L’évolution de la règlementation de l’industrie minière a-t-elle répondu aux objectifs de la politique minière au Sénégal ?

L’histoire nous fournit de la matière pour l’étude du secteur minier sénégalais. La règlementation de ce secteur extractif tire ses origines du droit français des opérations minières. Ce dernier trouve son fondement dans la loi de 1810 qui constitue à la fois un aboutissement et un renouvellement[1]. La propriété des substances minérales a été attribuée à l’État, en France, dans l’arrêt 1744. Cette décision supprimait la liberté indéfinie laissée aux propriétaires du sol de fouiller de leurs fonds et d’y extraire des mines de charbon de terre sans aucune autorisation préalable. Ce principe directeur que l’on qualifie de droit régalien est repris par la loi de 1810, qui consacre officiellement la naissance du droit minier en France. A travers ses différents aménagements, elle a influencé plusieurs législations minières francophones, notamment celles des colonies françaises. Après les indépendances, le Sénégal, comme d’autres pays, a adopté sa propre loi minière ayant plusieurs similitudes relativement aux principes de gestion des substances minérales en France. Le décret de 1961[2] qui constitue le premier instrument juridique chargé d’organiser les conditions d’exploitation, ne résistera pas face aux changements économiques, juridiques et environnementaux. Se pose alors la question de l’influence de la politique minière sénégalaise sur les nombreux ajustements constatés. D’où le thème « L’Évolution de la règlementation de l’industrie minière a-t-elle répondu aux objectifs de la politique minière au Sénégal ? »

Par évolution, il faut entendre les transformations (ou changements) opérées dans la législation minière. Quant à l’industrie minière, elle renvoie au secteur économique qui regroupe les activités de prospection et d’exploitation de mines. Elle concerne l’extraction des minéraux, de terres rares et des métaux dont le cuivre, le fer ou l’or. Son activité est encadrée dans la plupart des pays par un Code minier.

La politique minière sénégalaise fait référence aux efforts et moyens mis en place afin d’assurer une croissance continue, pour permettre au secteur de jouer son véritable rôle de levier dans le développement socio-économique du pays[3].

Cette réflexion qui porte sur l’évolution de la règlementation de l’industrie minière en lien avec les objectifs de la politique minière sénégalaise sera l’occasion d’analyser les mutations de la législation et de répondre à la question de sa contribution au développement économique du pays.

1. Une évolution motivée par des enjeux conjoncturels

Après l’accession à l’independence, les instruments juridiques adoptés avaient pour vocation de faire du secteur extractif un outil de développement. Les réformes des législations minières ont été motivées donc par des objectifs économiques (1.2) en tenant compte d’un équilibre entre les parties (1.3).

1.2. Les objectifs économiques

Le décret n°61-357, M.T.P.H.U.MI. G du 21 Septembre 1961 règlementant et codifiant le régime des substances minérales du Sénégal à l’exception des hydrocarbures liquides et gazeux, est la base du droit minier sénégalais. Ce décret organisait les différentes phases d’exploitation d’un site minier. Cependant, étant un jeune Etat indépendant, le Sénégal continuait à appliquer le système fiscal français. En outre, pour attirer les capitaux étrangers, des concessions et avantages permettant une l’amélioration de la rentabilité et de profits ont été accordés par les lois 61-14 et 61-15. Dans le but de définir son propre système fiscal, le Sénégal a adopté la loi 76-93 du 12 Août 1976. Dans le secteur minier, cette période correspondait à une politique protectionniste avec notamment la nationalisation, en 1978, de la société de chaux et du ciment devenu la SOCOCIM (société commerciale du ciment). Cette société a maintenu l’économie du Sénégal pendant plusieurs decennies. Par ailleurs, l’adoption de la loi n°86-15 du 14 Avril 1986[4] oblige les titulaires de droit de prospection, de recherche, d’exploitation et de concession à payer des droits fixes, de taxes superficialités et de taxes ad-valorem. L’adoption de la loi 1988 constitue un tournant décisif, où la propriété de l’État sur les substances minérales est affirmée sans équivoque. En tenant compte de l’intérêt économique et social que représenteraient pour le développement du pays, la découverte et la mise en valeur de nouveaux gisements miniers, un cadre fiscal est conçu pour associer de façon optimale les justes intérêts de l’État et des entreprises. Les profondes mutations et l’existence d’une compétition de plus en plus marquée entre les pays miniers ont fortement influé sur les orientations des législations minières. Cette situation a motivé l’adoption de la loi 2003 qui introduit des avantages fiscaux tout en prenant en compte les orientations et les politiques minières prévues par l’UEMOA. Les faibles performances sur l’économie nationale que cette loi a enregistrées, nonobstant une conjoncture favorable, constituent une limite aux objectifs poursuivis par le Sénégal à travers sa législation minière.

