Article de la semaine-Enjeux sécuritaires en Afrique de l’Ouest : focus sur la Guinée Bissau

Seul pays d’Afrique de l’Ouest à avoir obtenu son indépendance par les armes au terme de 10 années de guerres avec le Portugal, la Guinée-Bissau peine encore à se développer. Cette situation s’explique par les périodes d’instabilité politico-institutionnelle récurrentes que traverse l’Etat lusophone. Depuis son accession à l’indépendance en 1974, le pays a connu neuf coups d’Etats militaires dont le dernier date du 12 avril 2012. À ce jour, aucun leader politique élu n’est allé au bout de son mandat. Aujourd’hui, les divisions au sein du PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert), parti au pouvoir, le poids occupé par l’armée dans la vie politique ainsi que la corruption liée au trafic de drogues paralysent la gouvernance du pays. Cette instabilité se manifeste par la violation récurrente de la Constitution, l’impunité, le manque d’accès à la justice, les inégalités de genre, etc. représentant un danger pour la sécurité humaine des ressortissants bissau-guinéens.

 Une instabilité politico-institutionnelle chronique

Un système politique favorisant les rivalités de leadership

Depuis le 12 mai 2016, la Guinée-Bissau se trouve dans une impasse. Pour la deuxième fois en deux ans de mandat, le président José Mario Vaz a relevé de ses fonctions l’ensemble de son gouvernement. Le début de cette crise politique remonte à 2015 lors de la destitution du précédent chef de l’exécutif, Domingos Simoes Pereira. Si la mésentente entre ce dernier et le président était connue depuis les élections de 2014, une raison plus profonde et structurelle semble expliquer le dysfonctionnement des institutions bissau-guinéennes : le système de gouvernance. Dans un régime semi-présidentiel, le pouvoir exécutif est dirigé par un premier ministre issu de la majorité parlementaire ainsi que par un président de la république élu au suffrage universel direct. Ce système confie des pouvoirs assez larges au président notamment la capacité de nommer et de renvoyer le Premier ministre, le chef des Forces armées ou encore le Garde des Sceaux. Cependant, ce dernier joue un rôle plutôt symbolique en comparaison avec le Premier ministre qui est le véritable homme fort du pays. Cette bipolarité de l’exécutif entraine une rivalité entre les deux fonctions ce qui explique les blocages politiques que connait le pays. Depuis la destitution de Carlos Correia, successeur de Domingos Simoes Pereira, les négociations au sein du parti visant à choisir un nouveau premier ministre n’avancent pas. Le président Vaz a annoncé, la nomination de Baciro Dja comme nouveau Premier ministre le 26 mai dernier. Cette décision a été formellement rejetée par les militants du PAIGC. Ces derniers estiment que le choix du Premier ministre incombe au parti majoritaire au Parlement conformément à la Constitution. En raison de ce blocage, de nombreuses institutions ont cessé de fonctionner, engendrant ainsi un dysfonctionnement des services sociaux de base, notamment de la santé et de l’éducation. À terme, cette situation aura des répercussions négatives sur le processus de consolidation de la paix et de l’Etat de droit démocratique. Cette nouvelle crise tend particulièrement à décourager les bailleurs internationaux, qui avaient pour projet d’allouer un milliard d’euros à la Guinée-Bissau en 2015.

