Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
L’Afrique, disait Barack Obama, n’a pas besoin d’hommes forts ; ce qu’il lui faut, ce sont des institutions stables et démocratiques. Cette affirmation de la primauté des institutions sur les hommes devrait figurer au frontispice de nos édifices publics, tant elle n’est pas encore ancrée dans notre culture et dans nos mœurs politiques.
La consolidation de l’Etat de droit et la démocratie sont assurément un des défis premiers dans l’espace ouest africain. La démocratie demeure encore contrariée ou bloquée dans de nombreux pays (Mali, Guinée-Bissau, Guinée, Togo, Burkina Faso et Côte d’Ivoire) par le non-respect surtout des principes électoraux universellement reconnus.
Si au Mali le processus démocratique enclenché depuis plus de 20 ans a été interrompu par le coup d’Etat perpétré par le Capitaine Amadou Aya Sanogo le 22 Mars 2012, à quelques semaines de l’élection présidentielle qui devait se tenir en avril 2012, en Guinée-Bissau c’est le décès du président Malang Bécaye Sagna démocratiquement élu qui a relancé les querelles politiques avec la tentative de confiscation du pouvoir par le Premier ministre Carlos Gomes Junior ; lequel voulait assurer l’intérim du défunt Président alors que la constitution ne l’y autorisait pas.
Par ailleurs, l’intrusion de l’armée dans la vie politique est une donnée permanente. Nous assistons dans ce pays à une transition démocratique difficile souvent émaillée de mutineries dans les casernes. La prégnance de l’armée dans la vie politique et son insoumission au pouvoir civil apparaît comme une épée de Damoclès brandie au-dessus de la classe politique. Sa dépolitisation est indispensable pour parvenir à la stabilisation du pays par la consolidation de la paix, de la sécurité et de la démocratie mais aussi et enfin pour orienter le pays vers les défis du développement.
Des élections imparfaites
La période des élections est l’un des temps forts de la vie politique d’un pays. L’élection exprime le pluralisme politique, fonde la démocratie représentative et légitime le pouvoir. Elle est devenue, nous l’avons noté, « un rite démocratique ». Mais son organisation par les pouvoirs en place ne cesse de susciter de vives contestations conduisant parfois les oppositions à les rejeter et refuser d’y participer.
A l’origine de cette contestation se trouve souvent les modifications unilatérales de la Constitution et des lois électorales. Cette pratique qui caractérise plusieurs pays, s’explique par le refus de l’alternance et parfois la volonté d’instaurer une succession dynastique au pouvoir. En effet, l’impunité y est une réalité tangible et la crédibilité du processus électoral est souvent affectée par l’instrumentalisation du cadre normatif par les autorités gouvernementales.
Ces difficultés surviennent en général dans la période séparant l’adoption des textes et la tenue des scrutins. Il en est ainsi, par exemple, de la révision de la Constitution du Sénégal du 23 juin 2011 visant à instaurer un ticket pour l’élection du président de la République, mais aussi à valider l’élection au premier tour avec un quart (¼) des suffrages valablement exprimés. Ce projet qui avait poussé le peuple sénégalais à défier le pouvoir dans les rues dans les grandes villes du pays était interprété comme le prélude à une succession dynastique au pouvoir.
De même, l’adoption du nouveau code électoral togolais en mai 2012 dans la perspective des élections législatives et locales de la même année est une illustration éloquente de la situation du Togo qui n’a pu respecter le calendrier électoral du fait des divisions profondes de la classe politique en ce qui concerne la mise en œuvre du processus électoral. Les cas d’instrumentalisation du cadre normatif se résument généralement en la modification unilatérale des règles électorales ou leur interprétation tendancieuse. Il existe en effet beaucoup de cas de tentative de confiscation du pouvoir par le biais de la succession dynastique pour assurer la continuité du régime. Un tel procédé a connu une fortune diverse. Il a réussi au Togo, échoué au Sénégal et est en cours au Burkina Faso. La particularité de ces tentatives est qu’elles sont parées des atours de la légalité contrairement à la méthode des coups d’Etat.
