Médiation en Afrique de l’Ouest : l’expérience de Lansana CONDE

La Poignée de Mains : Apprendre à connaître nos médiateurs

Monsieur Condé est marié et père de sept enfants ; il a évolué dans l’enseignement. Il a été professeur de lettres modernes à l’Université de Kankan de 1984 à 2003. Il a assumé les fonctions de directeur des Etudes à l’Institut des Sciences Agro-zootechniques de Dabola et de Kankan. Il a été chef de département des lettres et linguistique à Kankan et a été aussi Secrétaire général de cette même Université. Il a été actif dans le mouvement associatif, par exemple dans l’ASSOSIG (Association de soutien à l’action de l’Organisation de la conférence islamique).

Le professeur Condé est aussi artiste et musicien (guitare, clavier). Il a dirigé plusieurs orchestres à Dabola, à Labé, et à Kankan. Il a été actif dans l’animation culturelle, et il a fait de la critique littéraire dans les médias, notamment à la radio. Il est encore le chef de département Lettres/Journalisme de l’Université René Levêque (Université privée à Conakry). Monsieur Condé est très disponible et de nature organisé. Ces traits de caractères ont certes beaucoup pesé et comptent sûrement dans sa trajectoire de vie, acceptant ainsi de se mettre à la disposition des citoyens et de la communauté toute entière pour une cause aussi noble.

Il est le président du Réseau des communicateurs traditionnels répartis en plusieurs catégories : les maîtres de la parole (griots, farba, jeli), les maîtres de la brousse (chasseurs, thérapeutes), les artisans émérites (cordonniers, forgerons), les enseignants-chercheurs, et les maîtres de cultes (imams, prêtres, responsables des bois sacrés). Dans leur approche, ils distinguent les niveaux domestiques (mariages, parrainages) et communautaires (questions foncières, ressources minières etc.). Pour Lassana, chaque fois qu’on va en médiation, on peut se sentir en danger. Les risques sont réels (affrontements entre belligérants, puissance physique ou mystique des parties en conflit etc.). Sa famille qui est fière de ses actions ne cache pas son inquiétude. Lui-même sait que le médiateur vit au milieu de soupçons d’une ou de plusieurs parties.

En Bons Voisins : Vues sur la médiation dans la sous-région

Son intervention dans un conflit à la frontière entre la Guinée et le Mali lui permet de souligner les différentes dimensions : les questions économiques, les questions foncières, les ressources minières (l’or). Il a pu analyser les causes des échecs des interventions étatiques, les limites des approches administratives. Il a pu appliquer l’approche préconisée par son association sur la base des traditions africaines, du recours à l’histoire. Ainsi, les principes de partage, de solidarité dans la tradition mandinka ancestrale sont pris en compte. Ainsi dans l’activité de médiation, les exploitations individuelles et communautaires peuvent coexister. Pour cela « il faut maintenir le dialogue avec les ancêtres et les vivants et articuler les dimensions politiques, sociologiques et psychologiques qui sont susceptible d’entrer en jeu durant la médiation. » Dans le règlement des conflits, il a fallu identifier les sages, les leaders d’opinion, les femmes (qui souffrent le plus des conflits) et les jeunes. Ensuite il a fallu inviter toute la communauté à se parler. Les missions d’exploration sont nécessaires avant de formuler des recommandations. Il faut tirer profit des expériences antérieures et des échecs antérieurs. Il a fallu intervenir régulièrement pendant un mois pour ramener la paix.

M Condé se tient informé des situations politiques, sociales et économiques dans la sous région : il le fait à travers le net, les radios et télévisions. Son association est en contact avec le Recotrad du Mali, l’association du même type. Le président de cette association assume en même temps la présidence de leur association sous – régionale dont le poste de vice – président est occupé par un sénégalais A son avis, la médiation traditionnelle fait des progrès en Guinée et dans la sous – région grâce à l’intervention des organisations de la société civile avec le soutien des populations. Il a toutefois quelques inquiétudes du fait que l’administration a tendance à vouloir monopoliser les processus de médiation alors que les structures étatiques ont montré leurs limites en la matière à son avis.

Le Tambour d’appel : Expériences personnelles de la médiation

M. Condé appartient à une famille de communicateurs traditionnels. Il a donc une disposition à intervenir dans la médiation. Il s’y ajoute que son métier d’enseignant et d’éducateur l’a amené à écouter élèves, étudiants, parents et collègues. Cela n’a pas été facile : parfois certains de ses collègues le soupçonnaient d’être de connivence avec les étudiants. On posait parfois des questions sur sa part de responsabilités dans l’aggravation d’une crise. Cela fait partie des risques de l’exercice. Enfin, sa position de chef d’orchestre l’a conduit à mettre de l’ordre dans un milieu difficile. Ses contacts avec le Centre d’études linguistiques et historiques par la tradition orale (CELTHO) de Niamey lui ont beaucoup apporté. Leur association a vu formellement le jour en 2005 sur l’initiative des Femmes du Fleuve Mano. Une de leurs interventions les plus significatives s’est déroulée dans les villages de Diouba et Dalakan, situés en territoire guinéen, mais dont une partie de la population se sent malienne. Les autorités politiques et administratives n’avaient pas réussi à régler le conflit et leur association a dû intervenir positivement il y a de cela quatre ans.

