Gouvernance locale au Sénégal: la perception des citoyens

La gouvernance locale est caractérisée par un profond déséquilibre. Si elle constitut une réalité ancrée, les acquis, très limites, tiennent pour l’essentiel à l’émergence d’une certaine forme de démocratie locale qui implique certains acteurs locaux. En revanche, dans sa substance, elle n’est ni transparente, ni participative, ni efficace.

Le Sénégal a connu plusieurs étapes dans son long processus de décentralisation, lequel vise à déboucher sur une démocratie et une gouvernance locale. Mais ce n’est qu’en 1996 qu’une véritable réforme, audacieuse et ambitieuse, a été enclenchée. En effet, le président de la République d’alors, Monsieur Abdou Diouf, résumait l’esprit de la réforme de 1996 en deux mots : « liberté et proximité ». En 2013, la deuxième alternance a poussé le bouchon plus en profondeur en adoptant ce qui est communément appelé l’Acte 3 de la décentralisation. Ce dernier présente plusieurs écueils et ses résultats, encore mitigés, peinent à prendre ancrage dans la réalité sociopolitique des différentes collectivités territoriales. Dans une enquête réalisée en 2020 par le Gorée Institute, les résultats traduisent relativement cette réalité. En effet, si 39% des répondants considèrent qu’il existe une démocratie et une gouvernance locale au Sénégal, 27% sont, au contraire, d’un avis opposé. D’un autre côté, 33% des enquêtés estiment que la territorialisation des politiques publiques a permis de rapprocher les perceptions citoyennes sur l’Etat de la démocratie et la gouvernance au Sénégal. Or, 28% des répondants soutiennent un avis contraire, tandis que 39% disent ne pas savoir. Si moyennement on peut concéder, sur la base des résultats de l’enquête, l’existence d’une démocratie et d’une gouvernance locale au Sénégal, au vu des mêmes résultats, 52% des enquêtés jugent que cette gouvernance locale n’est, en général, ni transparente ni participative, encore moins efficace. Seuls 31% des répondants sont d’un avis opposé, autrement dit que la gouvernance locale est transparente, participative et efficace. Dans la même veine, 51% des répondants estiment que l’élaboration du budget local n’est pas participative et sa mise en œuvre non transparente ; tandis que 29% considèrent, au contraire, que son élaboration est transparente et sa mise en œuvre également.

