Médiation en Afrique de l’Ouest: l’expérience de Leymah Roberta GBOWEE

Le Tambour d’appel : Expériences personnelles de la médiation

L’expérience de médiation de madame Gbowee est directement liée à son expérience personnelle de la guerre. Elle raconte ces expériences en expliquant la chose suivante : « Je suis née et j’ai grandi au Liberia. J’ai été victime de la guerre, une réfugiée qui a expérimenté toutes les phases de la guerre. Mes expériences en tant que victime de la guerre m’ont permis de voir l’impact du conflit sur les femmes, et j’ai essayé de rendre la question des femmes visible. Ma première expérience consistant à travailler dans le scénario d’après-guerre a commencé avec mon travail social avec l’Église luthérienne au Liberia. Nous avons travaillé avec d’anciens enfants-soldats, et ceux qui avaient des handicaps et notre attention principale consistait à soigner les traumatismes.

Au sein du WANEP j’ai travaillé en tant que coordinatrice du programme des femmes. Avec WIPNET (2001-2005) j’ai appris à rassembler une masse critique de femmes pour renforcer la paix. Cela a impliqué de la formation, de la sensibilisation et du plaidoyer. Nous avons joué un rôle essentiel pour finir la crise du Liberia, avec les Women of Liberia Mass Action for Peace. Ensuite nous nous sommes organisées nous-mêmes pour commencer quelque chose avec une orientation régionale ; nous tentions de voir comment la Réforme du secteur de la sécurité (Security Sector Reform (SSR)) avait impacté sur la vie des femmes. Il s’agissait de mettre du nouveau vin dans une nouvelle bouteille, ainsi nous avons fondé WIPSEN. »

Certaines de ses expériences majeures de la médiation sont venues à travers son travail au sein de WIPSEN ; elle en décrit le champ d’activité en disant : « Nous travaillons à différents niveaux ; au niveau global, nous prêtons notre voix pour partager les expériences des femmes. Au niveau national, nous travaillons avec les institutions nationales pour voir si elles peuvent être plus à même de répondre aux besoins des femmes en ce qui concerne la paix et la sécurité. Au niveau local nous nous engageons dans la mobilisations des communautés. » 

Madame Gbowee raconte que sa première expérience avec la médiation était « au niveau de la communauté avec l’Église luthérienne dans le sud-est du Liberia, et jusqu’à ce jour, alors que j’ai eu divers rôles qui m’ont exposée à des questions plus complexes et m’ont fait participer à des niveaux nationaux et internationaux, je demeure une personne de la communauté. L’expérience à laquelle je me réfère concernait une médiation dans le cadre d’une crise de leadership ; j’ai été privilégiée d’avoir été nommée par l’église, et j’étais au milieu de dirigeants religieux et traditionnels, alors j’ai essayé de rester très courtoise et coopérative. Je venais aux réunions avec l’esprit ouvert, mais malheureusement après quelques mois, ils ont réclamé un médiateur de sexe masculin. Cela était dû au fait qu’il y avait certains aspects traditionnels relatifs aux questions en jeu, et comme j’étais une femme parmi eux, leur conversation était limitée.

Mon deuxième engagement vint quand le Général Abdulsalami Abubakar fut engagé comme le médiateur de la CEDEAO pour la transition libérienne. Il a vu dans notre groupe de femmes un allié, et quand il y avait un blocage il nous consultait. Nous avions des opinions documentées sur tous les sujets, ainsi nous étions en position de fournir des contributions utiles et de valeur pour le processus de médiation. Quand le Général Abubakar établissait plusieurs comités pour fournir des idées et des contributions sur la manière dont les secteurs majeurs du pays devaient être construits et gérés, il amenait les femmes à bord. Je fus tout spécialement nommée pour travailler dans le comité de la défense. Lors de la première réunion du comité les officiers américains nous ont demandé de quitter la salle, mais l’un des soldats de l’équipe d’Abubakar a refusé, notant que l’échec d’avoir obtenu l’engagement de la société civile avait eu un impact négatif sur le conflit ; et je suis heureuse de dire que nos opinions et suggestions furent prises au sérieux.»

