Burkina Faso : les différentes phases de la transition démocratique

Burkina Faso : les différentes phases de la transition démocratique

La chute de Blaise Compaoré

Au Burkina Faso, la chute de Blaise Compaoré, parvenu au pouvoir le 15 octobre 1987 à la suite d’un coup d’Etat sanglant contre le Capitaine Thomas Sankara intervient, en raison de sa tentative de modifier l’article 37 de la Constitution, qui l’empêche de se représenter à l’élection présidentielle de 2015. Le 21 octobre 2014, le président annonce que le projet de modification constitutionnelle sera débattu à l’Assemblée Nationale. C’est la troisième fois depuis le début de sa présidence que Blaise Compaoré tente de modifier son mandat présidentiel. Les mises en garde, y compris dans son propre camp, s’étaient pourtant multipliées pour le dissuader d’entreprendre cette manœuvre qui allait lui être fatale. Ce projet de modification constitutionnelle déclenche une vague d’insurrection populaire qui atteint son paroxysme le 30 octobre 2014, le jour même où les députés étaient censés voter le texte. Ouagadougou sombre dans la violence. L’Assemblée nationale est incendiée et la télévision publique prise d’assaut, forçant le gouvernement à annuler le vote de la révision constitutionnelle. Confronté à un soulèvement populaire d’une ampleur sans précédent, Blaise Compaoré quitte le pays pour la Côte d’Ivoire. Plusieurs organisations de la société civile, notamment le Mouvement du 21 avril (M21), créé en 2013 et le Balai citoyen (CiBal) ont été le fer de lance de la contestation sociale qui a abouti au départ de Blaise Compaoré. L’influence de ces organisations de jeunesse est importante dans ce pays où 60% de la population a moins de 25 ans.
Le bilan de l’insurrection, selon le rapport d’Amnesty International et les chiffres officiels, est de 625 blessés et d’au moins 24 personnes tuées au Burkina Faso, entre le 30 octobre et le 2 novembre 2014.

La transition politique

La chute du président Blaise Compaoré a été d’une surprenante rapidité. Dans la confusion qui a suivi sa démission, c’est d’abord le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), la partie la mieux armée et la plus structurée de l’Armée, qui s’est emparé du pouvoir. Sous la pression des manifestants et de la communauté internationale, des négociations ont rapidement débuté entre l’armée, les partis politiques, les autorités traditionnelles et religieuses et la société civile. Le 16 novembre 2014, ces acteurs ont adopté ensemble une charte de transition faisant office de constitution intérimaire jusqu’aux prochaines élections. Le régime de transition était constitué d’un président, d’un gouvernement et d’un organe législatif appelé le Conseil national de la transition (CNT).

Les dirigeants de la transition avaient pour mission d’organiser en une année des élections présidentielles et parlementaires, auxquelles ils n’étaient pas autorisés à se présenter eux-mêmes. Les deux hommes forts de la transition étaient Michel Kafando, à la fois président et ministre des Affaires étrangères, et le lieutenant-colonel Isaac Zida, qui cumulait les fonctions de Premier ministre et de ministre de la Défense. Le 4 février 2015, la garde présidentielle, le RSP, réclame la démission du Premier ministre Isaac Zida, signe de la fragilité du nouveau pouvoir installé depuis la chute de Blaise Compaoré. La société civile dénonce une tentative de sabordage de la transition démocratique. La crise est surmontée par un compromis : la garde présidentielle renonce à réclamer cette démission contre la promesse par le Premier ministre de ne pas dissoudre le RSP. Le 7 avril 2015, une demi-douzaine de proches de l’ex-président Blaise Compaoré, dont trois anciens ministres, sont arrêtés alors que les députés burkinabè adoptent un nouveau code électoral qui interdit aux partisans de président déchu de participer aux scrutins d’octobre 2015. D’autres décisions importantes sont prises, notamment le verrouillage de l’article 37 de la Constitution qui stipule que le président est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Pour empêcher un futur président de changer la constitution dans le but de modifier la clause de limitation du nombre de mandats, comme voulait le faire Blaise Compaoré, le Conseil national de la transition (le Parlement intérimaire, connu sous le sigle du CNT), a inscrit l’article 37 parmi les dispositions qui sont interdites de modification.