1.3. Une politique de réconciliation entre attractivité et maximisation des revenus

Un des objectifs majeurs du Sénégal est de rendre le secteur minier politiquement attractif. La volonté de faire du secteur minier un secteur attractif est bien présente dans les différentes lois minières qui se sont succédées. La stabilité des relations contractuelles, l’absence de menaces d’expropriation, sont des mesures tendant à assurer l’attractivité. L’État assure également aux titulaires de titres miniers la liberté d’importer les biens et services nécessaires à ses activités, mais aussi celle d’exporter les substances extraites. En matière pénale, la protection des sociétés minières s’est manifestée par la sanction d’infractions relatives au vol et recel de substances minérales, mais aussi à la détention illicite de substances minérales.

La politique de la transparence constitue également un facteur d’attractivité pour mettre des sociétés minières à l’abri des contestations fréquentes des populations riveraines. En effet, l’adhésion à l’ITIE a permis le réaménagement des dispositions relatives à la confidentialité des données, et la publication de rapports annuels exposant la situation du secteur minier. La publication de ces rapports a permis à l’État de réduire les suspicions et les reproches souvent adressées aux sociétés et d’assouplir leurs relations tendues avec la population. Par ailleurs, la mise en place d’un Comité national de l’ITIE, chargé de veiller à la publication régulière de toutes les recettes tirées de l’exploitation des industries extractives, ainsi que tous les paiements versés à I’État par les sociétés parties prenantes dans le périmètre d’lTlE sur Ie territoire sénégalais, traduit l’intention de l’État du Sénégal à suivre le chemin de la bonne gouvernance.

Il faut cependant signaler que les objectifs poursuivis par l’État à travers les différentes réformes sont loin d’être atteints. Le constat le plus partagé est que le secteur minier a une contribution faible sur le développement économique du pays.

2./ Un constat de faible contribution au développement économique et social

Les faibles contributions ont été exposées par les rapports de l’ITIE et les nombreuses manifestations des populations (2.1). Ces manquements sont en principe liés aux nombreux cas de violation des obligations (2.2).  

2.1/ Les manques à gagner financiers du secteur

L’évolution de la règlementation du secteur minier s’apprécie à travers quatre (4) codes miniers. L’objectif de faire du secteur minier un moteur de développement semble connaître d’énormes difficultés. Le constat est que aucune des législations n’est parvenue à atteindre les objectifs qui lui été assignés. La nationalisation des entreprises qui était considérée comme la solution pour reprendre la souveraineté des ressources minérales s’est révélée utopique du fait de l’absence de maitrise des enjeux du secteur. En effet, la limitation des mesures fiscales, et les exonérations fiscales et douanières ont réduit les chances de succès du Sénégal de faire du secteur minier un levier de développement économique.

La publication des rapports de l’ITIE confirme la faible contribution du secteur minier au développement du pays. En effet, pour l’année 2015, les revenus générés par le secteur extractif totalisent un montant de 108,2 milliards de F CFA pour l’année 2015[5] pour un budget de 2 825 milliards de F CFA. Pour l’année 2016, les revenus provenant du secteur minier s’élèvent à 107, 4 milliards de F CFA[6], pour un budget de 3 022 milliards F CFA. Pour l’année 2017, les revenus générés par le secteur minier totalisent un montant de 107,3 milliards FCFA pour un budget général de 3248,1 milliards de FCFA, soit un accroissement relatif de 11,1% ou absolu de 323,5 milliards de FCFA par rapport à la LFI 2016, dans laquelle le budget général était arrêté à 2924,6 milliards de FCFA[7]. En 2018, les revenus générés par le secteur miner totalisent environ 101 milliards de F CFA, pour un budget de 3 709,10 milliards de F CFA[8].

Ces chiffres publiés contrastent avec les objectifs que lui assigne la politique économique du pays telle que déclinée dans le nouveau Code minier de 2016. A titre de rappel, le code de 2016 avait été adoptée dans le but de garantir un certain équilibre, notamment sur la répartition des avantages entre l’investisseur et l’État.