Madame Gbowee ne fut pas seulement impliquée dans la médiation au niveau national, et elle raconte d’autres expériences, notamment à propos de la manière dont elle a pu exercer une médiation entre des combattants, décrivant la chose suivante : « un exemple est le cas où certains garçons qui étaient d’anciens combattants de guerre avaient été payés pour attaquer les politiciens rivaux. Avant de lancer leur attaque, en fait ils étaient déjà prêts à lancer leur attaque, nous les avons approchés, les avons rassemblés et nous avons négocié avec eux, les persuadant d’arrêter leur assaut. Ce fut une expérience terrifiante, personne n’avait jamais mis en cause leur structure de commandement. Personne ne les questionnait. Pendant dix ans ils ont été utilisés pour faire ce qu’ils voulaient, il fut difficile de changer leur attitude. Pendant nos réunions avec eux, l’un deux s’est levé brusquement et m’a défiée. Il a essayé de me frapper, et bien que je fusse effrayée, je n’ai pas bougé. Ce geste singulier a gagné leur respect et leur confiance. Ce fut le tournant décisif. Tout l’accompagnement psychologique n’avait servi à rien ; c’est cette confrontation qui a fait la différence. »

En dépit de certains risques réels, madame Gbowee a exprimé qu’on ne suit quelques fois que ses instincts afin d’atteindre les objectifs, et c’est seulement rétrospectivement que l’action est questionnée. C’est difficile de savoir si cela est positif ou négatif, mais c’est souvent essentiel pour faire avancer un processus ou pour maintenir la paix. Elle se rappelle un jour où elle et son collègue, Kofi Woods, se sont interposés entre la Mission des nations unies au Liberia (MINUL) et les étudiants quand ils étaient en conflit entre eux, disant : « Aujourd’hui quand je regarde derrière moi, cela a l’air vraiment stupide, mais à ce moment – là vous faites tout ce que vous pensez devoir faire pour maintenir la paix.»

Pour d’autres expériences il est clair, que même rétrospectivement, les risques en valaient la peine, et elle sent cela en relation avec son engagement avec la société civile dans la médiation. Madame Gbowee est très claire à propos du fait qu’une bonne coordination des efforts de la part de la société civile peut être d’une valeur inestimable pour un processus de paix. Elle décrit comment cela s’est reflété dans le cas du Liberia, en disant : « Nous avons également joué un rôle essentiel en 2003- 2004, tandis que les élections approchaient. La médiation réelle a en fait débuté après Accra, après la signature de l’Accord de paix. Ce fut alors que la médiation locale a débuté. La société civile est devenue essentielle et n’a pas reculé, parce que, je sais que cela peut sembler un cliché, l’idée que la population locale s’approprie un processus comme condition du succès est très importante. »

« Ainsi, vous voyez, dans la plupart de ces expériences notre engagement est très fluide et spontané, pas formel…Tout ceci ne fut pas seulement un apprentissage, ce fut aussi quelque chose qui nous a ouvert les yeux, sur la politique et l’économie de la guerre. Vous réalisiez comment une petite erreur bureaucratique pouvait plonger le pays à nouveau dans le chaos. La médiation ne finit jamais, elle continue sous différentes formes, et vous devez être engagé dans tous les processus. Quand les personnes locales s’approprient un processus et l’embrassent, vos chances de succès sont élevées parce que tout dépend d’une participation positive qui en fait des parties prenantes, et, en fait, j’ose le dire, dans cette direction vous ne pouvez pas vous tromper. »

Dans la Calebasse : Opinions sur la culture, la formation, le genre et les acteurs externes

Madame Gbowee a été profondément impliquée dans toute une série de processus impliquant les femmes dans le domaine du renforcement de la paix et de la résolution des conflits. Elle cristallise ses pensées et partage certaines de ses opinions à ce propos, en disant : « le processus sous-régional n’est pas suffisamment inclusif. Il montre encore le fonctionnement du statut quo et le système patriarcal traditionnel est encore visible. Quand nous sommes allés aux réunions de médiation à Accra, les femmes y étaient en tant qu’observatrices, juste pour montrer à quel point le processus était fermé. Nous avons refusé de nous laisser distraire par cela. Nous avons occupé l’entrée du hall de la réunion à Accra et nous avons exigé qu’aucun libérien ne sortirait tant qu’un accord ne serait pas réalisé. Quand le service de sécurité des ghanéens est venu pour nous arrêter nous avons menacé de nous dénuder – sans mentir – tout cela était le prix que nous avions à payer pour la paix. »

