perpétrés par les forces de sécurité impunis. La gestion non diligente de ces dossiers sera de nature à alimenter les tensions.
Des défis sécuritaires « classiques »
La menace du terrorisme islamique
Les frontières burkinabés se caractérisent par leur porosité. Cela représente un danger pour la sécurité du pays surtout au Nord avec le Mali et le Niger. Ces zones ont fait l’objet de nombreuses attaques. Parmi celles-ci peuvent être citées l’attaque du poste frontalier d’Intangom en juin dernier, du Commissariat de police de Koutoukou en mai 2016 ainsi que desGendarmeries de Oursi et de Samorogouan en août et octobre 2015. Des expatriés ont également été enlevés dans les villes de Tambao et Djibo en avril 2015 ainsi qu’en janvier 2016. Ce manque de contrôle des frontières engendre le risque d’exportation de l’instabilité des pays voisins au Burkina. Selon plusieurs experts, l’accord tacite de non-agression qui lierait la rébellion malienne au Président Blaise COMPAORE n’a plus sa raison d’être maintenant que le pouvoir a changé de camp, ce qui expliquerait les différentes attaques. La capitale Ouagadougou a aussi été victime d’un attentat à l’hôtel Splendid et au bar-restaurant Cappuccino en janvier dernier, revendiqué par AQMI et faisant 30 morts et 150 blessés. L’Etat burkinabè craint l’installation progressive de la radicalisation islamiste au sein du pays. Pour cause, deux burkinabè âgés d’une trentaine d’années qui avaient le projet d’installer une katibat, c’est-à-dire une cellule djihadiste, dans le pays ont été arrêtés en décembre dernier. Radicalisés au Niger, ces jeunes avaient en leur possession une ceinture d’explosifs, de deux grenades et d’une forte somme d’argent. Ils ont reconnu avoir pris part à certaines attaques djihadistes au nord Mali, notamment contre la MINUSMA.
Le contrôle démocratique du secteur de la sécurité
Il est largement reconnu que les forces armées et de sécurité peuvent tout autant protéger que menacer la démocratie. Leur efficacité exige souvent des actions rapides, souples et secrètes. Ce constat peut justifier de s’écarter des normes de contrôle appliquées aux autres types de services publics. La vulnérabilité des Etats ouest-africains associée à la nature diffuse des menaces qui pèsent sur eux, entrainent souvent des dérives de la part des services de sécurité. Pourtant, le respect de l’ordre constitutionnel par ces services reste l’une des conditions préalables à l’établissement d’une société pacifique, stable et démocratique. L’une des solutions à cet enjeu majeur réside dans le contrôle démocratique du secteur de la sécurité. Au Burkina Faso, ce contrôle est quasi inexistant. Dans l’optique d’assurer la transparence et l’obligation de rendre compte des forces armées et de sécurité, le National Democratic Institute (NDI) a pris l’initiative d’organiser en juin dernier, une formation pour les parlementaires burkinabè afin de renforcer leur capacité en matière de contrôle et de surveillance démocratique du secteur de la sécurité. Cette formation se fait notamment dans la perspective de l’installation d’une Agence nationale de renseignement prévue pour 2017.
La gestion du foncier en milieu rural
La gestion du foncier constitue une bombe à retardement au Burkina Faso. Depuis l’essor considérable du secteur minier et la politique de promotion de l’agrobusiness en vigueur, de plus en plus de paysans se voient expropriés de leurs terres. Cette situation alimente les frustrations ainsi que les sentiments d’inégalités faisant émerger des troubles communautaires qui se traduisent par des conflits entre agriculteurs et éleveurs. Par ailleurs, les femmes burkinabè assument toutes les corvées au sein de leur foyer, elles vont chercher de l’eau potable, du bois, cultivent les champs, vont vendre sur les marchés, s’occupent des repas ainsi que de leurs enfants. Toutefois, ces dernières souffrent de discrimination en milieu rural. Selon les règles traditionnelles la propriété foncière se transmet de père en fils ce qui a toujours exclu de fait les femmes en la matière. Elles bénéficient d’une autorisation d’exploitation des champs qu’elles travaillent mais n’en sont pas propriétaires. Malgré la loi rurale de 2009, qui visait entre autre à faciliter l’accès des femmes à la terre, des facteurs structurels entravent leurs droits fonciers. En raison du nombre affolant de mariages précoces forcés, l’éducation est niée aux jeunes burkinabaises. L’analphabétisme empêche ces dernières d’accéder aux moyens 6 nécessaires à la défense de leurs intérêts comme par exemple entreprendre des démarches pour obtenir un financement et ainsi acquérir des terres. Elles sont donc tributaires de la bonne volonté de leur mari qui bien souvent ne leur accorde pas de titre de propriété par peur que la terre sorte du cercle familial en cas de divorce. La terre se transforme ainsi en instrument de domination masculine. Le risque de tout perdre laisse les burkinabaises vulnérables aux violences basées sur le genre. De cela ressort la nécessité d’une politique d’éducation en faveur des jeunes filles qui pourrait faire émerger des femmes leaders dans les instances de décisions locales afin de défendre les intérêts de leurs pairs. En gros, le Burkina Faso est confronté à des menaces d’origine multiples. Tout d’abord, la rupture de confiance entre les différents services de l’Etat et les citoyens engendre une certaine instabilité qui se manifeste par de nombreuses revendications violentes de la part de la population, une déperdition des valeurs sociales ainsi que la volonté des citoyens de se faire justice et d’assurer leur propre protection. Ce climat de tension déstabilise le fonctionnement des institutions notamment celles relatives à la sécurité publique. Les forces de sécurité sont pourtant bien sollicitées dans un contexte de menaces d’attaques terroristes dans le pays. Pour remédier à ces problèmes, il faut travailler à recréer une cohésion sociale et à réconcilier les citoyens avec les autorités étatiques. Du point de vue sécuritaire, l’Etat burkinabè doit reprendre possession du territoire, peut-être est-il envisageable de former des réservistes à travers le pays pour assurer la sécurité sous le contrôle de l’autorité étatique. Le pays devrait également accroître la coopération avec les Etats frontaliers pour le contrôle des frontières communes et envisager de s’appuyer sur le G5 sahel pour mettre en place une force de coalition puissante contre les groupes terroristes.
Source : Rapport 2017 du Gorée Institute sur LES ENJEUX SECURITAIRES EN AFRIQUE DE L’OUEST : FOCUS SUR LE BURKINA FASO, LA GUINEE BISSAU ET LE SENEGAL