Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
L’Afrique de l’Ouest a connu ces trente dernières années, les conflits les plus longs et les plus violents. Seuls deux pays à savoir le Sénégal et le Cap Vert n’ont pas connu de coup d’Etat. La quasi –totalité des pays de cette région a connu des déchirures liées à des guerres civiles. Les rares pays épargnés par ces guerres sont sous la menace des effets indirects et de domino de ces conflits.
Les ressorts des conflits sont nombreux et variés mais en règle générale on peut considérer que pour l’essentiel il s’agit du contrôle du pouvoir et de l’accès aux ressources. La diversité ethnique a été avancée comme un facteur explicatif des conflits en Afrique de l’Ouest. Mais pour certains auteurs, l’ethnie en soi n’a pas de valeur explicative. Il s’agit souvent d’une instrumentalisation des référents culturels, religieux et ethniques qui cachent souvent d’autres enjeux de nature économique. Un auteur comme Paul Collier pense que c’est à partir de la structure des économies de l’Afrique de l’Ouest qu’il faut chercher à expliquer la vulnérabilité des pays africains en général aux guerres. Ce point de vue est également défendu Bruno Hellendorf qui considère qu’en Afrique de l’Ouest si les causes et motivations des conflits peuvent être multiples, elles plongent une partie de leurs racines dans les politiques de gestion des ressources naturelles.
Elles peuvent constituer ainsi un obstacle à la paix comme en Côte d’ivoire avec la bataille pour le contrôle des revenus tirés de l’exploitation du diamant et du cacao entre 2002 et 2010. Elles peuvent tout aussi être déterminantes dans la construction de la paix comme en Sierra Léone avec la réforme du secteur forestier.
L’explication économiciste n’a été que partiellement validée par d’autres auteurs qui considèrent que dans certains cas c’est le sentiment d’exclusion perçue comme une atteinte à la dignité humaine qui est l’origine de certains conflits. C’est ainsi qu’il faut comprendre que la mobilisation du concept « d’ivoirité » pour exclure un candidat à une élection a fini par exclure une bonne partie de la population qui a fini par se rebeller.
L’importance de ces ressources est telle que certains réduisent le rôle de l’Etat à leur contrôle. Patrick Chabal considère ainsi que l’Etat en Afrique est utile car il permet de contrôler les ressources mais faible car il ne se différencie pas de la société de sorte que la notion de service public ne trouve aucune pertinence dans ce contexte.
Ces controverses traduisent l’entremêlement des ressorts économiques, ethniques et religieux des conflits. L’absence de retombées de l’exploitation des ressources naturelles pour les ethnies établies sur les zones d’exploitation a été souvent à l’origine de leur soulèvement. Tel a été le cas du Niger Delta People Volunter Force avec l’ethnie Ijaw au Nigeria.
De même le facteur religieux qui a pris une dimension plus importante avec la montée de l’intégrisme religieux joue comme un fait aggravant des tensions entre ethnies arabes et ethnies noires africaines dans des pays comme le Niger et le Mali ou entre musulmans et chrétiens au Nigeria.
En tout état de cause, l’existence de conflits d’essence ethnique démontre que la stratégie de construction nationale adoptée par les Etats africains par la centralisation et l’autoritarisme ont échoué.
Pour d’autres auteurs, l’ethnie représente intrinsèquement un facteur déstabilisateur car elle est prégnante dans le fonctionnement des Etats. Le clientélisme communautaire fausse ainsi la représentation politique et administrative au sein des Etats. Les autres ethnies sont exclues du pouvoir et donc de l’accès aux ressources. Le Libéria, entre autres exemples, permet de l’illustrer. A l’indépendance du pays en 1847, c’est l’élite américano-libérienne qui monopolise le pouvoir économique et politique. L’arrivée au pouvoir en 1980 de Samuel Doe à la faveur d’un coup d’Etat consacre le monopole du pouvoir politique et économique par son ethnie les Krahn et une ethnie affiliée, les Madingue. L’exclusion des autres ethnies notamment les Gio et les Mano créa de la frustration et conduit à une tentative de coup d’état en 1958 par un officier originaire de ces ethnies. L’identité a toujours été le point nodal de la crise que le Libéria a traversé. Ceci explique que les enjeux des élections dépassent le cadre purement politique pour être vitaux. L’élection cesse d’être un facteur de paix pour être source de conflits et de violences.
Il convient de reconnaître aujourd’hui que la recherche de la paix se heurte à l’émergence de nouveaux facteurs de conflictualité tels que le trafic de drogue et le terrorisme. Le trafic de la drogue affecte la stabilité de toute la région ouest africaine même si ses effets déstabilisateurs sont plus perceptibles dans un pays comme la Guinée Bissau. Il en est de même en ce qui concerne le terrorisme qui a failli avoir raison du Mali qui a déjà touché des pays comme le Niger et le Nigéria. Comme le fait observer Aminata NIANG, le Sahel est devenu un espace de soustraitance militaire, commerciale et politique. Elle cite comme guerre importée la guerre civile en Lybie, le trafic de drogue importé d’Amérique Latine, la guerre économique entre puissances économiques motivée par la quête de ressources.
Dès lors, il n’est guère étonnant que les pays de cette région soient mal classés selon l’Indice global de la Paix. Pour l’année 2013, le Ghana, pays le mieux classé, occupe le 58ème rang sur un total de 162 pays.
Extrait des Actes du 4e Symposium du Gorée Institute sur « La stabilité démocratique : une solution à la consolidation de la paix ? » – Edition 2015