Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
De nos jours, les élections sont considérées comme le moyen le plus démocratique de choisir des gouvernants. Le moment électoral est celui où s’exprime la démocratie dans sa forme la plus aboutie : le suffrage universel. Symbole du « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », l’élection est incompatible avec la violence parce qu’elle en représente justement l’alternative en permettant un « affrontement par les urnes plutôt que par les armes ».
En effet, les élections démocratiques exigent un climat de paix pour leur organisation. Elles ne sont pas possibles sans la paix sociale, sans le silence et la neutralité des armes et des « porteurs de kalachnikovs ». L’on ne saurait se rendre aux urnes et voter dans un climat de violence, ni lorsque les armes crépitent de toute part, au plus fort moment des conflits ethniques ou religieux. On ne saurait non plus voter librement lorsque le pays est sous la menace d’attaques terroristes ou est amputé d’une grande partie de son territoire ou de sa population à cause des conflits armés ou des crises politiques. La paix doit donc exister à la fois en amont et en aval du processus électoral. L’on comprend aisément pourquoi la fin des hostilités et un début de réconciliation nationale ont été posés comme des préalables avant l’organisation des élections dans certains contextes de post-confit (Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Liberia, Sierra Leone, etc.).
En revanche, les élections elles-mêmes peuvent alimenter la violence dans des situations où les adversaires politiques ne respectent pas les règles du jeu ou n’acceptent pas les résultats électoraux comme l’expression légitime de la volonté populaire. Souvent, les joutes électorales fournissent l’opportunité pour le peuple d’exprimer d’autres griefs de nature politique ou sociale, au sujet du partage des ressources, de la justice sociale, de la marginalisation, des rivalités ethniques, de l’intimidation ou d’autres malaises perçus ou réels. En conséquence, la construction de la paix et de la démocratie passe nécessairement par la prévention de la contestation électorale et l’amélioration de la transparence de manière à protéger les droits de vote des électeurs comme les droits d’éligibilité des candidats.
En Afrique de l’ouest, si la « vague » de démocratisation du début des années 90 a laissé entrevoir beaucoup d’espoir chez les peuples, force est de constater que les exemples probants d’alternance à la suite d’une élection libre et honnête demeurent rares (Bénin, Cape Vert, Ghana, Sénégal). Mais il ne s’agit pas d’une exclusivité ouest-africaine : les élections sur le continent africain en général sont souvent contestées et débouchent sur des vagues de violence (Kenya en 2007, Gabon en 2009, etc.).
Les conséquences de la contestation électorale – et de la violence qui en résulte très souvent – sont imprévisibles et néfastes pour la paix et la sécurité des pays de la sous-région sur le long terme. En effet, un régime élu par des élections contestées dispose inévitablement d’une légitimité bancale, avec une partie plus ou moins large de la population qui s’estime lésée par une « élection parodique ». Dans ces conditions, le rétablissement de la paix sociale et de la cohésion nationale est encore plus difficile.
En outre, les risques de subir des tentatives de déstabilisation, pouvant aller jusqu’au coup d’Etat, augmentent. Chaque élection qui dégénère entame considérablement la confiance du peuple en ses dirigeants et réduit ainsi son implication politique. Le résultat en est un contrat social vacillant, des frustrations sociales et politiques aggravées par les difficultés économiques, mais l’installation d’une « paranoïa électorale » qui ne favorise pas l’enracinement de la démocratie, ni un climat de paix viable. La « crise postélectorale » ivoirienne de 2010-2011 imprègne encore les esprits : environ 3000 morts et des millions de déplacés à l’issue d’une élection qui devait réunifier le pays. Au Nigéria, l’élection d’avril 2011 a donné lieu à un déferlement de violences dans les provinces du Nord, causant la mort de plus de 800 personnes en seulement trois jours. Et les exemples sont nombreux.
Au lieu de stabiliser le système politique et établir la gouvernance en vue du développement économique et social, les élections sont désormais un élément de déstabilisation et de destruction des organisations sociales, économiques et politiques, voire culturelles des pays africains. Telle est la problématique qui s’impose à tous aujourd’hui et c’est dans ce contexte que le Gorée Institute se propose d’organiser un atelier de formation, les 5, 6 et 7 aout prochain afin d’examiner un certain nombre de questions, notamment: Pourquoi les élections causent-elles la violence et comment l’éviter ? Pourquoi certaines élections sont-elles suivies de contestations ? Comment éviter les tensions et les conflits avant, pendant et après les élections ? Quelles stratégiques et formes de programmation faut-il adopter pour anticiper et prévenir les conflits violents, pour réussir les élections en Afrique de l’ouest dans les prochaines années ?
Le présent atelier, organisé dans le cadre des programmes « Consolidation de la Paix et Prévention des Conflits en Afrique de l’Ouest » et « Démocratisation, Elections et Processus Politiques » du Gorée Institute, aura pour objectif de renforcer les capacités techniques des acteurs étatiques et non-étatiques – directement ou indirectement impliqués dans les processus électoraux – dans la prévention des conflits violents résultant des élections en Afrique de l’ouest.
La session de formation de trois (03) jours sera tenue à l’intention d’une vingtaine de participants en provenance d’OGE (Organismes de gestion des élections) et d’OSC (Organisations de la société civile) du Bénin, du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire, de Guinée Conakry, du Mali et du Sénégal. Ces pays sont particulièrement importants puisque les élections présidentielles s’y tiendront entre octobre 2015 (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée) et le début de l’année 2016 (Bénin).
Le choix du Mali et du Sénégal se justifie par le fait que ces deux pays se distinguent aujourd’hui, l’un par sa situation sécuritaire toujours incertaine et l’autre par son exemplarité en termes d’alternance démocratique en Afrique de l’Ouest. Ce choix n’est pas fortuit : le but recherché est d’amener les participants à savoir identifier les conditions nécessaires et l’environnement propice pour la tenue d’élections transparentes, libres et justes, conformément aux principes régissant les élections démocratiques. Il s’agit aussi de tirer des leçons de bonnes pratiques, à partir des débats, échanges d’expériences et études de cas qui auront été partagés pendant les trois jours, en tenant compte du fait que ces pays ont connu des trajectoires politiques différentes depuis leur accession à l’indépendance.