2.2. La RSE et le non-respect des engagements contractuels

Sur le plan social et environnemental, le respect des obligations des sociétés minières, suscite quelques cas de violation des obligations contractuelles des sociétés. En effet, les populations habitant dans les zones minières continuent de subir les impacts des exploitations comme la qualité de vie, la déperdition scolaire, la montée en puissance des maladies sexuellement transmissibles (MST)[9]. Cette situation réduit l’acceptabilité des projets miniers et, par conséquent, génère des pertes énormes de revenus pouvant provenir des opérations minières.

L’absence de crédibilité des résultats des études d’impact environnemental et le non-respect des engagements de la société rendent les populations hostiles aux projets miniers.

A titre illustratif, la dernière étude d’impact environnemental contestée par les populations est celle faite par la société Astron Ltd dont l’objectif était l’exploitation du zircon de Niafrang (permis de Casamance)[10] sur une dune de 6 km. Les résultats des études ont révélé certaines irrégularités qui ont généré le doute des populations sur la sincérité du rapport. En effet, il semble que ce dernier contenait des informations inexactes comme l’existence de salles de classe en abris provisoires. Or, selon les populations dans tout Niafrang, il n’existe aucune école en abris provisoires. Les populations estiment que l’Etat est en connivence avec la société car l’article L.49.al.2 du code de l’environnement dispose que « l’étude d’impact est établie à la charge du promoteur et soumise par lui au Ministère chargé de l’environnement qui délivre un certificat d’autorisation après avis technique de la Direction de l’environnement et des établissements classés[11] ». Ainsi, la transparence voulue n’a pas encore eu lieu, ce qui retarde la mise en œuvre de ce projet. Au regard de ces nombreuses contestations, il est important de veiller au respect des règles législatives et contractuelles pour faire du secteur minier un levier de développement économique. Au dela de ces anomalies, il existe d’autres ecueils de la règlementation minière susceptible de réduire les chances de succès des projets miniers.

3. Autres limites de la règlementation de l’industrie minière sénégalaise

La révision de la législation minière du Sénégal était une urgence pour qu’elle puisse se conformer aux dispositions communautaires et internationales.

Cependant, quelques lacunes continuent à réduire la performance de cette législation. En effet, de nombreux risques sont en gestation.

  • Risque de chevauchement institutionnel

Des conflits de compétences peuvent surgir entre le ministère de l’environnement et le ministère des mines et de la géologie.

En outre, un conflit entre la Caisse des dépôts et de consignation et le ministère de l’environnement peut surgir entre les deux institutions. Par exemple, l’article L 5 du code de l’environnement dispose clairement que « la mise en œuvre de la politique nationale de protection et de mise en valeur de l’environnement est assurée par le Ministère chargé de l’environnement ». Or, les cautions imposées aux sociétés minières pour les besoins de la réhabilitation des sites miniers sont déposées à la Caisse des Dépôts et de Consignation.

Il convient également de préciser que le Sénégal, étant membre de l’UEMOA, est soumis au règlement UEMOA 2003 portant code minier communautaire, et des dispositions du code minier de la CEDEAO. Ces deux organisations d’intégration secrètent des normes applicables dans tous les pays membres et il n’existe pas de rapport hiérarchique entre les deux organisations. Cette problématique liée à l’harmonisation des textes est un facteur de conflit institutionnel et textuel.

  • Par ailleurs, une concurrence entre le code minier notamment les dispositions financieres et douanieres (article 74 à 79 ) et le code général des douanes risque de se produire dans l’application des deux lois. En effet, l’application de deux textes (article 79 code minier et article 149 code des douanes) qui n’ont pas en vérité le même contenu risque de générer un conflit[12].

  • Il convient de préciser, dans la même dynamique, que les populations impactées par les projets miniers continuent à dénoncer la faiblesse des compensations, ce qui veut dire que le contrôle lié à la responsabilité des entreprises minières n’est pas encore effectif.

Cette situation accentue les manifestations contre les projets miniers, notamment celui de Niafourang en Casamance, dont l’objet est l’exploitation du zircon.

  • Relativement à la protection de l’environnement, il faut noter que malgré la directive de la CEDEAO de 2009, et la convention de Bale, l’environnement reste « orphelin » dans les sites miniers qui recoiventt les assauts des mauvaises pratiques des acteurs

Il y a également un problème d’accès à l’information. A cet egard, malgré l’adhésion du Sénégal à l’ITIE, certains décrets ou arrêtés portant octroi de permis miniers (recherche ou exploitation) reste inaccessibles.

  • En depit des nombreuses réformes legislatives, les populations locales peinent à ressentir les retombées positives de l’exploitation minière. Cette situation accentue, sans doute, la migration des jeunes dans le reste du pays.

