Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
La transition démocratique au Mali est visiblement parrainée par la France qui a suivi, avec une attention particulière, l’évolution politique de ce pays dont on a présenté les bienfaits d’une libéralisation politique dirigée par l’ancien colonel Amadou Toumani Touré (ATT), tombeur du Général Moussa Traoré, très remonté contre le discours de La Baule qui incite les dirigeants africains à la démocratisation de leur régime politique[1]. Ainsi, ce nouveau chef de l’armée décide de ne pas se présenter aux élections de 1992 qui seront remportées par Alpha Oumar Konaré (1992-2002).
Cette mutation politique fait que l’espace politique sera fortement dominé par deux principaux partis à savoir : l’ADEMA (L’Alliance pour la démocratie au Mali) et le CNID (Comité national d’initiative démocratique). D’autres partis seront créés dans cette dynamique d’ouverture démocratique. Malgré cet engouement, la transition reste empêtrée dans ses contradictions, elle ne parviendra pas à venir à bout des questions de justice sociale, de mauvaise gouvernance. Le désenchantement politique s’installe et creuse la fracture entre les hommes politiques et les citoyens, ce qui se traduit par des taux de participation très faibles aux différentes consultations électorales.
En effet, l’activité politique se réduit paradoxalement à des rivalités de positionnement dans l’espace politique et social, développant les capacités d’accumulation individuelle de ressources publiques au moment où la pauvreté gagne la majorité des populations. Les frustrations et la marginalisation politique et sociale deviennent le terreau des différentes formes de violence. De plus, les facteurs externes perturbateurs, avec le radicalisme religieux compromettent ces innovations politiques, surtout l’Etat de droit en construction, qui sera rudement touché par des crises politiques, financières et sociales.
De même, le comportement des pouvoirs publics, en termes de gabegie et de corruption, n’est pas de nature à rassurer les populations exposées à un état de paupérisation sans précédent. Derrière la façade de transition démocratique au Mali se cache « une situation sociale, politique et sécuritaire qui ne cessait de se dégrader au regard de la misère endémique des populations, de la corruption des élites, des dysfonctionnements de l’appareil militaire, de la résurgence des rébellions au nord du pays »[2].
Ces facteurs, conjugués à l’irruption du Jihadisme régional et aux réseaux de trafics transnationaux accélèrent logiquement l’effondrement de l’Etat malien en 2012, devenu une proie facile pour les groupes armés touaregs et jihadistes, associés dans une alliance conjoncturelle. Par conséquent, le pouvoir d’Amadou Toumani Touré, symbole de « la démocratie malienne », largement entamé, ne résistera pas au coup d’Etat du 22 mars 2012, mené par un capitaine de l’armée, Amadou Haya Sanogo dont les méthodes rappellent curieusement celles d’un autre capitaine en Guinée, Moussa Dadis Camara. Mais la pression de la « communauté internationale » oblige le nouvel homme fort du Mali à désigner un président intérimaire en la personne de Dioncounda Traoré en avril 2012[3]. Ce dernier, face à l’offensive des jihadistes dans le sud, demandera l’intervention de la France pour mettre fin à l’occupation du pays. Dès lors, l’opération Serval sera mise en œuvre, le 11 janvier 2013 dans une perspective de sécurisation et de stabilisation de l’Etat malien. L’aboutissement de cette action militaire permettra de réunir les conditions de l’organisation d’une élection présidentielle dont sortira vainqueur, Ibrahima Boubacar Keita (IBK), avec un score de
77,62 % des voix exprimées. En dépit de ses efforts dans le cadre de la normalisation de la vie politique et sociale, le Mali reste dans une situation précaire en matière de sécurité et de stabilité au regard des enjeux et des comportements des acteurs impliqués dans le processus de paix et de transition démocratique.
Finalement, l’image du règne d’ATT se résume, selon Jean-Louis Sagot-Duvauroux, en condensé de révoltes qui s’appuient sur « une politique d’arrangements au coup par coup, de négociations au jour le jour, de complicités improbables qui, au nord comme au sud, sont la marque de fabrique d’un président expert en consensus. La partie septentrionale du Mali devient un théâtre d’ombre où se mêlent trafic d’armes et de drogue, concentrations de narco-djihadistes, enlèvements d’otages, aide internationale, corruption, opération de développement… » [4].
Ce tableau sombre marque l’opinion malienne surtout avec la disparition, en novembre 2009, dans le désert non loin de Gao de la cargaison de drogue d’un Boeing sud américain. Cet événement, entouré de mutisme et d’impunité, ne peut se dérouler sans la participation de complices locaux ou « officiels ». En tout cas, la crise multidimensionnelle qui déstabilise le Mali démontre les dérives de pouvoir et les limites ou l’artifice d’un label de transition démocratique s’inscrivant dans l’ère du temps mais qui, au fond, demeure très superficielle à l’épreuve de la réalité. Le coup d’Etat de Sanogo met un terme à « cette démocratie stabilisée » avant d’ouvrir une nouvelle ère, celle de IBK, déjà empêtrée dans une révision constitutionnelle qui risque d’abréger ou de cristalliser des mécontentements regroupant les forces de l’opposition et de la société civile contre le pouvoir actuel très affaibli par cette décision. La démission de son premier ministre reconduit en 2018, Soumeylou Boubeye Maïga, montre bien l’échec de la stratégie sécuritaire, la persistance des fronts sociaux, les rivalités au sein de la majorité et l’absence de dialogue politique. Il en résulte, dans cette crispation, le dépôt devant l’Assemblée nationale d’une motion de censure, initiée par l’opposition et une partie de la majorité des députés, poussant le chef du gouvernement à la démission. Ajoutant à ce climat délétère, le massacre, le 23 mars 2019, à Ogossagou dans la région de Mopti de plus de 160 civils de la communauté peule. Cet acte odieux est attribué à des chasseurs traditionnels (dozos), appartenant à une milice d’autodéfense. Une enquête onusienne parle « d’attaque planifiée, organisée et coordonnée ».[5] En tout cas, la situation révèle l’intensification des violences communautaires dans une zone marquée par les activités des groupes jihadistes, extrémistes qui n’épargnent pas les populations. Le gouvernement de Soumeylou Boubeye Maïga sera sanctionné, entre autres, par la gestion de ces événements. Le président IBK désigne dans la foulée, Boubou Cissé, comme nouveau premier ministre qui réussit la signature d’un accord politique, avec 15 partis ou groupement de partis, le jeudi 02 mai 2019, pour une gouvernance consensuelle. Le temps édifiera sur les perspectives d’une telle initiative et son impact sur la stabilité et la paix sociale.[6]
Source: Ouvrage « L’état de la démocratie et des droits de l’Homme en Afrique de l’Ouest », Gorée Institute 2020