Alors que l’élection présidentielle devait être organisée le 11 octobre 2015, la marche en avant de la transition a été brutalement stoppée, le mercredi 16 septembre 2015, par un coup de force des militaires du Régiment de sécurité présidentiel, qui ont pris en otage le président Michel Kafando et son Premier ministre Yacouba Isaac Zida, avant de porter au pouvoir le général Gilbert Diendéré. Ils ont annoncé, par la suite, la dissolution du gouvernement de transition, et promis d’organiser des élections inclusives c’est-à-dire comprenant des candidats proches du président déchu, Blaise Compaoré. Ce qui ressemblait à un mouvement d’humeur du Régiment de sécurité présidentiel a pris les contours d’un coup d’Etat. Ce fut un nouveau soubresaut dans la difficile transition politique au Burkina Faso. Dénonçant un coup de force du RSP, les organisations de la société civile appelèrent les Burkinabé à descendre dans la rue pour marcher vers le palais de Kosyam. De son côté, Chérif Sy, le président du Conseil national de transition (CNT) et troisième personnalité du régime transitoire demanda à ses compatriotes à se mobiliser « pour faire échec à cette opération » et pour obtenir « la libération immédiate du chef de l’Etat, du Premier ministre et des ministres arrêtés ». Sous pression de la rue, et de l’armée loyaliste qui s’est jointe aux manifestants en faisant mouvement sur Ouagadougou, les membres du RSP sont contraints à la reddition. La principale conséquence de ce coup d’Etat manqué a été la reprogrammation des élections présidentielles qui, prévues initialement le 11 octobre, ont été décalées au 29 novembre 2015.

Après ces soubresauts, la transition suivit son cours et aboutit le 29 novembre 2015, à l’organisation des élections présidentielles. Couplées aux législatives, ces élections présidentielles historiques sont remportées dès le premier tour avec 53, 49 % des voix par Roch Marc Christian Kaboré, le candidat du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), contre 29,65% pour Zéphirin Diabré, le candidat de l’Union pour le progrès et le changement (UPC). Aux élections législatives, le parti de Roch Marc Christian Kaboré, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), est arrivé en tête avec 55 sièges sur les 127 que compte l’Assemblée nationale. La deuxième place revient à l’Union pour le progrès et le changement (UPC), le parti de Zéphirin Diabré, avec 33 sièges. L’ancien parti de Blaise Compaoré, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) a remporté la troisième place avec 18 sièges.

Une avancée dans les dossiers judiciaires

L’avènement de la transition politique a favorisé une avancée des procédures judiciaires concernant les crimes commis sous le régime de Blaise Compaoré. En effet, il a fallu attendre la chute de Blaise Compaoré, en 2014, pour que le ministère de la défense donne un ordre au procureur militaire et qu’une instruction soit ouverte. Il s’en est suivi une exhumation et une expertise des restes présumés de feu Thomas Sankara et de ses douze compagnons assassinés. Le 12 novembre 2015, le général Gilbert Diendéré a été inculpé d’attentat, assassinat et recel de cadavre. Le 4 décembre 2015, la justice militaire burkinabè a émis un mandat d’arrêt international contre Blaise Compaoré, visé par les mêmes chefs d’accusation. Les autorités de la Côte d’Ivoire, où se trouve en ce moment Blaise Compaoré, n’ont pas, à ce jour, réagi à ce mandat d’arrêt.

Le 21 décembre 2015, une première expertise ADN avait livré ses résultats. Le laboratoire marseillais chargé des examens avait assuré que les analyses pratiquées sur la dépouille présumée du capitaine n’avaient pas permis de détecter des traces d’ADN. Les résultats de la contre-expertise ADN, demandée par la famille du capitaine, le 31 décembre n’ont toujours pas été rendus publics. Malgré ces avancées, les circonstances de l’assassinat de Thomas Sankaré, alors âgé de 37 ans, sont encore loin d’être élucidées.

Des progrès ont été également enregistrés dans l’affaire Norbert Zongo, journaliste assassiné en décembre 1998, alors qu’il enquêtait sur la mort du chauffeur du frère du président Compaoré. Le 12 décembre 2015, trois anciens soldats du RSP ont été inculpés. La justice burkinabè a aussi réagi rapidement au coup d’Etat manqué du RSP. Le 25 septembre 2015, le Procureur général a gelé les avoirs de plusieurs personnes et partis politiques soupçonnés d’être impliqués dans le putsch. Le 6 octobre 2015, Gilbert Diendéré, ancien chef d’Etat-major particulier, et Djibril Bassolé, ministre des Affaires étrangères sous Compaoré, ont été inculpés notamment d’atteinte à la sûreté de l’Etat.

Effectuée entre avril et mai 2015, une enquête de l’équipe Afrobaromètre révèle que les Hommes intègres sont divisés quant à la recherche de la vérité et de la justice contre l’impunité sur l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Ainsi, selon l’enquête, la majorité des Burkinabè (62%) souhaite que la lumière soit faite sur l’insurrection pour permettre au pays d’aller de l’avant et d’instaurer la réconciliation et une paix durable. Dans ce sens les citoyens suggèrent par ordre de priorité : la poursuite judiciaire des suspects (40%), la confession et le pardon (23%), la recherche de la vérité (18%), l’amnistie générale (15%).

Source: Ouvrage « L’état de la démocratie et des droits de l’Homme en Afrique de l’Ouest », Gorée Institute 2020