Article de la semaine-Les défis de la radicalisation sur les sociétés ouest africaines

Lorsqu’on revient sur l’agenda des doctrines salafistes islamistes, l’on voit clair de ce qui pourrait être des défis auxquels s’exposent les pays africains. Ils tournent autour de la nature de l’Etat, de la diversité dans la société, de la pluralité des expressions, du respect des droits humains, de la pérennité de la démocratie.

La nature de l’Etat

En Afrique de l’Ouest, l’Etat est de nature laïque. Une laïcité qui est héritée de la France et qui risque de nous coûter nombre de malentendus avec les populations. Les islamistes ne cessent de dénoncer cette laïcité et de manipuler à travers prêches, émissions, conférences et autres occasions, les populations pour les dresser contre cette notion. Ceci est d’autant plus facile que l’environnement socio-culturel permet une jonction entre certains aspects des traditions musulmanes avec les traditions africaines. L’on se rappelle la volte-face du gouvernement malien sur le projet de code de la famille adopté par le parlement et renvoyé en seconde lecture par le Président de la République sur la base d’une forte pression des islamistes du Haut conseil islamique du Mali. Avant cela, le Sénégal avait adopté une loi sur l’excision mais avait établi un moratoire sur son application. Récemment, le projet de loi sur la modernisation des daaras a été retiré à cause des mêmes pressions des arabisants.

La laïcité de nos États, à cause de l’histoire de ses origines (ancienne colonie, anticléricalisme), risque d’être une ligne de fracture entre deux catégories de la population : ceux qui regardent vers l’ouest, les europhones et europhiles, peut-être et ceux qui sont orientés vers l’orient, arabophones et islamistes. Or, sur cette question, il y a consensus, sur le principe entre l’ensemble des secteurs de l’Islam, même si dans les modalités de conquête il y divergence. Car les islamistes, même s’ils ne le disent pas n’écartent pas l’usage de la violence alors que les courants confrériques condamnent cela. La tonalité des condamnations des exactions des terroristes comparée à la virulence des manifestations contre l’homosexualité, contre la modernisation des daaras est un indicateur.

En outre, l’espace public risque de devenir, depuis que les sociétés civiles à caractère islamique y ont pris goût, un espace de conflit et non de dialogue comme l’avait plutôt voulu Serigne Abdoul Aziz Sy Dabbkah. Le risque du conflit sur la laïcité est d’autant plus grand qu’aujourd’hui, à la suite de la Conférence des oulémas d’Afrique, une résolution appelant à une structuration a été saisie au vol. Ce qui a entraîné la mise en place de la coordination des Oulémas d’Afrique, structure financée par l’Arabie Saoudite et qui regroupe les salafiste et wahhabites qui lui ont fait allégeance. Il y a là comme une volonté de créer les germes d’une oumma régionale, comme au Sénégal, le RIS est l’embryon d’une oumma locale, selon leur conception des choses. Or, l’objectif final demeure l’érection d’un califat islamique avec le Coran comme constitution. Dans cette volonté de regroupement, les finances sont importantes et elles proviennent de l’Arabie saoudite à travers le Wamy, la LIM, l’AMA ou d’autres agences à cet effet.

Diversité, pluralité et citoyenneté

Nos sociétés sont des sociétés plurielles de par leurs croyances religieuses et philosophiques. Cette pluralité est respectée par tous et l’Etat en est garant par le cadre législatif et réglementaire. La citoyenneté permet de faire respecter l’égalité entre tous, en droit et en devoirs. C’est ce qui assure l’équilibre et l’équité au sein de la société. Avec le projet radical, il y a un risque important à une « purification » de la société. Rien que le terme islamisation, que cela soit par le haut que cela soit par le bas, est assez éloquent pour percevoir les menaces sur la diversité et la pluralité.

