Le « peace journalism » : nouveau paradigme du journalisme sensible aux conflits

Lancé dans les années 1970 par le politologue norvégien Johan Galtung, le journalisme de paix est une stratégie professionnelle destinée à développer des représentations médiatiques, des constructions de la réalité et une conscience critique différente. C’est à partir des années 1990 qu’il devient un concept suscitant un engouement pour les journalistes professionnels dans les pays développés et en développement, et de militants de la société civile, de chercheurs universitaires intéressés par le traitement des conflits et crises dans les médias. Il offre un ensemble de plans et des options pratiques pour les professionnels des médias, et une base pour l’élaboration de critères d’évaluation pour l’analyse critique du journalisme de guerre, tous issus de, ou au moins attentifs à des propositions sur les conflits, la violence et la paix.

A travers une telle conceptualisation, le journalisme de paix se propose donc de replacer les faits de guerre ou les événements relatifs aux conflits dans un contexte plus large et plus juste, plutôt que de se soumettre aux intérêts partisans, politiques et économiques. En effet, en remontant aux sources des conflits pour permettre au public de mieux comprendre les événements, le journalisme de paix recherche les causes des conflits et les solutions dans chaque camp ; il donne la parole à toutes les parties impliquées ; il s’intéresse au conflit lui-même sans opposer les parties ; il fait le lien entre les journalistes, leurs organisations et leurs sources, le traitement qu’ils font du conflit et les répercussions qui en découlent ; il amène enfin un discours plus modéré axé sur la non-violence.

Par opposition au « journalisme de guerre », le « journalisme de paix » est considéré par de nombreux experts des médias et des universitaires comme la façon d’intégrer la résolution des conflits dans la formation journalistique et donc de développer un journalisme plus « socialement responsable ». Le journalisme de paix, tel que décrit par Lynch et McGoldrick (2005), s’appuie sur les connaissances de l’analyse des conflits, mais aussi et surtout sur un regard porté au-delà de la violence manifeste qui est l’étoffe des nouvelles et attire l’attention sur le contexte, les attitudes, les comportements et les contradictions, et la nécessité d’identifier un éventail de parties prenantes plus larges que les deux côtés engagés dans la confrontation violente.

Dans leur ouvrage intitulé « Journalisme de paix. Qu’est-ce que c’est ? Et comment l’exercer ? », Jake Lynch et Annabel McGoldrick opèrent une distinction radicale entre journalisme de paix et journalisme de guerre. Ils retiennent la finalité de l’activité journalistique comme critère de différenciation des types de journalisme. En effet, ils soutiennent que, dans la pratique du métier, un journaliste de guerre inciterait, favoriserait, attiserait les conflits sociaux. En revanche, un journaliste de paix ordonnerait sa pratique autour de la préservation ou de la consolidation de la paix. Entre autres considérations qui opposent le « journalisme de paix » au « journalisme de guerre », ces auteurs précisent qu’en ne se concentrant que sur ce qui divise les parties au détriment de ce qui pourrait les rapprocher et, surtout, en mobilisant un vocabulaire essentiellement belliqueux alors même qu’on pourrait utiliser des mots moins connotés, les journalistes contemporains incitent, pour la plupart, à la guerre. Le mot « guerre » étant utilisé au sens propre (conflit armé ou violent) comme au sens figuré (tension sociale, opposition, friction, polémique, etc.)

Ailleurs et dans le même ordre d’idées que Lynch et McGoldrick, notamment dans le quatrième chapitre de leur ouvrage, Reportages sur les conflits : nouvelles orientations dans le journalisme de paix (2010), Jake Lynch et Johan Galtung, en guise de recommandations sur les modalités pratiques à mettre en œuvre pour poursuivre le journalisme, partent de trois études de cas de la couverture médiatique (Corée, Yougoslavie, Guerre du Golfe). Ces études de cas ont permis de poser les jalons du journalisme de paix applicable à de nombreux conflits et dont les principes fondamentaux reposent essentiellement, en situation de conflit ou de crise, sur la nécessité pour les médias et les professionnels de l’information de ne pas orienter le traitement de l’information exclusivement sur les différends et différences, mais il faut surtout mettre en exergue les points communs, mettre l’accent sur ce qui est évident ; raconter l’histoire de tous les côtés. Une telle approche dans le traitement de l’information permet, selon ces auteurs, l’accès aux événements, sur leur dimension humaine tout en signalant et en explorant les initiatives de paix.

 

Par Mouminy CAMARA, Enseignant Chercheur – Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (Cesti/Ucad) – Sénégal

Extrait de l’ouvrage « Evaluation de la participation des médias dans les pratiques relatives à la consolidation de la paix, la prévention des conflits et les droits de l’homme en Afrique », Gorée Institute, 2015