Conclusion

La règlementation du secteur extractif a connu certes une évolution relativement à la législation, mais son rendement suscite des interrogations. Les objectifs qui ont motivé les différentes reformes varient d’un texte à un autre. Toutefois, l’objectif principal est de faire la règlementation un outil de développement économique tel que préconisé par les institutions financieres internationales (IFI). Or, le manque à gagner et la gestion des impacts négatifs persistent dans le secteur extractif, malgré les modifications intervenues depuis l’indépendance. Par ailleurs, l’entreprise d’harmonisation portée par des organisations d’intégration (UEMOA et CEDEAO) risque de rendre obscure la règlementation à cause de la concurrence de ces orgaisations. Un dialogue entre institutions sous régionales est donc une nécessité pour repenser les règles qui gouvernent le secteur extractif en Afrique de l’Ouest et en particulier du sénégal.

Bibliographie :

Lionel Latty « La loi du 21 avril 1810 et le conseil général des mines avant 1866. Les procès-verbaux des séances », Document pour l’histoire des techniques, 2eme semestres 2008- mis en ligne 06 Octobre 2010.

Règlement n°18/2003/CM/UEMOA du 23 décembre 2003 portant Code minier Communautaire de l’UEMOA.

Directive C/DIR 3/05/09 en date du 27 mai 2009 portant sur l’harmonisation des principes directeurs et des politiques dans le secteur minier.

Loi du 21 avril 1810 sur les mines, minières et carrières.

Loi n°2001-01 du 15 janvier 2001 portant Code de l’environnement. J.O/ n°5972.

Loi n°88-06 du 26 mars 1988 portant Code minier du Sénégal.

Loi n°2003-36 du 24 Novembre 2003, portant Code minier du Sénégal.

Loi n°2016-32 du 08 Novembre 2016 portant Code minier du Sénégal.

Loi n°86-15 du 14 avril 1986 portant fixation des taxes relatives à la production, de recherche et l’exploitation des mines et carrières au contrôle des bijoux en or, des appareils à vapeur et à pression de gaz et des établissements classés.

Décret 61-357 du 21 Septembre 1961 règlementant et codifiant le régime des substances minérales au Sénégal à l’exception des hydrocarbures liquides et gazeux. (J.O N° 1426, 02 Octobre 1961.

ITIE Sénégal, Rapport de conciliation, 2016. (www.itie.sn).  

Rapport monitoring sur la perception des citoyens sur l’exploitation et la gestion des ressources minérales dans les régions de Thiès, Matam et Kédougou

Arrêté ministériel n°10455 ME-DMG en date du 26 Novembre 2004 portant attribution de permis de recherche de sables titanifère et de substances Connexes à la société « Carnegie Corporation LTD (permis Casamance).

 


[1] Lionel Latty « La loi du 21 avril 1810 et le conseil général des mines avant 1866. Les procès-verbaux des séances », Document pour l’histoire des techniques, 2eme semestres 2008- mis en ligne 06 Octobre 2010

[2] Décret 61-357 du 21 Septembre 1961 règlementant et codifiant le régime des substances minérales au Sénégal à l’exception des hydrocarbures liquides et gazeux. (J.O N° 1426, 02 Octobre 1961.

[3] Déclaration de politique minière/ 06 mars 2003.

[4] il s’agit de la loi n°86-15 du 14 avril 1986 portant fixation des taxes relatives à la production, de recherche et l’exploitation des mines et carrières au contrôle des bijoux en or, des appareils à vapeur et à pression de gaz et des établissements classés.

[5] ITIE Sénégal, rapport de conciliation 2015. p.8.

[6] ITIE Sénégal, Rapport de conciliation 2016. p.11.

[7] Projet de loi de finance pour l’année 2017. p.5.

[8] Voir projet de loi de finances pour l’année 2018. p.9.

[9] Voir rapport monitoring sur la perception des citoyens sur l’exploitation et la gestion des ressources minérales dans les régions de Thiès, Matam et Kédougou.p.22 et s.

[10] Voir arrêté ministériel n°10455 ME-DMG en date du 26 Novembre 2004 portant attribution de permis de recherche de sables titanifère et de substances Connexes à la société « Carnegie Corporation LTD (permis Casamance).

[11] Loi n°2001-01 du 15 janvier 2001 portant Code de l’environnement. J.O/ n°5972.

[12] Le code minier prevoit un regime d’admission temporaire quie se traduit une suspension des droits et taxes à l’importation. Or, le code des douanes prevoit le paiement des taxes à limportation.