Femme leader de la semaine: Nathalie Soro (Côte d’Ivoire)

Présidente du Conseil d’administration du Réseau Ivoirien des Jeunes Leaders pour l’Intégrité (RIJLI) – un réseau qui fait la promotion de la bonne gouvernance et lutte contre la corruption – Nathalie Soro est aussi Coordonnatrice des actions de la Plateforme Jeune, Paix, Sécurité et Cohésion Sociale de Côte d’Ivoire, mise en place dans le cadre du forum annuel de Gorée Institute pour la promotion du « Leadership des jeunes et la prévention des conflits ». Sur le plan Professionnel, la jeune ivoirienne est Consultante en Genre et en Dynamiques d’autonomisations des jeunes. Nathalie Soro voit le conflit comme une situation de disharmonie pouvant évoluer en proportion s’il n’est pas correctement géré. «Quelque chose d’inhérent à la vie en société», dira-t-elle. En effet, même si son jeune âge ne lui a pas encore permis d’intervenir dans des conflits d’envergure, celle qui plaide la cause des jeunes ivoiriens pense que les conflits au quotidien dans les familles, au travail et dans le milieu associatif peuvent servir d’expérience.

Tout de même, elle ne cache pas son désir de participer un jour à une mission de résolution de conflit à une échelle plus grande. Un autre niveau d’expérience qui lui permettrait d’être plus dynamique en tant que femme dans sa communauté, en Afrique et même dans le monde. Par rapport aux défis qui se dressent devant les femmes, Nathalie Soro souligne la méconnaissance de la résolution 1325 qui vise à les impliquer dans les processus de résolution des conflits. Elle est également de celles qui pensent qu’en Afrique, de façon générale, les femmes restent confrontées aux pesanteurs socioculturelles qui veulent que leur place soit à la maison et non dans l’espace public. La consultante en Genre voit aussi que l’analphabétisme limite le champ d’action des femmes, de même que la pauvreté et les corvées domestiques qui leur prennent énormément de temps et ne leur permettent pas de s’engager dans les affaires publiques. Elle s’offusque aussi des violences de tout genre que les femmes subissent et qui les rendent vulnérables. Un tas de choses qui sont à l’origine de leur exclusion des processus de prise de décision, en l’occurrence la politique, la résolution des conflits et les affaires de haut niveau.

Pour Nathalie Soro, la situation est identique pour la plupart des femmes de son pays, principalement celles vivant en milieu rural. Cet état de fait n’empêche pas pour autant sa reconnaissance du rôle important joué ces dernières années par les femmes ivoiriennes, surtout pendant la guerre. Nathalie Soro fait savoir que les femmes du secteur du vivrier ont tout mis en œuvre au péril de leur vie pour alimenter les marchés de la capitale, ce qui a permis d’éviter une crise alimentaire pendant la guerre. Aussi, poursuit-elle, beaucoup se sont engagées en tant que volontaires dans les zones occupées par les rebelles pour assurer l’éducation des enfants à titre gracieux. Elle révèle que certaines ont assuré l’assistance médicale dans les mêmes conditions malgré les balles qui sifflaient. A l’en croire, les femmes ivoiriennes ont su entreprendre des actions de conciliation des deux camps pour la reprise des négociations, ce qui a abouti au dialogue direct de Ouagadougou entre les protagonistes de la crise qui a conduit à l’organisation des élections de 2010. Et lorsque le dialogue social a été interrompu en 2016, les femmes ont été associées à la table de négociation. Ces femmes qui sont récemment allées rencontrer la Ministre de la Solidarité dans le cadre du conflit né entre le député et la femme policière qui a été brutalisée tentent, Selon la jeune Nathalie, d’influencer les processus de paix par des actions.

Des actions toutefois peu connues qui donnent l’impression que les femmes ne sont pas influentes alors qu’elles ont réussi à maintes reprises à influencer le cours de certains processus, parfois même dans l’ombre. Parlant des obstacles aux actions féminines, Nathalie Soro trouve que les femmes sont souvent confrontées à la concurrence malsaine entre elles-mêmes à cause des querelles de positionnement. «Souvent, elles ont en face d’elles des hommes qui ne les acceptent pas comme interlocutrices du fait de la position qu’elles sont censées avoir derrière les hommes et non en face d’eux», s’indigne-t-elle, non sans proposer quelques pistes de solutions. Pour ainsi changer la donne et transformer les femmes victimes en véritables actrices, Nathalie Soro trouve nécessaire de sensibiliser les hommes sur le potentiel transformateur des femmes tout en mettant en œuvre la résolution 1325. De faire du lobbying et un plaidoyer auprès des Nations Unies afin que les femmes soient positionnées comme Chefs à la tête des missions de maintien de la paix dans les pays en conflit. S’il le faut également, sensibiliser les leaders communautaires afin qu’ils acceptent le leadership des femmes dans la gestion des conflits dans la communauté.

Comme bonnes pratiques, Nathalie Soro, à l’instar de ses collègues ivoiriennes, donne l’exemple du succès de la fameuse marche des femmes sur la prison de Grand Bassam en 1949 pour exiger la libération des responsables du PDCI RDA emprisonnés alors par l’administration coloniale. La rencontre des femmes avec les rebelles pendant la guerre qui a déclenché en 2002 constitue également un succès de la classe féminine en ce sens qu’elle a permis d’aboutir finalement au dialogue direct de Ouagadougou qui a permis d’organiser l’élection présidentielle de 2010. Aujourd’hui encore, nous révèle-t-elle, elles ont en projet d’initier une rencontre avec le Chef de l’Etat pour plaider la libération des « prisonniers politiques » issus de la crise postélectorale. Dans la mise en œuvre des politiques publiques en Côte d’Ivoire, Nathalie Soro trouve que les femmes s’organisent tant bien que mal pour accompagner l’Etat à travers les organisations qu’elles dirigent. Elle cite entre autres l’Association des femmes juristes qui travaille à rendre l’accès à la justice plus facile aux populations par le biais des cliniques juridiques et la POECI (Plateforme des Organisations de la Société Civile pour l’Observation des Elections en Côte d’Ivoire) à travers lesquelles les jeunes et les femmes s’organisent pour agir dans la réalisation des politiques publiques.

A noter aussi que pendant la période de la crise, les femmes ont pris part au conflit. Nathalie Soro se rappelle de celles qui ont contribué sur le terrain à organiser la solidarité pour l’accueil des déplacés de guerre. Et de celles ayant aidé à exfiltrer beaucoup d’hommes qui étaient condamnés à mourir par leurs adversaires. Certaines, renseigne-t-elle, ont travaillé lors des négociations dans le staff des protagonistes en tant que personnes ressources sur le plan juridique. Ce qui lui fait affirmer que les femmes ont pris part aux négociations même si elles n’étaient pas aux premières loges. Et de préciser que les femmes rurales ne sont pas restées en marge car ayant, par leur labeur, continué à produire, même dans les zones occupées, le vivrier qui a permis de réduire les effets néfastes de la guerre. Surtout en ce qui concerne l’alimentation des populations piégées par les combats dans les deux camps.

 

Source: Ouvrage « Ledership des femmes dans la prévention des conflits en Afrique de l’Ouest », Gorée Institute, Mai 2019 téléchargeable sur le lien ci-dessous

https://goreeinstitut.org/index.php/ressources/nos-publications/livres-etudes/45-portrait-des-femmes-leaders-dans-la-prevention-des-conflits/file