Sur le plan institutionnel, les commissions électorales créées pour assurer la transparence et la crédibilité des élections n’ont pas toutes – loin s’en faut – atteint leurs objectifs. Leurs performances sont anéanties par la fragilité de leurs statuts, leur instabilité chronique et leur manque de professionnalisme. De même, le déficit de formation de leurs membres et les tiraillements résultant de leur affiliation partisane trop marquée rendent plus difficiles les opérations électorales et engendrent des contestations parfois violentes. Cela a notamment été le cas de la Côte d’Ivoire lors de la présidentielle de 2011 pendant laquelle la Commission Electoral Indépendante (CEI) n’a pu cristalliser la confiance de tous les acteurs. La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) au Togo a elle aussi défrayé la chronique ; les récriminations et contestations à son égard peuvent être considérées comme l’une des causes du non-respect du calendrier des élections législatives qui devaient se tenir en octobre 2012. C’est aussi une situation similaire qui existe en Guinée où l’organisation des élections législatives est toujours incertaine alors qu’elles auraient dû se tenir depuis deux ans. Le pays est sans Assemblée Nationale élue depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir.
Le contentieux électoral qui est aussi l’une des pièces maîtresses de la légitimité d’un scrutin connaît lui aussi des limites qui tiennent d’abord au manque de crédibilité des instances chargées d’en assurer la gestion et à la faiblesse de leurs moyens, financiers, humains et matériels ; ensuite à la partialité des juridictions compétentes. L’attitude du Conseil Constitutionnel ivoirien à l’occasion de l’élection présidentielle de 2010 est assez édifiante à cet égard, de même que la position de la juridiction constitutionnelle sénégalaise face à la question relative à la validité de la candidature du président Abdoulaye Wade a fait couler beaucoup de salives. L’acceptation des résultats des élections devient problématique dans ces conditions et les scrutins occasionnent souvent de violentes contestations entrainant souvent la mise à l’écart de la justice officielle. Ce qui constitue un grand danger pour la stabilité des pays mais aussi un prétexte pour recourir à l’arbitrage de la communauté internationale.
Le retour des coups d’État
Le vent de démocratisation qui a soufflé sur l’Afrique au début des années 90 avait laissé entrevoir l’espoir d’un bannissement définitif des coups d’Etat. Il avait même entrepris de battre en brèche les fondements théoriques de validation des coups d’Etat militaires en particulier l’école développementaliste qui considère que l’intervention des militaires en politique n’est pas par nature contraire à la démocratie. Mais, l’espoir a été de courte durée. L’avènement de dirigeants élus démocratiquement n’a rien changé aux politiques de prédation, de clientélisme et de corruption, alors que les populations attendaient une répartition plus équitable des richesses nationales. Dans plusieurs pays, les gouvernements se sont révélés incapables de satisfaire les demandes des populations. L’euphorie a alors cédé la place à la désillusion et à la frustration. C’est dans ce contexte social que les coups d’État militaires firent de nouveau irruption un peu partout sur le continent africain. L’incapacité des gouvernements démocratiques à promouvoir le développement économique et à faire respecter l’ordre et la loi est le principal argument invoqué par les juntes militaires.
Il existe certes des mécanismes régionaux ou sous-régionaux qui bannissent aujourd’hui les coups d’Etat. Des sanctions sont prévues par différentes institutions régionales africaines, mais force est de reconnaître qu’elles ne sont guère contraignantes. Les coups d’Etat ont encore refait irruption dans le paysage politique africain. La parade généralement envisagée par les institutions internationales, l’Union Africaine et la CEDEAO en particulier, consiste à instituer d’une période de transition destinée à créer les conditions pour restaurer l’Etat de droit et la démocratie. Ce qui revient ainsi à accepter tacitement le coup d’Etat, considéré parfois comme un mal nécessaire.
Cette dernière décade a été marquée par la fréquence des coups ou des tentatives de coup d’Etat dans certains pays de la sous-région ouest africaine comme celui perpétré en Guinée par le capitaine Moussa Dadis Camara après la mort du président Lansana Conté en décembre 2008 ou celui qui a visé en juillet 2011 le président Alpha Condé, mais aussi celui qui a renversé le président Amadou Toumani Touré en mars 2012 au Mali à l’instigation du capitaine Amadou Aya Sanogo, rompant ainsi avec un processus démocratique entamé vingt ans plutôt en 1991. Au Burkina Faso, même si le pouvoir n’a pas été pris par les militaires, la stabilité politique du pays a été très sérieusement mise en mal en 2011 par la mutinerie des forces armées qui a d’ailleurs contraint le président Blaise Compaoré à dû déserter le Palais présidentiel pour se réfugier en lieu sûr (dans son village natal selon certains, dans une ambassade européenne selon d’autres).
Il est à craindre que l’Afrique soit en train de s’installer dans un nouveau cycle de coups d’État militaires, hypothéquant ainsi la marche qu’elle a entamée dans la voie de la démocratie.
Source: « Les défis de la gouvernance en Afrique de l’Ouest », Gorée Institute – Edition 2013