Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
On note en Afrique une persistance de conflits longs et coûteux en vies humaines (26 conflits entre 1963-1998), caractérisés par une exacerbation des particularismes religieux, ethniques et tribaux, des violations répétées et impunies des droits de l’homme et un enjeu souvent économique sous-tendu par l’exploitation de richesses naturelles stratégiques. Ces conflits affectent 474 millions de personnes (61% population), occasionnant plus de 5 millions de réfugiés, plusieurs millions de morts et des millions de déplacés aux conditions précaires. La récurrence de ces affrontements armés ne remet pas seulement en cause la démocratie naissante, elle sape aussi les fondements de l’État africain et de l’unité nationale. Le conflit ivoirien est symbolique à cet égard. Dans les pays affectés par la phase de révolte armée, la guerre civile pervertit les institutions de l’État. Les forces armées et de sécurité, l’appareil judiciaire et les organes de régulation qui permettent un fonctionnement républicain de l’État sont dépouillés de leur rôle d’intégration nationale, pour n’être plus que des outils au service de factions ou de groupes à base ethnique ou régionale. Dans ces conditions le système démocratique se trouve piégé de manière durable.
L’Afrique de l’ouest est particulièrement affectée par cette situation conflictuelle. Au Mali, l’irrédentisme touareg qui s’est manifesté déjà à la veille de l’indépendance, a pris une nouvelle tournure particulièrement violente du fait de l’émergence d’une rébellion armée dans la région septentrionale de ce pays. L’offensive victorieuse lancée le 17 janvier 2012 par les insurgés touaregs contre les forces armées maliennes à Ménaka et dans la région de Kidal est l’expression d’une nouvelle forme de lutte. Il ne s’agit plus comme auparavant de revendiquer une meilleure intégration des touaregs au sein de la société malienne et de réclamer en leur faveur de plus grands efforts pour le développement, mais de conquérir l’indépendance. Les insurgés ne parlent plus de rébellion, mais de « mouvement révolutionnaire » destiné à « libérer le peuple de l’Azawad de l’occupation malienne ». L’occupation du Nord du pays depuis le 17 janvier 2012 par des rebelles touaregs a favorisé l’implantation dans la région, de groupes islamistes et singulièrement le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest).
Ces derniers ont tiré profit de la fragilité structurelle et de l’incapacité de l’Etat malien d’assurer la protection de l’intégrité de son territoire car ne disposant pas d’une armée suffisamment équipée et préparée, mais aussi de l’indécision de la CEDEAO qui a mis trop de temps pour prendre une décision face à la situation, pour s’implanter et conforter leurs bases. Cette situation va rendre difficile leur délogement envisagé par la CEDEAO sous l’égide des Nations Unies. Ils multiplient les attaques et les prises d’otages, et profitent ainsi de la faiblesse des Etats et leur incapacité à contrôler cette zone très vaste, favorable à leur action. La fragilité de la zone est aussi propice aux actes criminels, aux trafics d’armes, de drogue, aux enlèvements, au développement du terrorisme et à l’insécurité.
En effet le MUJAO, pour atteindre son objectif dans la sous-région, l’instauration de la Charia dans toute la zone Ouest Africaine, collabore étroitement avec AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique) et d’autres groupes terroristes comme Boko Haram du Nigeria. Ces groupes revendiquent déjà des attentats suicides ainsi que des prises d’otages. Ils réclament des rançons, principale source de financement de leurs activités, sous peine d’exécution des otages en leur possession. Ils utilisent aussi les otages comme moyens de pression pour empêcher les puissances occidentales comme la France d’intervenir. Auprès de ces groupes, on retrouve également des combattants de l’ancien régime de Kadhafi, non désarmés, de retour chez eux (c’est le cas du Mali). C’est ce qui est à l’origine de la situation confuse au Mali aujourd’hui.
Ce pays a connu en un court laps de temps, plusieurs épreuves dont les conséquences perdurent le nord du territoire est divisé et occupé par des forces rebelles qui ont proclamé l’indépendance de l’AZAWAD le 6 avril 2012 et par des islamistes, un coup d’Etat militaire a été perpétré le 22 mars 2012 et une transition politique d’une durée d’un an y a été instituée depuis le 12 avril 2012. Les islamistes et les rebelles qui étaient au départ des alliés, sont aujourd’hui à couteaux tirés et ont pris les armes les uns contre les autres.
Au lendemain du coup d’Etat du 22 mars 2012, la situation dans la bande sahélo-sahélienne qui ravage le Nord-Mali depuis la tournure tragique prise par les événements, menace l’Afrique de l’Ouest dans sa globalité, avec notamment des armes puisées dans les arsenaux libyens dont se servent les rebelles. Cette situation constitue une sérieuse menace pour la paix et la sécurité en Afrique de l’Ouest en particulier mais aussi dans le monde et occasionne, entre autres fléaux, le déplacement des populations qui tentent de fuir les zones de conflit, la traite et le trafic de personnes et la prolifération des armes légères. Cependant, un fait nouveau mérite d’être souligné le Mouvement Nationale de Libération de l’Azawad (MNLA) et ANSAR EDDIN ont évolué dans leurs prétentions surtout dans l’application de la Sharia. Ces deux mouvements ont récemment décidé de participer au côté de l’Etat malien à la reconquête du Nord et au délogement des terroristes islamistes et des malfaiteurs. Les batailles entre factions rebelles peuvent les fragiliser et permettre ainsi au pouvoir du Mali de recouvrer l’intégrité de son territoire mais aussi d’assurer la sécurité de la région ouest-africaine par l’expulsion des islamistes, des terroristes et des narco-trafiquants de la zone.
Ce cas malien n’est pas isolé, les pays ouest-africains sont pour la plupart confrontés à l’épineuse équation de la construction de l’unité nationale. A l’image de la Côte d’Ivoire, la Guinée où la polarisation des ethnies autour des dirigeants issus de leurs régions respectives, fait resurgir la question de l’ethnocentrisme qui a toujours marquée la vie politique du pays. Les états-majors des partis adoptent des stratégies en instrumentalisant les ethnies à des fins électoralistes surtout avec l’élection présidentielle qui a porté Alpha Condé au pouvoir. Ces dangers de l’ethnocommunautarisme sont accentués par une inégalité économique et une mauvaise distribution des richesses, un commerce illicite des armes, une répartition des postes et fonctions étatiques sur des bases ethniques non fondées sur les compétences. Seule une véritable prise en compte du principe de l’égalité des citoyens et une réconciliation nationale concrète peuvent épargner la Guinée de crises sociales ou d’une guerre civile future.
Extrait de l’ouvrage « Les défis de la gouvernance en Afrique de l’Ouest » © copyright : Gorée Institute – Edition 2013