Plaçant les discussions sur l’inclusion des femmes dans un cadre plus international, madame Gbowee partage ses inquiétudes sur les progrès limités accomplis par la résolution 1325. De son point de vue, « dix ans après que les Nations unies aient passé la résolution 1325, il n’y a eu aucune volonté politique pour la mettre en œuvre. Alors qu’il existe des Plans nationaux d’action sur la résolution 1325, les parlements sont dominés par les hommes. La stratégie est maintenant de passer d’une résolution pour les femmes à une résolution pour tout le monde. »

Partager la Noix de Cola : Partager des expériences mémorables et les leçons apprises

Parlant franchement, madame Gbowee dit la chose suivante : « Les leçons que j’ai apprises de mes expériences de médiation sont nombreuses, laissez-moi en mentionner quelques unes. D’abord, des efforts au niveau de la médiation internationale se concentrent sur la médiation politique qui implique essentiellement d’anciens chefs d’État. Il devrait y avoir un processus pour la médiation locale. L’engagement local est important, et la médiation n’est pas complète sans le local. Ensuite, le rôle des femmes est très important, et elles devraient être impliquées. Vous voyez, le succès du processus, nous croyons, dépend de l’implication des femmes de la planification aux discussions, dans la médiation proprement dite, la formation et l’ensemble du processus de mise en œuvre.

La troisième leçon que j’ai apprise de mon expérience, est l’importance de l’information et le fait de la rendre disponible pour tous, notamment la population locale. Il doit y avoir des explications détaillées en ce qui concerne le processus pour toutes les personnes concernées. Ma quatrième leçon est que la recherche et la documentation sont importantes. Comme le dit le dicton, une seule taille ne convient pas à tout le monde, tandis que recevoir l’expérience des anciens dirigeants qui ont participé aux médiations est important, écrire les expériences des autres africains dans la médiation est également important. »

Ayant voyagé à travers la sous-région, et exercé des médiations pour des conflits à divers niveaux, madame Gbowee a une myriade d’expériences mémorables dans laquelle puiser ses exemples. Ce qui ressort pour elle est plus un sentiment et une impression entourant une situation. Elle explique cela en disant : « Les moments les plus mémorables pour moi, c’est d’être le témoin d’une communauté mobilisée parvenant à obtenir la réalisation de choses, c’est de voir des résultats, des impacts de notre travail de plaidoyers, de formation et de sensibilisation. L’outil le plus important est le peuple, le pouvoir du peuple. Il y avait ce cas après la médiation d’Accra, quand l’Accord de paix était signé, nous avons réuni 80 femmes dirigeantes, nous avons prix l’accord de paix, avons organisé un atelier de sensibilisation de trois jours pour elles et leur avons dit de sensibiliser leurs communautés. »

Rétrospectivement on peut tirer un certain nombre de leçons. Alors que nombre d’entre elles sont positives, madame Gbowee partage certaines de ses réflexions sur les choses qui, s’il y avait une autre opportunité, elle aurait fait différemment. Un tel cas concernait les « discussions autour de la participation des femmes, nous aurions dû commencer dès le début du processus. Ayant une femme présidente, que je considère comme une avancée majeure, ne signifie pas que nous avions réussi. Quand nous étions en train de négocier et d’exercer notre médiation sur la question d’un futur politique, nous aurions dû parler de la discrimination positive en faveur des femmes, les questions des 30% de représentation, les questions de la participation et du leadership politique. Le projet de loi sur l’égalité est devant le parlement aujourd’hui, mais le processus est sans cesse freiné. Ensuite, il y a le besoin de justice. Il est très malheureux qu’aujourd’hui les auteurs de crimes contre les femmes aient trouvé leur chemin jusqu’au parlement. Il n’y a eu aucune déclaration sur les violences sexuelles dans les documents essentiels pendant la médiation du conflit. Nous aurions dû avoir quelque chose sur quoi nous accrocher. Le regret est que nous n’ayons pas essayé quand les communautés prêtaient attention. Je vois cela comme une opportunité manquée. »

 

 

Extrait de l’ouvrage “Celui qui tue une fourmi avec soin peut découvrir ses intestins : documentation de l’expérience des médiateurs ouest-africains”, © Gorée Institute 2010