MÉDIATEURS EN AFRIQUE DE L’OUEST : les expériences de l’Ambassadeur Said Djinnit

La Poignée de Mains : Apprendre à connaître nos médiateurs

Le Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’ouest (UNOWA) a notamment pour mandat de mener des missions de bons offices et des missions spéciales dans différents pays de la sous-région, comme la Mauritanie. Il le fait au nom du Secrétaire général des Nations unies, et concentre ses activités sur la prévention des conflits et le renforcement de la paix, et, en tant que tel, partage avec la Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) la tâche de répondre aux questions de la médiation dans la région. De récents pays d’attention ont été la Guinée, le Niger, la Mauritanie et la Guinée-Bissau.

L’actuel représentant spécial du Secrétaire général (RSSG), Son Excellence l’ambassadeur Said Djinnit, un diplomate algérien chevronné, a une expérience conséquente dans le domaine de la médiation sur le continent africain. Tandis qu’il concentre actuellement son activité sur l’Afrique de l’ouest où il a été profondément impliqué dans les efforts de médiation en Guinée et en Mauritanie, dans son rôle en tant que Commissaire de l’Union africaine pour la paix et la sécurité il a soutenu le processus de paix en Éthiopie-Erythrée, en République Démocratique du Congo, au Burundi, aux Comores, à Madagascar, en Sierra Leone, en République Centrafricaine, en Côte-d’Ivoire, au Liberia, au Soudan et en Somalie.

Il semble essentiel de bénéficier de son analyse et de ses expériences comme une introduction et une vue d’ensemble de la médiation en Afrique de l’ouest. Avec sa vaste expérience, non seulement partage-t-il simplement ses réflexions, mais il offre également des opportunités de voir tout cela à partir d’un angle comparatif, à travers des lunettes plus continentales, qui vont au-delà de la région.

Sous l’arbre à palabres : Expériences personnelles de la médiation

L’une des convictions les plus essentielles de l’ambassadeur Djinnit situe le processus de médiation au sein d’un groupe plus large de mécanismes de renforcement de la paix et de résolution des conflits, allant de la diplomatie préventive au maintien de la paix. Il met en garde contre l’avis de certains qui voient dans la médiation la solution globale et la solution la plus pacifique pour la résolution et la prévention des conflits en disant : « Vous savez, je pense que la médiation est encore utile, je crois qu’elle est utile, mais elle est limitée dans le temps. Vous ne pouvez pas vous engager dans une médiation à tout moment. Vous y recourrez quand vous pensez qu’il y a de l’espace, et qu’il y a une opportunité, et qu’il y a une atmosphère pour la médiation. La médiation est essentiellement fournie quand les parties antagonistes en viennent au point de penser qu’elles ne peuvent pas faire avancer leurs vues à leur manière. »

Cela est souvent désigné comme la situation « mûre ». Il est clair que différentes agences d’intervention peuvent avoir un impact sur l’accélération ou le ralentissement du processus de médiation, mais il est également clair que l’essentiel dépend des dynamiques du conflit et de ses acteurs. Il est clair pour l’ambassadeur Djinnit, qu’avec la médiation, la bonne volonté des acteurs de venir tout d’abord à la table des négociations est essentielle. Cela n’est pas viable autrement. Comme il le voit, ce qui amène les acteurs à la table des négociations n’est pas toujours un simple désir pour la paix, mais plutôt quand les parties « ont épuisé les options, alors elles ne voient pas d’autres options, et quand cela est réalisé par les deux parties également. »

Il souligne également l’importance du calendrier du processus, et met en valeur le fait que la médiation ne peut être utile que si cela est exploité, en disant « la médiation est utile si elle arrive au bon moment, quand les parties sont ouvertes et sont prêtes pour recevoir une médiation ; ainsi, cela dépend de la nature des conditions pour les parties au conflit pour recevoir la médiation et le conseil. »