 Le poids de l’armée dans la vie politique bissau-guinéenne

Les forces armées bissau-guinéennes occupent une place prépondérante au sein de la vie politique et publique du pays tant par leur effectif que par leur influence. Responsables de plusieurs coups d’Etat depuis l’indépendance, l’armée est en réalité le détenteur du pouvoir au sein du pays. Les forces armées se sont érigées en élite nationale, s’exonérant de participer aux travaux de reconstruction du pays ainsi qu’aux activités économiques pouvant contribuer à l’accroissement 8 de la production nationale. Toutefois leur poids dans le budget de l’Etat est considérable. Elles bénéficient d’une impunité favorisée par leur complicité avec certains politiciens grâce à qui elles imposent leur volonté dans les instances de gouvernance. La place de l’armée s’explique par le rôle qu’elle a joué dans la lutte pour l’indépendance du pays. La transition entre la lutte nationale pour la libération et la construction d’un Etat moderne a été mal menée notamment lors des différents programmes de démobilisation, de désarmement et de réinsertion (DDR). Ces derniers ont conduit à des revendications diverses, menant parfois à la reprise des armes et à la réintégration dans l’armée d’un grand nombre d’anciens combattants. Etant reconnus comme les libérateurs de la patrie par la constitution, ils sont convaincus de la légitimité de reprendre les armes afin de régler les différends avec l’État. D’autre part, les politiques et les mesures mises en pratique par le nouveau pouvoir en place incarné par le PAIGC n’ont permis ni de garantir une séparation claire entre les activités civiles et militaires ni la transformation d’un contingent militaire issu de la lutte pour la libération nationale en une véritable force armée républicaine. L’armée est hautement ethnicisée. Elle est en majeure partie constituée de « Balantas » qui représentaient l’ethnie majoritaire dans le pays et étaient situés au bas de l’échelle de la société coloniale ce qui a favorisé leur adhésion massive au mouvement de libération. De nos jours, cette situation est exploitée par certains milieux politiques, qui utilisent délibérément ce déséquilibre ethnique ainsi que l’influence militaire, pour contrôler le pouvoir politique. La composition sociologique de l’armée suscite des demandes en faveur d’un rétablissement de l’Etat bissauguinéen sur la base du renforcement de l’unité nationale, la réinvention du système politique et l’établissement d’un système judiciaire fonctionnel et indépendant. Selon plusieurs spécialistes, une réforme au sein des forces de défense et de sécurité permettra de freiner les aspirations de pouvoir des militaires. Cette réforme serait à la fois une nécessité, une priorité et un préalable pour la stabilité du pays dans le sens où elle viserait la transformation des forces de défense et de sécurité en forces véritablement républicaines, respectueuses de l’État de droit.

 Un Etat gangréné par le narcotrafic international et la corruption

Qualifié de premier « narco-Etat » d’Afrique par les Nations Unies, la Guinée-Bissau s’est érigée en véritable plaque-tournante du trafic de cocaïne à destination de l’Europe. La situation géographique du pays, c’est-à-dire ses frontières poreuses avec le Sénégal et la Guinée, sa façade atlantique non-surveillée ainsi que ses îles quasiment désertes dans l’archipel de Bijagos peuvent expliquer en partie cette tendance. Sont également en cause la faiblesse du système judiciaire, la corruption et la pauvreté au sein du pays. Ces facteurs ont favorisé la pénétration de narcotrafiquants sud-américains et leur infiltration dans les hautes sphères de l’Etat : les milieux politique, militaire et de la haute fonction publique. La prolifération du trafic de drogue qui est facilitée par la faiblesse de l’Etat contribue dans le même temps à fragiliser durablement les instances de gouvernance ce qui place le pays dans un cercle vicieux. En 2013, un rapport de l’UNODC affirmait que la production économique annuelle du pays était inférieure en valeur à certaines des saisies de cocaïne réalisées dans la région. Les profits générés par ce trafic sont donc assez importants pour acheter la complicité des fonctionnaires entrainant des luttes intestines qui déstabilisent la gouvernance. Les assassinats du général Tagme Na Wai puis du président Vieira en 2009 vraisemblablement liés à ce phénomène ainsi que les enlèvements, meurtres ou tentatives d’intimidation de journalistes, policiers ou juges ayant osé protester contre ces trafiquants témoignent de l’ampleur qu’a prise le phénomène. 9 L’ancien ministre des affaires étrangères, Mamadú Saliu Djaló Pires, accusait en 2012 le lieutenant général Antonio Indjai, chef d’état-major des forces armées, d’avoir fomenté le coup d’Etat en vue de « de miner le processus de réforme en cours et de poursuivre sa collaboration avec les réseaux du crime organisé et du trafic de drogue en Guinée-Bissau ». Il a ensuite affirmé que l’armée libérait les personnes suspectées d’avoir un lien avec le narcotrafic et laissait des avions chargés de drogue atterrir sur les routes sous protection militaire. Tant que les salaires des fonctionnaires et militaires resteront bas et ne seront pas versés régulièrement, le trafic ne pourra que continuer.

 Des défis socio-économiques

-Une situation économique fragile

La Guinée-Bissau est l’un des pays les plus pauvres au monde. Sur les 1.844 millions d’habitants que compte la nation, près de 70% vivent dans la pauvreté. L’instabilité étatique engendrée par tous les facteurs susmentionnés a contribué à exacerber la situation économique du pays. Les risques financiers et commerciaux entrainés par l’instabilité politico-institutionnelle du pays éloignent les perspectives d’investissements légaux au sein de celui-ci et sont susceptibles de faire fuir les potentiels investisseurs locaux vers l’étranger. À terme, la Guinée-Bissau pourrait être fortement touchée par le phénomène du « brain-drain », ce qui appauvrirait encore le capital humain indispensable à un développement durable. L’économie du pays est principalement dépendante des exportations de noix de cajou ce qui le rend très vulnérable. Par exemple, le coup d’Etat de 2012 a entrainé une déstabilisation de ce secteur qui constitue le principal moyen de subsistance de 80 % de la population du pays dont une grande majorité de femmes. Cela a accentué la pauvreté et la malnutrition. La Guinée-Bissau bénéficie également d’un fort potentiel en termes de ressources halieutique. Cependant, il semblerait que l’instabilité politique instaurée depuis 2012 ait ralenti les activités de pêche, tout en encourageant la pêche illégale et la corruption, réduisant ainsi les revenus des ménages et les possibilités d’emploi.

