La recherche de la paix sans les femmes est une action vaine

Peut-on construire une paix viable en Afrique sans l’implication et la participation effective des femmes ? Quels sont les défis à relever pour obtenir une participation égale et équitable au processus de paix, prenant en compte la dimension genre ? C’est autour de cette problématique importante que le Gorée Institute, Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique, a mobilisé une trentaine de femmes leaders d’organisations et réseaux de la société civile africaine pendant trois jours, lors d’un atelier de partage d’expériences et de renforcement des capacités tenu sur l’île de Gorée, à Dakar, du 11 au 13 mai 2016.

De prime abord, la réponse à la question relative à l’implication des femmes au processus de paix est presque évidente, puisque le processus de paix est compromis quand les femmes ne participent pas. En effet, pour être applicables et prévenir la résurgence du conflit, les accords de paix doivent être inclusifs et répondre aux besoins de l’ensemble de la population. Les voix et les perspectives des femmes doivent être entendues dès le début du processus, « à la table des négociations », et leurs points de vue doivent être pris en compte à toutes les étapes.

En revanche, quand on en vient à la question sur les défis à relever, par les femmes elles-mêmes, pour apporter une contribution substantielle, plus ou moins égale à celle des hommes, la réponse devient moins certaine. En attestent les débats et discussions intéressants qui ont été soulevés lors de la première plénière de la première journée portant sur les « défis des organisations travaillant dans le domaine du genre et des conflits » dans les pays représentés : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo.

Les discussions et témoignages recueillis, ainsi que les expériences individuelles et collectives partagées, ont fait état de défis majeurs que les femmes devront relever, avec la collaboration des partenaires au développement, pour arriver à réaliser une participation optimale en matière de paix et sécurité. Ces défis à relever sont essentiellement d’ordre organisationnel, et les interventions l’ont clairement souligné : « le leadership organisationnel fait défaut » ; « il n’y a pas de synergie d’action entre les organisations féminines » ; « les femmes n’arrivent pas à collaborer sur le terrain » ; « on a l’impression que les femmes ne poursuivent pas les mêmes objectifs », etc.

Il ressort de ces remarques que le problème de leadership organisationnel se pose avec acuité, rendant presque vains les efforts des femmes dans le domaine de la paix et la sécurité. Cet état de fait soulève un certain nombre d’hypothèses qui nécessitent une réflexion et une recherche sur le terrain, en vue de dégager des pistes de solutions applicables selon les contextes.

  1. S’il est évident que la participation des femmes est incontournable dans la recherche de la paix, il est tout aussi important de relever que la contribution des femmes ne se fera que dans un cadre institutionnel et organisationnel performant. Autrement dit, ce n’est pas en tant qu’individus (quel que soit la force de caractère ou la personnalité) qu’elles arriveront à atteindre un niveau de participation égale à celui des hommes et inverser la tendance actuelle. Clairement, c’est dans le cadre d’organisations fortes et performantes qu’elles arriveront à contribuer à la construction d’une paix viable et des sociétés stables où les droits humains sont respectés.
  2. La médiation des conflits et la consolidation de la paix ne se réalisera pas tant qu’un certain nombre de défis ne soient relevés… les femmes elles-mêmes le savent et le reconnaissent… réunies pour trois jours dans le cadre d’un atelier d’échange d’expériences et de renforcement des capacités, les femmes leaders du REPSFECO et des réseaux nationaux
  3. Certes, il faut reconnaître qu’en Afrique, et particulièrement dans l’espace CEDEAO, les efforts des femmes ont conduit à des progrès significatifs en matière de paix et sécurité. Les exemples de progrès réalisés par les femmes ces deux dernières années dans des pays comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Guinée Bissau, le Mali, le Sénégal, le Togo, ont été réalisés grâce au soutien des organisations internationales, des Etats et des partenaires techniques et financiers (PTF). Mais, force est de le reconnaître, c’est surtout la contribution des organisations de la société civile panafricaine, des organisations de femmes elles-mêmes, qui ont été déterminantes dans ce travail de longue haleine.
  4. Le renforcement du leadership organisationnel, la formation des femmes leaders et l’octroi d’un espace pour le partage d’expériences, le renforcement des capacités, la formulation et la prise d’initiatives communes demeurent des actions prioritaires qu’il convient d’inscrire dans la durée.

    1. Du point de vue institutionnel : continuer à renforcer les femmes en matière de leadership et développement organisationnel pour combler le gap d’institutionnalisation, et mettre fin au culte de personnalité assez marquée au sein des organisations féminines ;
    2. Du point de vue opérationnel : poursuivre les efforts de mise en réseau et offrir des cadres de concertation et de dialogue pour créer davantage de synergies pour l’atteinte des mêmes objectifs, et éviter la duplication des mêmes actions ou de « réinventer la roue »
    3. Au niveau technique : combler le déficit de compétences constaté au sein de certaines organisations de femmes, justifié plus ou moins par le manque de ressources (financières) pour engager l’expertise nécessaire ;
    4. Au niveau politique : les femmes ont besoin d’être outillées pour participer et apporter une contribution substantielle et efficace, et rendre effective l’équité genre.

En définitive, comme l’attestent certains récits et expériences partagés, il est légitime d’avoir de l’espoir : les femmes si elles sont outillées peuvent apporter une contribution substantielle, sinon meilleure que celle des hommes, en matière de paix et sécurité en Afrique. 

M. Frédéric Kwady Ndecky