Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
L’Afrique de l’Ouest connaissait déjà des problèmes et troubles liés aux mutations politiques et processus démocratiques en cours. Le radicalisme religieux souvent accompagné par des attaques terroristes menacent voire compromettent ce processus de démocratisation. L’exemple du Burkina Faso est très illustratif avec les attaques terroristes au lendemain de l’élection présidentielle dont le déroulement avait été salué par toute la communauté internationale.
Ces élections mettaient fin au régime de transition et devaient inaugurer une période d’accalmie propice au développement économique et à la stabilité qui lui est préalable. C’est-à-dire que la question du radicalisme avant d’être un problème sécuritaire est d’abord liée à la gouvernance. La radicalisation, pouvant aboutir à des attaques terroristes, pose une réelle question de développement économique car elle compromet la stabilité politico-sociale sans laquelle aucune avancée n’est possible. Ses conséquences affectent déjà l’activité économique en ralentissant des secteurs entiers tels que le tourisme.
Les régions du Nord Nigeria et celles du pourtour du Lac Tchad en ont déjà fait les frais. On note depuis quelques mois une situation inquiétante au Niger comme au Nigeria voisin avec une quasi-faillite du tissu économique. Une telle situation se répercute au plan socio-économique sur l’emploi avec des milliers de jeunes désœuvrés se tournant vers les mouvements.
L’exemple de Diffa dans le sud du Niger est assez éloquent dans ce sens où « toutes les activités sont menacées pour couper les ressources au groupe islamique Nigériane « Boko Haram ». A côté des conséquences économiques et des déplacements de populations, on peut noter les cas des camps de réfugiés causant parfois des crises humanitaires.
Les conséquences sont d’ordre politique avec des menaces sur la démocratie des pays de la sous-région, des menaces économiques et sociales qui ont souvent des conséquences sur les libertés publiques et les droits de l’homme. « La question terroriste est souvent source des violations des droits de l’homme, et il faudra que ça s’arrête », soutient Alioune Tine, le directeur régional d’Amnesty International.
Certains gouvernants profitent souvent de la lutte contre le terrorisme pour prendre des mesures liberticides au point d’aboutir à une violation des droits de certaines populations, ethnies et groupes particuliers au nom de la lutte contre le terrorisme. Du coup les conséquences sont nombreuses et les luttes contre le phénomène terroriste sont parfois même source de frustrations récupérables par les mouvements djihadistes.
Le cas malien présente l’intérêt de constituer un risque pour tous ses pays voisins. Dans ce pays, le front du djihadisme se déplace et se consolide dans et à partir du centre avec des attaques récurrentes touchant les localités de Nampala, Ténenkou, Boulkessi, Diogofri et Dioura. En août 2015, dans un attentat dont le modus operandi ressemble fort bien à celui de Bamako, c’est l’Hôtel Byblos de Sévaré qui sera pris pour cible lors d’une attaque coûtant la vie à, au moins, quatre employés d’une société sous-traitante de la MINUSMA.
Ces récents développements marquent un tournant décisif sur l’existence d’un double front djihadiste au Mali : le Nord comme zone charnière facilitant la jonction avec les autres groupes terroristes de l’espace sahélo-saharien, et le nouveau creuset dans le centre dont le djihadisme se nourrit symboliquement d’un imaginaire et d’une historicité faisant sens chez les jeunes cibles des recruteurs.
Lors d’un atelier sous régional sur le radicalisme religieux tenu en 2016 au Gorée Institute, la situation malienne a été l’occasion d’un vif échange qui a permis de faire un diagnostic sans complaisance du phénomène de radicalisation dans ce pays, au regard de son rapport avec la sécurité de toute la sous-région.
Beaucoup ont évoqué un élargissement du théâtre d’opération dans le Centre et le Sud qui risque de devenir le nouveau casse-tête stratégique de la communauté internationale qui a beaucoup de mal à stabiliser le Nord et qui se retrouve piégé dans un inévitable interventionnisme aux lourdes conséquences politiques. Ce, au moment où les critiques fusent de partout contre la MINUSMA qui, pourtant, a fait des avancées considérables dans le travail de stabilisation. Mais de telles attaques verbales sont parfois amplifiées par un discours populiste de la part d’une classe politique, elle aussi, responsable de la situation présente. Pendant ce temps, les différents courants islamiques se prêtent à un jeu de surenchère dangereuse, par sermons et mosquées interposés, rivalisant, de plus en plus, sur le terrain glissant d’un radicalisme religieux par réaction plus que jamais accentué.
Les dernières attaques en Côte d’Ivoire et avant elles les attentats de Ouagadougou ont signé la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest pour ce qui est des menaces sécuritaires en lien avec la montée du radicalisme religieux. Ces récentes attaques ont introduit un fait nouveau venu complexifier, davantage, l’analyse des risques : ces derniers ne peuvent plus être évalués selon des critères strictement internes. Le risque est devenu transnational et peut venir de l’extérieur même en l’absence de relais idéologiques internes organisés.
De ce fait, comme l’ont démontré les différentes interventions lors du séminaire, l’approche régionale que l’Goree Institute a voulu privilégier, s’impose comme une nécessité mais aussi la coordination des efforts nationaux, sous-régionaux et internationaux. C’est dans ce sens que les partenaires internationaux doivent aussi veiller à une meilleure coordination de leurs stratégies et initiatives en direction des pays de cette région et, surtout, d’y associer la société civile depuis la conception jusqu’à la mise en œuvre, afin d’éviter le hiatus habituel entre plans « topdown » et perception locale des acteurs destinataires.
Source: Rapport Atelier sous régional sur « Le radicalisme réligieux et les menaces sécuritaires en Afrique de l’ouest : perspectives nationales et régionales », Gorée Institute 2016