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Processus démocratiques : défis et perspectives au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire

Au regard du chemin parcouru, il est incontestable que le processus démocratique au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire a fait des progrès significatifs, même si la vigilance reste de mise et si d’importants efforts sont encore nécessaires pour consolider les acquis et approfondir les réformes démocratiques. Issu d’un processus électoral exemplaire, le président Roch Marc Christian Kaboré, au pouvoir depuis quatre ans au Burkina Faso, doit s’attaquer à plusieurs chantiers qui sont en attente. Il s’agit entre autres de l’adoption d’une nouvelle Constitution, de la relance économique, de la réconciliation nationale et des défis sécuritaires.

L’adoption d’une nouvelle Constitution est un impératif pour consolider les acquis démocratiques. Point focal de l’insurrection populaire qui avait entraîné la chute de Blaise Compaoré alors qu’il tentait de la modifier, la Loi fondamentale revêt une importance capitale pour les Burkinabè. Pour éviter pareil cas de figure à l’avenir, la transition Burkinabè a obtenu le feu vert pour limiter le mandat présidentiel à cinq ans renouvelable une seule fois. La nouvelle Constitution devra renforcer la séparation des pouvoirs et éviter que le président du Faso ne règne sur toutes les autres institutions du pays.

L’autre chantier auquel doit se consacrer le président Roch Marc Christian Kaboré est la relance économique. Avec son équipe, il devra travailler à assainir le climat des affaires et redonner confiance aux investisseurs quelque peu échaudés après les soubresauts de l’insurrection et de la tentative de coup d’Etat. Vient ensuite la réconciliation nationale qui devra forcément passer par l’apurement du passif judiciaire. De nombreux dossiers attendent encore d’être élucidés, malgré les réformes initiées par le gouvernement de transition. Il s’agit notamment des dossiers Thomas Sankara, Norbert Zongo, de même que ceux de l’insurrection et du coup d’Etat de septembre 2015. La justice burkinabè devra pouvoir, en toute indépendance, faire la lumière sur toutes ces affaires, situer les responsabilités et sévir proportionnellement à la gravité des crimes.

Les questions cruciales de santé, d’éducation, d’emploi et de sécurité, sont également des chantiers auxquels doivent faire face le président Roch Kaboré et son équipe. Ils devront doter le pays d’infrastructures de base tels que les hôpitaux, les routes, les écoles etc. Le problème de l’emploi des jeunes est certainement l’une des attentes les plus importantes de la révolution. Le Gouvernement burkinabè devra travailler à insuffler une dynamique nouvelle à ce secteur. Les défis sécuritaires sont l’une des équations que devra résoudre le nouveau régime. Les attaques terroristes de l’hôtel Splendid et du café Capuccino de Ouagadougou, qui ont fait 30 morts et 71 blessés, dans la nuit du 15 au 16 janvier 2016, mettent fin à l’exception burkinabè face au terrorisme. En effet, jusque-là épargné, le Burkina Faso est désormais dans le viseur des djihadistes. Quelques heures avant les événements de Ouagadougou, une autre attaque avait eu lieu dans le nord du pays, près de la frontière malienne, au cours de laquelle un gendarme et un civil avaient été tués, sans que l’on sache si ces violences sont liées.

En Côte d’Ivoire, après la période sombre de fin 2010-début 2011, le pays est en train d’écrire lentement une nouvelle page de son histoire. Cela ne va pas sans passer par un certain nombre de défis à relever. Au-delà des signaux forts et encourageants relativement à la situation économique du pays, beaucoup de problèmes subsistent dans le climat politique. La détention prolongée et sans jugement de certains acteurs politiques et la répression des manifestations de l’opposition, tendent à convulser le climat politique. La réconciliation nationale apparaît comme un autre grand défi de la présidence d’Alassane Ouattara. C’est un processus incontournable devant permettre aux ivoiriens de revivre dans la concorde après la crise postélectorale qui a mis le tissu social ivoirien en lambeau.

En Côte d’Ivoire, cette crise a exacerbé la fracture sociale qui existait auparavant. Elle a mis aux prises plusieurs communautés qui vivaient déjà dans un climat de méfiance. Les différents affrontements interethniques dans l’ouest du pays et dans certaines communes du district d’Abidjan sont révélateurs des tensions sociales qui subsistent dans le pays.