Son expérience et son implication dans les processus de médiation sont riches. Il explique qu’en Afrique de l’ouest le travail de l’UNOWA implique essentiellement le soutien des efforts de médiation de la CEDEAO. Il partage certaines expériences particulières dans lesquelles il a été plus profondément impliqué pour illustrer les nuances dans les approches selon la nature du conflit. En Mauritanie ils ont eu à répondre à un coup d’État. Ici, explique-t-il, « quand le coup d’État a eu lieu en Mauritanie il a été condamné par la communauté internationale, notamment par les Nations unies. Nous avons établi le groupe de contact international, et le président Wade fut le médiateur en chef. Ensuite nous avons constitué un noyau dur pour le soutenir. Nous avons travaillé très étroitement avec lui, afin de parvenir à un accord de médiation, que nous avons éventuellement appelé l’accord de Dakar. Il a été adopté ici à l’hôtel Méridien de Dakar, et signé formellement à Nouakchott ; mettant en présence les auteurs du coup d’État et l’ancien président qui avait été déposé, pour établir le gouvernement d’unité nationale devant mener aux élections. Au moins y a-t-il eu un retour à l’ordre social jusqu’aux élections. »

Le cas de la Guinée, de l’autre côté, a été très différent. Il y avait bien entendu des éléments similaires, mais comme il l’a expliqué clairement, les questions et les scénarios impliqués dans la médiation d’une lutte politique, sans violence prolongée, sont entièrement différents, mais certainement pas moins complexes.

Il a exprimé à quel point peuvent être frustrantes les innombrables et régulières négociations en disant : « Tout d’abord nous avons négocié le fait qu’il fallait aller vers des élections, le premier tour. Je veux dire, même obtenir un premier tour a dû être négocié…Et alors la première chose dans laquelle nous avons été impliqués était d’assurer que la transition continue sans Dadis Camara, parce que nous avons toujours suspecté qu’il pourrait être un obstacle au retour de l’ordre social. Et ensuite, nous nous sommes mis d’accord sur une transition. Et enfin nous avons obtenu un gouvernement composé de personnes se battant en faveur d’élections. Une fois arrivés au pouvoir, ils ont dit qu’il ne fallait plus organiser des élections, pas maintenant. » Nous voyons ainsi ici, comment s’engager avec des personnes et avec leurs perceptions et désirs changeants pour le pouvoir, indique que ce qui peut apparaître comme une résolution à un moment donné peut facilement évoluer.

Les frustrations liées à la continuation des négociations dans la crise de Guinée continuent, comme l’explique l’ambassadeur Djinnit, la situation changeant tout le temps et le défi étant maintenant d’arrêter une date pour le second tour de l’élection présidentielle : « Maintenant, là où nous sommes c’est d’obtenir un second tour. Nous pensions nous être mis d’accord la semaine dernière et maintenant il y a un nouveau problème : la Commission électorale nationale indépendante de Guinée (CENI). Son président meurt et les membres de la CENI décident d’élire un nouveau président, et l’un des candidats déclare que cela n’est pas juste…juste pour vous dire que nous ne négocions pas un conflit en tant que tel, mais une série d’obstacles à des élections pacifiques qui, nous le croyons, délivreront le peuple et le pays de la situation du régime militaire, en faveur d’un régime démocratique qui finira par ressembler aux autres régimes d’Afrique qui essaient de gérer leurs pays. »

Avec sa vaste expérience il semble qu’il y ait trop de leçons à apprendre et tant d’expériences à partager, cependant l’ambassadeur Djinnit est disposé à partager certaines de celles qui furent les plus remarquables. De son expérience avec le processus de paix libérien il dit : « Je n’oublierai jamais quand les femmes du Liberia sont venues à Accra et ont décidé de ne laisser aucun homme impliqué dans les négociations quitter la conférence avant d’avoir trouvé un accord. »

Ainsi, ce ne sont pas seulement les actions des individus ou les expériences qui sont notables, mais aussi les leçons qu’il a apprises d’eux. Il a été assez aimable pour partager trois d’entre-elles avec nous qu’il trouve inoubliables.

