Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Au début des années 1990, l’entrée de l’Afrique dans le « train de la démocratie » avait laissé entrevoir l’espoir d’un bannissement de la violence dans les relations sociales. Mais cet espoir a été de courte durée, car les coups d’Etat ont repris de plus belle et les conflits armés perdurent bien que le vent de la démocratie continue de souffler en Afrique.
Dans certains pays, la transition s’est soldée par une restauration autoritaire, via l’armée (Togo), ou un nouveau coup d’État (Niger en 1996 puis 1999). D’autres, qui n’avaient pas jusqu’alors connu l’intrusion des militaires en politique, ont connu leur premier coup d’Etat (Gambie en 1994, Côte d’Ivoire en 1999). Le fait marquant de ces transitions est l’absence d’un réel débat sur la place et le rôle de l’armée. Dans les régimes post-transition, des dispositions y afférentes sont formellement prises dans les textes et dispositifs institutionnels, mais de fait, les militaires restent potentiellement présents dans la vie politique. Même à l’ère de la démocratie, l’institution militaire, si elle ne continue pas d’être au pouvoir, dispose néanmoins d’une grande influence sur le pouvoir politique. Il en est ainsi en Guinée-Bissau, en Mauritanie et au Togo où, bien que ce soient les civils qui sont au gouvernement, le pouvoir politique continue sans conteste d’hériter de « l’ancien système recyclé ».
Le régime actuel en Côte d’Ivoire reste, quant à lui tributaire de la nouvelle armée issue de la crise ayant porté Alassane Ouattara au pouvoir. Dans d’autres situations comme en Mauritanie, les militaires se sont convertis en civils pour accéder au pouvoir politique, sans pour autant se détacher réellement de la troupe. Mais le cas du Togo reste assez édifiant de la conservation du pouvoir par l’armée. La mobilisation populaire du 5 octobre 1990 obligea le régime en place à concéder une conférence nationale souveraine (8 juillet-28 août 1991). L’opposition réussit, pour une courte durée (1991-1992), à contrôler la transition en sa faveur. Mais très rapidement, le régime d’Eyadema, profitant des erreurs de l’opposition qui ne voulait rien lui concéder et de la mainmise sur l’armée, réussit à reprendre la situation en main.
Au sortir de la Conférence nationale souveraine, les relations entre le premier ministre de la transition, Joseph Koffigoh et le chef de l’Etat et l’armée, étaient très tendues. Le 8 octobre 1991, une fraction de militaires se mutina, occupa les locaux de la radio Lomé. Elle proclama dans une déclaration la dissolution du HCR17. Cette sortie brutale des Forces armées togolaises (FAT) annonça une transition conflictuelle. Le Premier ministrefut pris en otage le 28 octobre 1991 au siège du gouvernement encerclé d’engins blindés par un groupe de militaires se réclamant du chef de 1’Etat. Ce groupe proclama dans un communiqué, la « fin de la transition », portant un sérieux coup aux institutions de la transition. Les militaires capturent le Premier ministre qu’ils conduisent auprès d’Eyadema. Les 22 et 23 octobre 1992, les membres du HCR, furent séquestrés au Palais des Congrès, pendant plus de vingt-cinq heures. Les militaires, auteurs de la prise d’otages, exigeaient le dégel des fonds du RPT et la remise aux éléments des forces armées et de sécurité de leur quote-part de cotisations aux fonds du parti unique.
C’est dans ce contexte que le pays adopta, le 27 septembre 1992, une nouvelle Constitution qui restaure les pouvoirs du président. La guéguerre entre les leaders de l’opposition offre au président Eyadema, une victoire, aux élections présidentielles du 25 août 1993 et du 21 juin 1998. En vue de permettre au président sortant de se représenter à un troisième mandat, auparavant prohibé par la clause limitative du nombre de mandats présidentiels, la Constitution fut modifiée le 31 décembre 2002. La nouvelle renforça les pouvoirs du président de la République, au détriment du premier ministre. Depuis lors, le rôle de l’armée se renforça. A la mort du président Eyadema le 5 février 2005, elle confia le pouvoir à l’un de ses fils, Faure Gnassingbé, élu en avril 2005 président de la République. Toutefois, le pays a connu à la suite de l’élection présidentielle de 2005 deux autres scrutins du même genre (2010 et 2015) qui ont été moins contestés.
Au Nigeria, au Niger, en Guinée, en Mauritanie ou en Côte d’Ivoire, bien que ces pays aient connu des élections libres avec l’avènement de régimes civils, les militaires sont toujours influents dans ces pays. L’élection d’Olusegun Obassanjo en 1999 à la présidence de la République au Nigeria, par exemple, est perçue comme une alliance entre les militaires nigérians et les élites civiles comme, l’explique Marc-Antoine Pérouse de Montclos (2003) en ces termes : « Sur la scène politique interne, Obassanjo est présenté dans les habits d’un homme-passerelle, à la confluence des réseaux de pouvoir militaires et civils, d’une part, et sudistes et nordistes, d’autre part ».
Même si en Gambie, l’on a assisté à l’avènement d’un régime civil en décembre 2016, avec la victoire de l’opposant Adama Barrow sous la bannière du Parti démocratique unifié, il est trop tôt et aussi complexe de parler d’un régime strictement civil. La prise de fonction effective du nouveau président n’a été possible que grâce à l’intervention militaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’organisation sous-régionale qui a poussé le dictateur Yahya Jammeh21 à l’exil. Pour l’heure, le pouvoir du nouveau président doit son existence à la présence des militaires de la CEDEAO constitués, pour la majeure partie, de Sénégalais.
En clair, la situation de l’Afrique de l’Ouest avec l’implication ou non des militaires dans la vie politique analysée tout au long de cette contribution montre, en dehors du cas particulier gambien, deux grandes tendances. D’une part, on a des pays dont les militaires sont retournés aux casernes. Cette situation concerne le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana, le Mali, le Libéria, la Sierra Léone, le Sénégal. D’autre part, il se trouve des pays où on assiste à des régimes militaires à visage civil. Il s’agit de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, de la Guinée Bissau, de la Mauritanie, du Niger, du Nigeria et du Togo.
Source: « Etat de la démocratie et des droits de l’homme en Afrique de l’Ouest », Gorée Institute 2020