Au cours de la période postélectorale, plusieurs violations des droits de l’Homme et des exécutions sommaires et extrajudiciaires ont été commises sur la base de simples appartenances ethniques ou religieuses. Concrètement, la réconciliation nationale doit mettre l’accent sur les rapports entre les ivoiriennes et ivoiriens qui sont appelés à reconstruire le pays. Elle ne peut donc se matérialiser que par la coopération entre citoyens de tous bords politiques ou de toutes confessions religieuses. Cette réconciliation tant prônée par les nouvelles autorités doit être perçue comme le symbole de l’unité nationale et le ciment de la cohésion sociale. Elle doit passer par le pardon des uns envers les autres et l’oubli des rancœurs accumulées. La réconciliation nationale en Côte d’Ivoire ne doit pas concerner seulement les hommes politiques encore moins les partis politiques, mais plutôt toutes les couches socioprofessionnelles. C’est un processus de longue haleine par lequel les populations dans leurs différentes composantes pourront de nouveau se faire confiance mais surtout accorder un minimum de confiance aux institutions du pays. Il est par ailleurs important de souligner qu’une réconciliation nationale réussie ouvre la voie à la Démocratie en développant les rapports de coopération nécessaires au bien vivre ensemble.

Un autre défi actuel de la Côte d’Ivoire est la question sécuritaire. Depuis le début de l’année 2017, le gouvernement fait face à une série de mutineries. Les revendications des militaires portent essentiellement sur le paiement de primes. Des éléments de la gendarmerie, gardes pénitentiaires et pompiers, ont suivi le mouvement en formulant les mêmes revendications. Les militaires des forces spéciales, une unité d’élite de l’armée, qui se disent concernés par ces primes, ont lancé également un mouvement de protestation à Adiaké, au sud-est du pays. A ces secousses sécuritaires, s’ajoute un climat socio-économique troublé. Depuis novembre 2016, les appels à la grève des fonctionnaires réclamant augmentations salariales, paiement d’arriérés et révision de la réforme des retraites adoptée en 2012 se sont multipliés. Suspendue le 28 janvier, la grève pourrait reprendre si l’une des principales revendications, à savoir le paiement des stocks d’arriérés de salaire à hauteurs de 240 milliards de francs Cfa n’est pas satisfaite. Portée par des revendications concrètes, la grogne sociale est également nourrie par une vive perception des inégalités tandis que les commentaires sur un « désenchantement » de l’ère Ouattara se font de plus en plus entendre. Quoique spectaculaire, passée de -2% en 2010, puis -4,7% en 2011 à 10,7% en 2012 et 8% en 2014 et 2015 (Banque Mondiale 2016), la croissance exceptionnelle qu’est parvenu à impulser le régime actuel demeure insuffisamment inclusive.

Les mutineries de janvier ont par ailleurs écorné l’image de stabilité dont bénéficiait jusqu’à présent l’économie ivoirienne. Plusieurs voyages d’affaires ont fait l’objet d’annulation tandis que de grands groupes privés comme Bouygues ont recommandé à leurs salariés de quitter le pays en attendant une accalmie. De quoi ébranler l’enthousiasme de certains investisseurs.

Ces entraves au bon climat des affaires sont d’autant plus susceptibles de nuire à l’image de la Côte d’Ivoire déjà en proie à d’importants problèmes de trésorerie qu’elles s’accompagnent de tensions politiques. A la bataille feutrée qui oppose les prétendants à la succession du chef de l’Etat, Alassane Ouattara, s’ajoutent les incertitudes quant au sort réservé au Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de Henri Konan Bédié, allié du RDR dans la coalition du Rassemblement des houphouétistes pour le développement et la paix (RHDP) qui a porté Ouattara au pouvoir à deux reprises, en 2010 et 2015. 

En proie à des frictions, les deux poids lourds de la formation au pouvoir, RDR et PDCI, font aujourd’hui l’objet de contestations dans leurs propres camps. Un désaveu remarqué lors de la percée des candidats indépendants, dont de nombreux dissidents des deux partis, qui ont obtenu 75 sièges sur 254 lors des législatives de décembre 2016.

 

Source: « Etat de la démocratie et des droits de l’homme en Afrique de l’Ouest », Gorée Institute 2020