« L’une est que j’ai toujours été impressionné ou surpris par l’esprit des partisans de la ligne dure. Quand vous vous en allez en pensant que vous avez convaincu la majorité des personnes à propos d’une ligne d’action, vous voyez que deux ou trois personnes décident de prendre une ligne dure et vous êtes alors surpris de voir que la majorité court derrière cette minorité…le rôle dommageable des partisans de la ligne dure. Et j’ai été surpris de voir la majorité, qui peut savoir quel est le sens commun, se rallier autour de la minorité. Ainsi, c’est comme si on avait la minorité exerçant un chantage auprès de la majorité qui a pourtant vu la raison et le sens commun. »

La deuxième chose est le rôle des personnalités, des meneurs, qui peuvent rendre la médiation plus facile ou plus compliquée. Quelques fois vous avez des personnalités. Alors le rôle de la personnalité dans la médiation, aussi bien pour les deux parties impliquées, les parties en conflit, et la personnalité du médiateur. Au-delà de l’expérience, c’est la personnalité qui compte vraiment. »

La troisième, est le fait de la peur d’aller vers la paix. Ils ont peur. Ainsi vous savez, quand vous êtes prêts, tout est prêt, vous avez été un bon médiateur, vous avez été un médiateur juste, ils comprennent qu’ils ont tous pris et donné, et ils ont tous compris qu’ils ont fait un bon accord, ils disent alors « Mon dieu, après il y a la paix ». Et alors, il y a une peur d’aller vers la paix. Ils n’étaient pas préparés à aller vers la paix. Alors ils ont peur d’expliquer cela aux gens, que vous faites la paix si facilement. Ainsi, maintenant, parce que peu de dirigeants expliquent aux gens que le temps de la paix est venu si rapidement, ce qui est bon pour les gens et qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient, ils disent « laissez-moi consulter mon peuple. » Et ensuite, quand ils vous disent cela à vous en tant que médiateur, dites juste « adios » à votre accord. J’ai eu cette expérience dans une, deux ou trois occasions. »

Tout en félicitant les acteurs de la région à tous les niveaux, et la CEDEAO en particulier, pour les efforts dans la médiation, il s’accorde pour dire qu’il y a certainement des défis sur le terrain. Il est d’accord pour dire que la question du contrôle des processus de médiation en Afrique de l’ouest à travers un appui conséquent sur des ressources externes est un souci légitime, mais pour lui, cela doit être contextualisé. Il considère « que c’est un point faible de l’Afrique dans son ensemble. Ce n’est pas seulement la médiation. La plupart des nations africaines n’ont pas assez de ressources pour financer leur propre budget national pour l’école, etc., alors, de la même manière, malheureusement quand vous entreprenez une médiation, il faut vous appuyer sur des ressources externes et vos mains ne sont alors pas complètement libres, mais c’est pourquoi nous appelons cela un partenariat. »

Autant qu’il est concerné, c’est certainement une matière qui peut être bien gérée. Son opinion est qu’une médiation réussie « à besoin d’un leadership provenant d’Afrique et d’un soutien de la communauté internationale, et je pense que si le leadership est exercé proprement par les africains, vous pouvez limiter les interférences des non africains. S’il y avait des interférences vous pourriez le comprendre et les situer dans le contexte de la responsabilité partagée de nous tous pour la paix, parce que quand la guerre affecte l’Afrique, et que l’Afrique s’égare complètement, est pauvre, désespérée et dans le chaos, cela affecte nos voisins ; nos voisins immédiats en Europe et ensuite les autres, ainsi il y a le sentiment d’une sécurité commune. Ainsi, dans ce sens, nous devons accepter qu’il y ait un rôle pour les intervenants extérieurs, soit à travers un soutien technique ou un soutien financier. »

 

Source: “Celui qui tue une fourmi avec soin peut découvrir ses intestins : documentation de l’expérience des médiateurs ouest-africains”, Gorée Institute 2010

https://goreeinstitut.org/index.php/ressources/nos-publications/livres-etudes/7-celui-qui-tue-une-fourmi-avec-soin-peut-decouvrir-ses-intestins-la-documentation-de-l-experience-des-mediateurs-ouest-africains-vf-va/file