L’Afrique de l’Ouest est une zone de diversité ethnique, par conséquent culturelle. Le sort de palmyre, des Boudhas géants et des tombes de Tombouctou est assez éloquent pour montrer les risques qui se profilent à l’horizon avec le radicalisme. Par ailleurs, la police des mœurs, comme nous l’avons vu dans les pays où l’Etat est estampillé islamique, et même lors de l’amère expérience de l’occupation du Nord Mali, montre à suffisance, que l’on va vers la mort de l’expression artistique, de la diversité culturelle, de la pluralité politique et médiatique et des libertés individuelles et publiques.

Démocratie et droits humains

La démocratie est considérée par les salafistes et islamistes comme une invention satanique de l’occident. Même s’ils en usent et en abusent, ils ne cessent de la dénoncer. Il en est de même pour les droits humains, en particulier pour les droits de la femme et de l’enfant. Pour eux, il s’agit d’une idéologie concoctée par ce qu’ils appellent les coalisés (juifs, chrétiens et francs-maçons). A ce niveau, l’agressivité des organisations de défense des droits de l’homme par rapport à l’homosexualité, à l’excision, et à tout ce qui touche à la famille, est une preuve que les droits de l’homme ne sont rien d’autre qu’une idéologie anti-islamique. Au demeurant, le rapt des filles de Shibok (Nigéria), le mariage forcé des filles lors de l’occupation du Nord Mali, les discours des prédicateurs sur le mariage précoce et le mariage forcé, sont autant de points qui doivent alerter sur les risques du salafisme et de l’islamisme en Afrique de l’Ouest.

Sécularisation et éducation

Il apparaît clair que le projet de globalisation de l’Islam, par une réislamisation de nos sociétés, ne peut prospérer sans la formation d’une élite pétrie de cette idéologie et prête à la servir. Deux secteurs sont importants pour cela : le secteur de l’éduction et celui de la communication de masse. Tout comme la laïcité et les droits de l’homme, l’école publique est pointée du doigt, dans ses contenus et ses méthodes. Ce n’est pas pour rien que la jam’a sunna li-tawhîd wal-jihâd, soit connu par leur slogan « boku haram ». Le rejet de l’occident commence par le rejet de l’école qui reproduit ses idées et pratiques. Ce même rejet est partagé partout en Afrique de l’ouest : au Sénégal, l’école est appelée « écolu tubaab », l’école du blanc, et le faible taux de scolarisation a amené les pouvoirs publics à compter les pensionnaires des écoles coraniques dans le tbs. Le risque que l’on encourt ici, c’est que la multiplication des écoles arabo-islamiques, avec des programmes véhiculant les idées salafistes, aboutissent à une cohorte de gens lettrés en arabe, et hostiles à la société. C’est avoir une masse critique de personnes qui donnent la primauté au nationalisme religieux au détriment du patriotisme. C’est cela qui fait que nos enfants se mobilisent pour DAESH, ou autres choses au détriment de leurs propres patries.

Pourtant, il existe des exemples opposés à ceux-là car avant les indépendances, l’école Franc-mouride avait été créée par Serigne Cheikh Gaïnde Fatma, dans un milieu hostile à l’éducation séculière. Dans la même veine, la famille Tidiane de Tivaouane envoyait ses enfants à l’école publique et même dans les écoles catholiques. Le guide spirituel, Serigne Abdoul Aziz Sy al-Amine a confié ses filles à l’école Sainte Ursyle à Thiès, et à Dakar, son frère ancien Khalife des Tidianes et lui-même ont envoyé certains de leurs enfants à l’école des pères Maristes. Or, en y regardant de près, c’est comme si nos États se laissent encercler par ces écoles ou medersas et ne sont pas conscients des enjeux qui s’y manifestent. Avec la Faculté africaine et la future université africaine financées par l’Arabie Saoudite, la régionalisation de la Oumma se précise. Former une élite ouest africaine aux mêmes idéaux, les préparer au même projet, et les libérer dans leurs pays respectifs pour poursuivre le travail de réislamisation par la base et préparer d’autres pour le travail au sommet.

 

Source: Rapport Atelier sous régional sur « Le radicalisme réligieux et les menaces sécuritaires en Afrique de l’ouest : perspectives nationales et régionales », Gorée Institute 2016