Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Les pays d’Afrique subsaharienne sont engagés dans une transition démographique qui gonflera au cours de plusieurs décennies le volume de jeunes. La population de jeunes comprise dans la tranche d’âge de 15 à 24 ans représente plus de 200 millions d’habitants (Williams, 2012; Boumphrey, 2012). Ces jeunes seront encore et pendant très longtemps, le réservoir d’alimentation du collège électoral. En d’autres termes, ils pèseront de tout leur poids dans la survenance des alternances démocratiques et dans la reconfiguration des trajectoires politiques.
Cette progression du volume des jeunes intervient aussi dans un contexte politique particulier. Dans son ouvrage -intitulé « Democratic Phoenix. Reinventing Political Activism », Pippa Norris postulait la thèse de l’épuisement des formes traditionnelles de participation politique et l’émergence de nouvelles formes d’activisme. La thèse de Norris accordait une attention spéciale à la communication digitale adossée à des technologies comme internet et la téléphonie mobile. Le mouvement du Y en a marre du 23 juin au Sénégal et les manifestations de la rue portées par le Balai citoyen au Burkina Faso semblent accréditer la thèse de Norris dans la mesure où, la mobilisation via les réseaux sociaux a accéléré le processus démocratique dans ces deux pays.
Ce « cyberactivisme » politique pour reprendre le terme de Serge Proulx (2015) s’intègre dans de nouvelles pratiques de militantisme politique (Alexandre Eyries et Cassandra Poirier, 2013). Pourtant, dans d’autres pays africains, ces nouvelles pratiques n’ont pas permis d’accélérer le cours de l’histoire politique, ce qui pousse à nuancer un peu, à l’instar d’Eric Uslaner (2000 ), la relation entre l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication et l’engagement politique.
Au demeurant, les jeunes qui constituent une frange importante de l’électorat politique sont au cœur de ces nouvelles pratiques de militantisme politique. L’objet de cet article est d’interroger l’usage par les jeunes des nouvelles technologies de l’information et de la communication et de voir si cet usage induisait des postures sélectives en matière d’engagement politique en général. Dans cet article, nous entendons par engagement politique, l’intérêt pour les affaires publiques et le soutien à la démocratie. De plus, nous considérons comme jeunes, les personnes dont l’âge est compris entre 18 et 35 ans. Cette définition des jeunes est conforme aux réalités politiques locales car si l’on prend l’exemple du Parti socialiste qui a régné au Sénégal pratiquement de l’indépendance à 2000 qui marque le début de l’alternance politique, on pouvait militer dans les jeunesses socialistes jusqu’à l’âge de 35 ans.
Cet article s’appuie sur les données provenant des enquêtes du Round 5 d’Afrobarometer.
CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES
Du lien entre l’âge et l’engagement politique
Dans tous les régimes démocratiques, le lien entre l’âge et la politique est régi par des dispositions législatives consacrées par la constitution. Celle-ci fixe l’exercice du droit de vote au droit définissant de facto, un moratoire politique. Cependant, dans certains cas, ces dispositions viennent tout simplement formaliser un intérêt et un activisme politique pouvant être très précoces. En effet, des enfants peuvent baigner dans des ambiances politiques qui vont déterminer l’orientation de leurs engagements politiques futurs. AnneMuxel, dans le questionnement introductif «Qu’est-ce que l’âge en politique ? » rappelle un vieux postulat « contestataire à 20 ans, conservateur à 60 ans » qui traduit les associations peut être abusives entre la jeunesse et la contestation politique. Citant Hyman (1959), Gallatin (1980), Jenning et Niemi (1974 et 1984) et Percheron (1974, 1982 et 1985), elle note dans un article intitulé L’âge des choix politiques. Une enquête longitudinale auprès des 18-25 ans et paru en 1992 : « C’est au cours de l’enfance et de l’adolescence que se réalisent les premières acquisitions politiques ».
Traitant de l’abstentionnisme en France, Lancelot (1968) notait que « les électeurs s’abstiennent d’autant plus et d’autant plus régulièrement, qu’ils relèvent de catégories ou appartiennent à des collectivités plus mal intégrées à la société globale». Parmi ces catégories, celle structurée par l’âge était selon lui essentielle. Il a ainsi théorisé la courbe en U (qui peut être inversée pour illustrer cette courbe de la participation politique) : aux âges jeunes et avancés, le taux d’abstention est élevé et il est bas aux âges adultes.
Une jeunesse au prisme des NTICS
S’interrogeant sur la signification d’être jeune à l’ère digitale, Green souligne que les jeunes sont au niveau de l’épicentre de la révolution de l’information dans la mesure où ils sont naturellement les plus portés vers la domestication des NTICS.
Ces NTICS créent un aggiornamento des conditions de l’engagement politique à travers la réduction de la distanciation d’avec le champ politique. En effet, par le biais d’une connexion immédiate avec internet devant l’ordinateur, on accède à l’information politique et en temps réel. De même, les messageries sms envoyés par téléphone peuvent permettre de diffuser des informations et de mobiliser des masses de personnes en un temps record. L’efficacité, mais surtout le pouvoir de mobilisation de ces technologies ont été mis en évidence dans l’alternance politique survenue au Burkina Faso.
Dans son ouvrage paru en 2003 et intitulé « Democratic Phoenix. Reinventing Political Activism », Pippa Norris postulait la thèse de l’épuisement des formes traditionnelles de participation politique et l’émergence de nouvelles formes d’activisme. La thèse de Norris accordait une attention particulière à la communication digitale adossée à des technologies comme internet et la téléphonie mobile. Pour Luca Raffini dans un article intitulé Les jeunes, les TIC et la participation politique,
« Le désengagement des circuits politiques traditionnels va donc de pair avec un développement ambigu de modes de mobilisation innovants, non conventionnels et autonomes, pluriels et hétérogènes, tels que les mouvements d’action citoyenne, les associations de quartier, les groupes qui militent pour une unique cause, les attitudes de protestation. Ces nouvelles formes de participation politique recouvrent les réseaux sociaux, le consumérisme politique et la participation électronique. »
Ce « cyberactivisme » politique pour reprendre le terme de Serge Proulx (2015) s’intègre dans de nouvelles pratiques de militantisme politique (Alexandre Eyries et Cassandra Poirier, 2013). Au demeurant, les jeunes qui constituent une frange importante de l’électorat politique sont au cœur de ces nouvelles pratiques de militantisme politique. Le mouvement du Y en a marre du 23 juin au Sénégal et les manifestations de la rue portées par le Balai citoyen au Burkina Faso semblent accréditer la thèse de Norris dans la mesure où, la mobilisation via les réseaux sociaux a accéléré le processus démocratique dans ces deux pays.
Source: « Etat de la démocratie et des droits de l’homme en Afrique de l’Ouest », Gorée Institute 2020