Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
La gouvernance est l’un des termes les plus usités dans le champ des politiques publiques africaines au cours des deux dernières décennies. L’Afrique de l’Ouest en particulier est régulièrement secouée par des crises sociopolitiques. Il suffit de porter un regard peu attentif sur des pays comme la Guinée-Bissau, la Guinée, le Togo, et la Côte d’Ivoire pour mesurer l’ampleur des problèmes de gouvernance qui gangrènent cette partie de l’Afrique. La gouvernance signifiait déjà au 13e siècle «l’art et la manière de gérer». Cette notion traditionnellement connue en Afrique avait fortement imprégné la constitution de la révolution du Fouta-Toro au XVIIIe siècle sous l’égide de Thierno Souleymane Bale.
Elle a été remise au goût du jour à la fin des années 80 par des chercheurs africains du CODESRIA, qui la considéraient comme une condition primordiale pour le développement de l’Afrique. C’est par la suite que ce concept a été revisité par le Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et le Programme des Nations Unies pour le Développement, lesquels tout en y associant le terme «bonne» lui ont donné un contenu plus étendu qui intègre, entre autres, la transparence, l’obligation de reddition, la responsabilité, la primauté du droit et la liberté d’expression. La gouvernance est un concept polysémique. Ce vocable vient du mot anglais « governance » qui signifie action de guider ou piloter. Il était utilisé à l’origine par les historiens médiévistes anglais pour expliquer le mode d’organisation du pouvoir féodal. Il est réapparu ces dernières années avec un nouveau sens et une nouvelle portée. C’est pourquoi il nous semble prématuré de parler d’ores et déjà de la gouvernance comme un acquis, elle est en chantier. La gouvernance s’inspire de la théorie des choix publics et remet en cause le modèle Wébérien du gouvernement.
Depuis le début des années 90, pour des raisons diverses, la bonne gouvernance, perçue comme une des conditionnalités pour réaliser le développement durable, occupe une place prépondérante dans le discours politique mais aussi dans les politiques publiques des pays africains et des autres pays en voie de développement. Concrètement, elle recouvre des prescriptions en faveur de la décentralisation, de la justice, de la démocratisation, du décloisonnement entre les secteurs publics et privés, de la limitation de la dette et des dépenses publiques (v. UNESCO, Médias et Bonne Gouvernance en Afrique, 2010).
La gouvernance préconise des réformes institutionnelles qui sont alliées aux programmes économiques néo-libéraux pour ainsi justifier la poursuite du développement mais surtout pour rendre plus efficaces les programmes sociaux et politiques. Ainsi, ce nouveau modèle politique des pays en voie de développement met en place un système nouveau de règles qui sont réellement appliquées avec des institutions qui fonctionnent et qui assurent l’application adéquate de ces règles. Cela suppose une vie publique moralisée imbue de valeur éthique sous l’impulsion de dirigeants répondants de leurs actes devant les citoyens.
La gouvernance préconise aussi la mise en œuvre de moyens et de normes préétablis qui aboutissent à la gestion transparente et satisfaisante d’une entité juridique – entreprise, Etat avec ses démembrements, etc.
Ainsi défini de manière restrictive, le concept de bonne gouvernance vise la transparence, le respect de l’État de droit, la lutte contre la corruption et la tenue des élections démocratiques au suffrage universel. Le débat sur la gouvernance se réduit à la promotion de règles de gestion publique qui soient efficaces et plus soucieuses d’une utilisation appropriée des ressources engagées, mesurée par des indicateurs de performance.
En revanche, la gouvernance peut être définie comme l’art de la gestion cohérente des affaires communes à tout groupe humain constitué. Elle est donc faite d’une somme de valeurs, de principes et de méthodes qui ne peuvent être séparés les uns des autres.
C’est en définitive une notion comprenant des mécanismes, des processus, des relations et des institutions complexes aux moyens desquels les citoyens et les groupes articulent leurs intérêts, exercent leurs droits et assument leurs obligations, et auxquels ils s’adressent afin de régler leurs différends. Elle alloue et gère les ressources de façon à résoudre les problèmes collectifs ; elle se caractérise par une logique entrepreneuriale reposant essentiellement sur les principes de transparence, de responsabilité, de probité et d’éthique. Ainsi, elle va bien au-delà des limites de l’autorité et des sanctions du gouvernement.
Rapportée au contexte ouest-africain, la gouvernance nécessite la prise en compte de la situation de sous-développement économique fortement marquée par la pauvreté des populations, du besoin général de consolidation de la démocratie soumise à l’épreuve de la pauvreté, des inégalités, de l’analphabétisme et d’une fréquente utilisation de l’Etat comme source d’enrichissement, de la fragilité de l’Etat de droit et de la paix dans certaines zones en situations de crise politique ou de conflit armé. Cependant, il existe de grandes disparités économiques, sociales et politiques dans un cadre géographique et humain porteur de grandes richesses naturelles et culturelles. Dans ce sens, la gouvernance est indéniablement importante pour l’Afrique de l’Ouest non seulement pour la construction de la paix et la sécurité, la consolidation de la démocratie mais encore pour son développement économique et social qui passe par l’éradication de la pauvreté. Présentement, les conflits qui ont éclaté dans certains pays, l’instabilité politique et l’insécurité qui règnent dans d’autres, ont fini de convaincre que le développement économique de l’espace nécessite un minimum de conditions de sécurité et de paix. Ainsi, plusieurs défis interpellent la gouvernance en Afrique de l’ouest en général et dans les six pays formant l’échantillon de cette étude en particulier.
La gouvernance est desservie depuis plusieurs décennies par la situation de crise structurelle et politique qui affecte l’Etat postcolonial africain. La perte de légitimité et d’efficacité de l’Etat a été elle-même à l’origine des conflits qui ont affecté la cohésion sociale et l’espace territoriale sur lequel il s’exerce. En effet, il y a des situations où l’Etat subit une dislocation ou une crise de souveraineté et de légitimité qui le rend inapte à impulser un processus de gouvernance démocratique et efficiente.
La situation chaotique en Guinée-Bissau après plusieurs coups d’Etat, le trafic de la drogue, l’impossibilité d’organiser des élections, la corruption des autorités dirigeantes dans ce pays très pauvre, la rébellion des séparatistes touareg suivie de l’occupation du Nord-Mali par des combattants armés islamistes alliés au groupe terroriste AQMI, et la crise postélectorale aiguë en Côte d’Ivoire, sont autant de raisons de s’interroger sur les perspectives de la gouvernance en Afrique de l’Ouest.
En effet, après le cinquantième anniversaire des indépendances de la majorité des pays africains, le continent est toujours confronté à des difficultés dans ce domaine. L’Afrique aurait-t-elle échoué dans ses projets de démocratisation et de développement ?
Des progrès ont certes été notés, le mouvement de démocratisation en Afrique ces 20 dernières années est une avancée indéniable, mais la phase de consolidation démocratique rencontre des difficultés et les risques d’un reflux sont réels perte de légitimité et instabilité des institutions, retour des coups d’Etat, ethnicisation de la politique, corruption à grande échelle, conflits armés, etc. La liste des maux qui gangrènent la gouvernance est longue. Les défis à relever restent nombreux.
Source: “Les défis de la gouvernance en Afrique de l’Ouest”, Gorée Institute – Edition 2013