 La gestion transparente, participative et efficace des collectivités territoriales est loin de constituer un objectif inatteignable. Le label certification citoyenne de la bonne gouvernance a été accordé à vingt-cinq (25) collectivités locales dans le cadre d’un programme conjoint du Forum Civil et d’Enda Graf²⁷. La certification citoyenne reposait sur cinq (5) principes que sont l’efficacité, l’équité, la participation, l’obligation de rendre compte et la transparence. Une telle initiative mérite d’être généralisée. Au lendemain de sa réélection à la magistrature suprême en 2019, le Président Macky Sall ambitionne de faire de la territorialisation des politiques publiques le nouveau paradigme de sa gouvernance dans le cadre de la mise en œuvre du Plan Sénégal Emergent (PSE). Dans ce cadre, un « Programme d’Actions Prioritaires (PAP) 2019-2023 du PSE » a été mis en place avec comme ambition un Sénégal avec « Zéro déchet », « Zéro bidonville » et la reforestation des terroirs. Il est également prévu le renforcement de la décentralisation du budget de l’Etat réservé à la construction des infrastructures scolaires, aux communes et départements, ainsi que la construction au niveau de tous les départements des maisons de jeunes et de la citoyenneté pour aider la jeunesse à mettre en valeur ses talents artistiques et autres. Il s’agit également de favoriser l’accès à certains services de base, comme l’électricité, l’eau, l’assainissement, la santé pour ne citer que cela à l’horizon 2024. On peut dès lors estimer que la territorialisation des politiques publiques devrait aider au rapprochement des populations aux institutions et à leurs gouvernants. En effet, elle postule la fin d’une gestion centralisée des projets de développement à travers notamment les ministères et autres agences directement rattachées à la présidence de la République. Mais la territorialisation des politiques publiques est une option récente. Il n’est, dès lors, guère étonnant que la majorité des sondés, soit 39%, ait estimé ne pas être en mesure de dire qu’elle a permis ou non un rapprochement des populations aux institutions et à leurs gouvernants. Il reste qu’une proportion non négligeable des enquêtés, soit 33%, a perçu les effets positifs de la territorialisation des politiques en termes de rapprochement entre les populations et les gouvernants. Sous un autre registre, les répondants demeurent mitigés sur la sensibilité de la gouvernance locale au genre. Ils sont en effet 41% à estimer qu’elle n’est pas sensible au genre et 40% à avoir une opinion contraire. Qu’il s’agisse des questions de gouvernance liées à l’accès juste et équitable au foncier, à la justice, au crédit, aux services sociaux de base tels que l’éducation et la santé, ou encore aux instances de décision locales²⁸, les femmes demeurent encore globalement marginalisées. A titre illustratif, dans le domaine de la gouvernance foncière, les femmes représentent 70% de la population rurale active et détiennent moins de 13% des terres agricoles²⁹. Dans le domaine de la justice, au niveau local surtout, les violences basées sur le genre sont encore majoritairement restées impunies et non dénoncées. Elles sont généralement discrètement étouffées au sein de la famille s’il s’agit de violences sexuelles impliquant un parent. Quant à l’accès des femmes aux instances électives ou hautement décisionnelles (y inclues les représentations traditionnelles et coutumières), la vie politique au niveau local est également fortement dominée par les hommes. Les chiffres sont parlants : à l’heure actuelle, sur 557 Communes, il n’y a que 14 mairesses. Au niveau des conseils communaux et départementaux, la contribution des femmes est faible ; tandis que, sous un autre registre, les expériences de budgétisation sensible au genre sont marginales. A ce titre, des efforts sont donc à soutenir. L’associativité des femmes³⁰ au niveau local (tontines, Badjiénou Gokh, dahira, GIE, etc.) peut cependant être analysée comme une forme d’expression d’une « gouvernance locale aux « marges ». S’agissant de l’implication des légitimités traditionnelles et coutumières dans la gouvernance locale, les avis divergent. En effet, s’ils sont 21 % et 18 % à considérer, respectivement, l’implication des légitimités traditionnelles et coutumières comme étant « faible » et « passable », 31 % la considèrent, au contraire, comme étant « moyenne » tandis que 20 % la jugent « bonne » et, enfin, seuls 5 % la qualifient « d’excellente ». Au Sénégal, une lecture de l’histoire permet d’identifier trois (3) types de variation quant à la position des légitimités traditionnelles et coutumières face aux légitimités rationnelles-légales : des périodes de neutralité relative, des périodes d’alignement et des périodes d’opposition, voire de rejet. Mais la constante demeure qu’elles sont d’un potentiel et d’un ancrage social très solides, un « quatrième pouvoir » ³¹ à côté de l’exécutif, du législatif et du judiciaire. Les allégeances renouvelées des politiques aux religieux, soit pour brandir leur appartenance confrérique et en espérer ainsi un gain politique, soit pour recevoir l’onction de son guide religieux en périodes électorales sont révélatrices. Elles constituent une variable majeure de la sociologie électorale au Sénégal, hier comme aujourd’hui quoique le « Ndigeul » ³² ait perdu son poids politique, selon certains analystes³³.

Conclusion :

L’amélioration de la gouvernance locale passera par la consolidation des acquis et la correction des faiblesses. D’où les recommandations ci-dessous.

  • Garantir l’accès aux ressources nationales aux collectivités locales
  • Assurer la formation des élus locaux
  •  Réduire le décalage entre le droit qui est fait et le droit qui se fait.
  • Rendre accessibles les textes dans un langage compréhensible au niveau des collectivités locales
  •  Encourager et renforcer les mécanismes de la participation citoyenne

Note de références :

27. DREAT, Rapport national sur la bonne gouvernance, PNBG, 2011 p.38

28. Cela, en dépit la loi 2010 pour la parité entre hommes et femmes dans les fonctions électives et semi-électives.

29. République du Sénégal, Ministère de la Femme, de la Famille et du Développement social, Stratégie nationale pour l’équité et le genre (SNEEG : 2005-2015), 2005, 118

 30. Gueye, Mame Safiétou Djamil, Genre et gouvernance urbaine au Sénégal : la participation des femmes à la gestion urbaine, Thèse en Sociologie, Université catholique de Louvain, 2009.

31. Selon le philosophe feu Sémou Pathé Guèye en référence notamment au pouvoir des confréries au Sénégal lors d’une conférence donnée à l’ucad.

 32. Ici, dans le sens d’une consigne de vote donnée par un guide religieux à ses disciples

33. Cf. Babacar GUEYE et Moussa NDIOR, « Politique et religion au Sénégal : le Ndiguël de vote », Droit, politique et religion, Droit sénégalais n° 8, 2009, p. 183 à 202. Pour une étude plus avancée des rapports entre politique et confréries au Sénégal, voir Sébastiano D’Angelo, Politique et Marabouts au Sénégal : 1854-2012, Academia L’Harmattan, 2012.