Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Céder aux chants des sirènes de la violence ?
L’observation de la situation des pays sahéliens montre un espace tourmenté par la violence dont les motivations, les formes et l’intensité varient d’un pays à un autre. Cette violence est en partie à l’actif des jeunes. Dans le cadre de l’enquête quantitative sur « Jeunes et stratégies de résilience à la violence et à la criminalité en Afrique de l’Ouest : Sénégal et Burkina Faso », les personnes interrogées au Sénégal affirment que la violence sous toutes ses formes (physique, verbale, psychologique) est essentiellement exercée par les jeunes :
- les moins de 15 ans sont responsables de 6,3 % des actes de violence perpétrés au Sénégal ;
- les jeunes âgés de 15 à 19 ans révolus sont responsables de 26,1 % des actes de violence ;
- les jeunes âgés de 20 à 24 ans révolus sont responsables de 38 % des actes de violence.
En résumé, 70 % des actes de violence perpétrés au Sénégal seraient selon les personnes les jeunes âgés au plus de 25 ans.
Les personnes interrogées soutiennent que les actes de violence commis par les jeunes auraient comme ressort le manque d’emploi et de revenus. En effet, environ 64,7 % des enquêtés estiment que la violence exercée par les jeunes est expliquée par le manque d’emploi alors 66,9 % des actes de violence sont le résultat d’un manque de revenus. 2 personnes sur 3 considèrent que la violence des jeunes a pour cause la précarité économique.
Ce résultat est conforme à la théorie économique des conflits. Selon Raleigh, Linke et Dowd, (2014)[1], les agents auront un comportement violent en considérant trois éléments : la capacité militaire de l’Etat, les bénéfices qu’ils engrangeraient en s’attaquant à l’Etat et enfin l’arbitrage entre d’une fait s’engager dans des activités délictuelles et violente et d’autre part, l’engagement dans des activités économiques pacifiques.
Emigrer par tous les moyens : « le mythe du Kaaw »[2] comme alternative à la précarité
L’importance des besoins non satisfaits exprime l’inclination des jeunes vers la migration internationale. Environ 30 % des jeunes âgés de 18 à 35 ans pensent fortement à migrer. La recrudescence des vagues d’émigration clandestine par la mer notées ces dernières semaines en direction des Iles Canaries sous-estime probablement ces statistiques. L’émigration par tous les moyens y compris les voies illégales les plus périlleuses semble être l’unique voie salutaire pour se sortir de la pauvreté. Ces choix aussi périlleux qu’ils soient résultent paradoxalement de décisions à la fois individuelles conformément à la théorie de la rationalité du migrant (Todaro, 1976) mais d’arbitrages et de décisions opérés au niveau des ménages conformément à la théorie de la nouvelle économie des migrations (Stark et Bloom, 1985).
La décision de migrer et spécialement de façon est perçue comme une forme de vote protestataire pour signifier son désaccord avec l’orientation politique du pays et la place réservée aux jeunes. Ifekwunigwe (2013) fait allusion à ce vote par les pieds en parlant des jeunes sénégalais qui tentent l’aventure migratoire en bravant les mers. Ce « vote par les pieds » rappelle les populations de l’Europe de l’Est qui fuyaient le communisme en venant se réfugier dans les pays occidentaux.
[1] Cité par Camille Laville. L’analyse économétrique des conflits internes par l’approche causale : les évolutions d’une littérature en expansion. 2018. ffhal-01949580f
[2] « A la découverte des territoires de l’émigration dans les représentations des jeunes senegalais : le mythe du « kaaw »” In Bolzman,C., Gakuba, Th-O., et Guissé, I., Migrations des jeunes d’Afrique subsaharienne : Quels défis pour l’avenir ?, Paris, l’Harmattan, Collection “Compétences interculturelles », pp 98-112