Celui qui tue une fourmi avec soin peut découvrir ses intestins : documentation de l’expérience des médiateurs ouest-africains

La médiation est consubstantielle à la vie familiale, sociétale : les familles et les sociétés qui arrivent à survivre et à se développer sont celles qui arrivent à relever les défis de la cohabitation et à réguler leur fonctionnement avec, entre autres méthodes, la médiation.

 

Feu notre “doyen” Saliou Kandji, ancien ambassadeur du Sénégal en Irak, journaliste, africanologue, islamologue, comme il se présentait lui-même, a énuméré parmi les médiateurs traditionnels, outre les parents au sens large, les hommes et les femmes d’âge, les sages et quatre (4) catégories de médiateurs – conciliateurs spécifiques : – ceux animés des vertus du “gàmmu” wolof c’est-à-dire la parenté mythique ou ontologique. Il en est ainsi par exemple des relations entre Sereer et Al Pulareen, Sereer et Joolaa au Sénégal et en Gambie ; – ceux animés des vertus du “Kal” wolof c’est-à-dire la parenté spirituelle directe ou indirecte. Il en est ainsi des relations entre Jóob et NJAAY, JARA et TARAWAARE au Sénégal et au Mali ; – ceux activés grâce au barrage des interdits, des tabous, le “mbañ” wolof, ou grâce aux pactes de fraternisation, ou grâce à l’initiation “bukkuut” joolaa, “lël” wolof, “ndut” sereer, “soli” bambara, etc. dans l’espace sénégalo-malien ; – ceux enfin animés par la parenté contractuelle : le “mbokkoo” wolof, la conscience d’une communauté d’intérêts. Dans les trois premières phases (7 – 14 – 21 ans) de l’éducation, la prise en compte des domaines religieux, intellectuel, social et professionnel était assurée. Les Etats qui se sont constitués dans l’espace africain, depuis l’Egypte pharaonique jusqu’aux emprises ouest africaines (Ghana, Mali etc.) ne pouvaient ignorer ces mécanismes.

 

Ainsi en Egypte pharaonique on peut signaler le conseil du pharaon Thoutmosis III (1490-1436 avant J.C.) à son vizir Rekhmaré : “Un vizir ne doit pas avoir de parti pris, ni pour les uns ni pour les autres”. Ainsi, dans la bonne tradition africaine, voire humaine, assurer la médiation c’est aider à trouver le bon chemin, le chemin droit, le chemin juste (“jubale” en wolof), ce qui rime avec recommandation, conseil (“diglé”). Dans l’empire du Mali, au XIIIème siècle, la charte de Kurukan Fuga a accordé une place particulière à la coexistence pacifique entre les différents groupes ethniques. Ainsi on comprend aisément que jusqu’à nos jours, les Jóob de la Gambie, de la Mauritanie ou du Sénégal puissent être accueillis au Mali avec le nom TARAWAARE, que les JARA du Mali, de la Côte d’Ivoire ou du Burkina Faso puissent être accueillis au Sénégal, en Gambie ou en Mauritanie sous le nom de NJAAY. Ces mécanismes ont pu jouer et jouent encore un rôle important dans l’insertion, l’intégration sociale, la cohabitation et la régulation sociale, le règlement des conflits en Afrique de l’ouest. Si on y ajoute les apports de l’Islam et du Christianisme, on peut dire que les ferments culturels existent en Afrique de l’ouest pour cultiver la paix et les droits de l’homme. Pourquoi alors, depuis les indépendances africaines (à la fin des années 50), sur les cinquante –trois Etats africains, plus de la moitié ont connu ou connaissent encore des troubles sociopolitiques graves ? Pourquoi l’Afrique de l’ouest présente au début du 3ème millénaire un tableau peu rassurant. « Certains Etats sont rongés de l’intérieur par des discordes entre différentes forces politiques. D’autres ont basculé de façon ponctuelle ou récurrente dans le désordre et la guerre. D’autres sortent difficilement de longues années de conflits armés. Un certain nombre, un petit nombre, il est vrai, a accompli heureusement des progrès notables dans la domestication de la violence et jouit par conséquent d’une stabilité relative, mais avec des incertitudes profondes quant à l’avenir de processus démocratiques. »

 

Des opérations de médiation ont été tentées : médiation politique à travers des concertations inter gouvernementales, grâce à des institutions de coopération (Union africaine) ou régionale, sous régionale (CEDEAO, UEMOA) ; médiations de la société civile à partir de plusieurs initiatives notamment religieuses, caritatives, humanitaires ; médiations des agences de développement avec plusieurs actions comme celles des Nations unies, de l’Union européenne etc. Différents types actions ont été identifiés : traitement des situations conflictuelles, traitement des sociétés en crise, prévention de conflits. Toutefois, les résultats restent mitigés, soit parce que les approches n’ont pas tenu compte de la complexité des situations ni de l’imbrication des différents facteurs internes et externes, idéologiques, socioculturels, politiques et économiques, soit parce que les méthodes n’ont pas été efficaces, soit parce que les moyens humains, logistiques, financiers n’ont pas suivi, soit par manque de coordination des efforts des différents acteurs. Différentes structures de la société civile ont tenté de combiner deux approches : donner la priorité à la prévention des conflits et à la formation de personnes ressources au niveau communautaire sur les techniques de médiation.

 

Source: © Gorée Institute 2010

L’intégralité de l’ouvrage sur ce lien http://www.goreeinstitut.org/index.php/ressources/nos-publications/livres-etudes/7-celui-qui-tue-une-fourmi-avec-soin-peut-decouvrir-ses-intestins-la-documentation-de-l-experience-des-mediateurs-ouest-africains-vf-va/file