 Les femmes : premières victimes de la pauvreté

Les femmes représentaient 50.4% de la population bissau-guinéenne en 2015. Selon une étude du PNUD en 2014, la pauvreté est particulièrement accentuée dans les régions du nord du pays où est concentrée la majorité de la population féminine. En raison des discriminations basées sur le genre, les femmes sont plus touchées par cette pauvreté. Elles ont un accès réduit aux ressources disponibles, y compris à la nourriture. De plus, les différentes tâches qui leur incombent les détournent des activités génératrices de revenus et dans le même temps éloignent les jeunes filles des établissements scolaires. Ces dernières sont plus susceptibles de subir un mariage forcé et précoce afin d’alléger les charges économiques de leur famille. Un environnement précaire marqué par l’absence de structures sanitaires expose les femmes enceintes à des risques élevés de malnutrition, de maladies ainsi que de mortalité maternelle. Dans les milieux ruraux, le poids de la société patriarcale s’accentue. Les pratiques traditionnelles telles les mariages précoces et forcés, les mutilations génitales féminines, la polygamie ainsi que le lévirat sont monnaie courante. Ce phénomène ajouté à la misère des femmes, pousse un certain nombre d’entre elles à se livrer à la prostitution tant localement que dans la région de la Casamance au Sénégal. Une situation qui contribue à exacerber la situation sanitaire de la région en propageant l’épidémie du VIH/Sida en raison du manque d’accès aux protections adéquates. D’après UNICEF, le taux de participation des filles à l’école secondaire sur la période 2008/2013 était seulement de 20%. Ce manque d’accès à l’éducation explique leur difficulté à accéder à la 10 justice pour faire valoir leurs droits ainsi que leur faible représentation dans la vie publique et politique.

 Les jeunes : force vive délaissée par le pays

La population bissau-guinéenne est en grande partie composée de jeunes. L’âge moyen de la population est de 20 ans et 41% des citoyens ont moins de 14 ans. La situation des jeunes bissauguinéens est cependant peu enviable. Cette tranche de la population est fortement touchée par le sous-emploi et par le chômage. D’après les dernières données disponibles en 2011, le taux de chômage des jeunes avoisinait les 30%. Les perspectives d’emploi dans le secteur privé sont très faibles, l’Etat reste donc le premier employeur des jeunes. Le manque d’éducation et de structures d’enseignement constitue un frein majeur au développement du pays. Des enjeux sanitaires se distinguent également au niveau de la jeunesse. Le manque d’accès aux soins, l’absence d’informations notamment concernant les Infections Sexuellement Transmissibles ainsi que la déficience des services de dépistage favorisent la propagation d’épidémies comme le VIH/Sida dans le pays. D’autre part, les infrastructures pour la jeunesse dédiées à l’exercice d’activités sportives ou culturelles sont inexistantes. Tous ces facteurs placent les jeunes dans une situation difficile favorisant leur implication dans la petite délinquance ou dans le narcotrafic international. En Somme, l’histoire de la Guinée-Bissau a été ponctuée de nombreux conflits, crises et assassinats politiques déstabilisant le fonctionnement des institutions du pays. La gouvernance politique est fragilisée par divers facteurs comme les divisions au sein des équipes dirigeantes, l’insubordination des personnels militaires, la faiblesse de l’appareil judiciaire, le manque de contrôle démocratique du secteur de la sécurité ou encore la prépondérance du narcotrafic international. Cet état de fait empêche le pays de se développer et place la population dans une insécurité chronique affectant surtout les femmes et les jeunes. Pour résoudre ces crises, les dirigeants du pays doivent se soumettre aux initiatives de médiation de la CEDEAO et montrer une réelle volonté de négocier. Ils devraient faciliter la mise en œuvre du plan d’action de lutte contre le narcotrafic établis par les différentes organisations régionales telles INTERPOL ou UNODC. Il serait également judicieux d’effectuer une réforme du secteur de la sécurité associée au développement d’une justice effective et impartiale pour mettre fin au règne des militaires et à l’impunité.

 

Source: « Rapport sur les enjeux sécuritaires en Afrique de l’Ouest: focus sur le Burkina Faso, la Guinée Bissau et le Sénégal », Gorée Institute