En général, durant l’activité de médiation s’adressant au médiateur, les plaignants s’attendent à un retour au droit. M Condé donne l’exemple d’une intervention à Tinti Ouleen (la Monticule Rouge) dans une sous-préfecture de Kankan. Là, sur une question de droit de propriété, les populations ont contesté une décision de tribunal. Elles se sont battues contre la corruption ; l’intervention d’un communicateur traditionnel a permis de trouver une solution. Ainsi donc les activités économiques ont repris. Les populations voulaient que la vérité et le droit (coutumier pour elles) soient dits. Les populations sont prêtes à respecter de nouveaux droits, si elles sont informées à temps et correctement. Les associations de communicateurs traditionnels travaillent en équipe, et elles utilisent les moyens qui sont à leur disposition. Leurs relations avec les processus formels sont parfois spontanées, et laborieuses.

Dans la Calebasse : Opinions sur la culture, la formation, le genre et les acteurs externes

Les affinités culturelles sont un atout ; il ne s’agit pas seulement de l’appartenance au milieu dans lequel a éclaté le conflit. C’est plus vaste. Les sensibilités sont proches et le patrimoine commun large. Il est vrai que quand on vient d’un autre espace culturel, il faut faire attention et éviter de faire du placage et de transplanter des modèles qui ne sont pas appropriés. A son avis l’intervention des experts occidentaux peut être un élément aggravant des conflits. Le modèle démocratique mis en avant de manière formelle a beaucoup de limites. Ici en Afrique, on a eu des modèles de gouvernance qui ont des points forts et des points faibles. Il faut les étudier et en tirer profit. La place et le rôle des femmes sont à prendre en considération. L’association des communicateurs traditionnels doit beaucoup à l’initiative, à la créativité, au courage des femmes africaines.

La nécessité d’une formation reste quand même au centre des préoccupations. Sous ce rapport M Condé avoue n’avoir pas reçu une formation en médiation, mais reconnaît qu’elle est utile. A son avis, «le bon médiateur est celui qui obtient de bons résultats. Il lui faut être patient, endurant, prendre le temps et avoir du tact pour amener les parties en conflit à se parler. Il faut avoir le dos large. On vous met à l’épreuve. Si les parties en conflit sont sincères, vous avez des chances de réussir.» Lansana avoue préférer «les acteurs qui lui résistent et qui l’amènent à revoir sa démarche à ceux qui disent oui devant vous et qui font autre chose dès que vous leur tournez le dos. C’est vrai, il y a parfois de l’électricité dans l’air, la méfiance aussi. Parfois on vous met à rude épreuve. C’est cela aussi le charme de l’exercice.»

Partager la Noix de Cola : Partager des expériences mémorables et les leçons apprises

Selon M Condé la noblesse de la médiation impose à celui qui la pratique une remise en cause constante de soi, une formation continue, une amélioration constante de ses capacités. «Chaque cas traité est instructif. Parfois il faut prendre du temps, parfois il faut agir vite. Dans tous les cas, il faut être bien informé et ne pas négliger les détails, les préjugés, les susceptibilités, les affinités » dira M. Condé. M Condé a encore en mémoire un conflit grave ayant opposé féticheurs et chasseurs à Farana qui a pu être réglé en partie grâce au recours à la charte du Kurukan Fuga.

Le fond du conflit était d’ordre politique. Il s’agissait de l’élection du nouveau président du bureau régional de l’association. Le mandat de l’ancien président avait expiré et la limitation des mandats était consacrée. Le maire, le commandant, le préfet avaient échoué dans leurs tentatives de trouver une solution honorable pour tous : les affrontements étaient ouverts, et dans les rues il fallait se protéger contre le korte (mauvais sort). Il convient de souligner que durant cet évènement les moins protégés ont été atteints. «Vous pouvez imaginer la division de la ville en deux espaces. En fin de compte, ce fut le plus jeune qui l’a emporté, mais il lui a été difficile d’occuper le siège. Nous avons dû impliquer les communicateurs traditionnels, on a invité les différents groupes ethniques à se parler, les marabouts se sont impliqués aussi.»

 

Extrait de l’ouvrage “Celui qui tue une fourmi avec soin peut découvrir ses intestins : documentation de l’expérience des médiateurs ouest-africains”, © Gorée Institute 2010