Les facteurs « conflictogènes » en Afrique de l’Ouest

L’Afrique de l’Ouest, après les indépendances, a été le théâtre d’atrocités immenses. Depuis plusieurs décennies, déferlent dans la région et partout ailleurs en Afrique, les guerres, les crises politiques, les conflits transfrontaliers, la dictature, les coups d’Etat… Par conséquent, les Etats africains oublient souvent que la sécurité est une garantie de paix et de stabilité pour toutes les nations. Il s’agit d’un moyen indispensable de réalisation de ses aspirations par l’individu et sa communauté car elle a pour objectif de protéger les populations, leurs biens et leurs activités de toutes menaces, qu’elles soient de nature civile ou militaire. Et cela, à travers différentes méthodes.

Ainsi, la stabilité peine à se faire voir dans certaines régions du monde notamment la zone Ouest-africaine marquée par plusieurs facteurs « conflictogènes » entre autres d’origine politiques, économiques, socio-culturelles ou géopolitiques.

Les facteurs politiques

L’Afrique de l’Ouest demeure un espace vulnérable, caractérisé par de nombreuses instabilités et fragilités. De plus, la constance de ces conflits tire fréquemment ses origines de la fragilité des Etats. En effet, la colonisation y a laissé de nombreuses séquelles et après les indépendances, les puissances coloniales telles que la France, le Portugal, Le Royaume-Uni ont laissé le pouvoir aux mains de dirigeants africains qui ont eu du mal à établir un Etat ainsi que des institutions fortes. Ainsi, la plupart des gouvernements en place ont des difficultés à assurer les fonctions régaliennes de l’Etat sur l’ensemble du territoire, ce qui entraine cette faiblesse à assurer une sécurité totale aux populations. L’héritage structurelle laissé par la colonisation a amplifié les divergences en ce qui concerne les infrastructures, le développement et la souveraineté sur certaines régions. A titre d’exemple, dans la zone sahélo-saharienne, le caractère nomade des populations, ainsi que l’immensité de certains territoires sont des obstacles ne permettant pas à l’Etat d’assurer une domination totale. La constitution même de certains Etats montre tant bien que mal les difficultés de certains à assurer leur autorité. Le « centre » concentre souvent l’ensemble des politiques de développement du pays contrairement aux « périphéries » qui sont souvent laissées pour compte. La multitude des facteurs d’instabilité politique dans la région ouest-africaine traduit bien cette faillibilité des institutions ainsi que le mécanisme de répartition des ressources. Par conséquent, l’absence d’actes démocratiques stables et de politiques de bonne gouvernance peut être favorable à un environnement belliqueux. Cependant, cette fragilité des Etats a aussi été intensifiée par les politiques d’ajustements structurelles édictées par le FMI et la Banque Mondiale. En effet, la ligne de conduite imposée par ces institutions empêche les Etats d’établir de vraies réformes de politiques, ce qui a pour conséquence d’accentuer la faiblesse des Etats ainsi que la présence de forces antagonistes telles que les milices, les groupes armés, les réseaux criminels régionaux ou internationaux… Au niveau politique aussi, la zone est gangrénée par de nombreux autres maux notamment le présidentialisme souvent autoritaire : le président détient la quasi-totalité des pouvoirs et conséquemment, la séparation des pouvoirs est presque inexistante car le pouvoir exécutif qui domine bien souvent les pouvoirs législatif et judiciaire. L’alternance tarde à se faire et on remarque une monopolisation du pouvoir par certains dirigeants. Un autre fait important à relever est cette interférence des militaires dans la vie civile et politique qui explique la récurrence des coups d’Etat. Tout ces maux précités et dont souffrent la région parallèlement sont un énorme frein à la démocratie car entrainant la corruption endémique et l’impunité, l’établissement de narcotrafiquants, de groupes rebelles ou indépendantistes, de terroristes, des entraves à la liberté d’action de la société civile et de l’indépendance de la justice, une atteinte à l’Etat de droit et aux droits humains, la répétition des fraudes et des crises électorales, le « tripatouillage » de la Constitution.

Les facteurs économiques

L’aspect économique est ici d’une importance capitale dans la mesure où il est au cœur de nombreux conflits. En dépit du fait qu’il soit souvent affilié aux facteurs politiques, idéologiques ou socio-culturels, il n’en demeure pas moins que les causes des conflits tirent leurs origines des facteurs divers et variés. Cependant, plusieurs conflits observés dans l’espace se rattachent souvent au monopôle des richesses et des ressources naturelles. Ainsi, nous pouvons citer comme exemple le diamant dans l’ensemble du fleuve Mano, les narcodollars dans la zone sahélo-saharienne, le pétrole dans le Golfe de Guinée ou plus simplement la possession de bandes terrestres ou aquatiques. De plus, il est nécessaire de souligner que du point de vue de la tendance mondiale actuelle, les systèmes économiques africains restent encore archaïques et ont du mal à s’insérer dans le système monde. En effet, la majorité des économies des pays d’Afrique de l’Ouest sont encore de type agricole ou ne permettent pas la création d’emploi ou de boom économique. A l’heure où l’économie repose principalement sur l’industrialisation et l’autonomisation, les Etats ouest-africains ont encore du mal à s’insérer dans cette nouvelle dynamique. Ainsi, la pauvreté et le chômage de masse apparaissent donc comme des causes importantes favorisant l’instabilité de la région car ils (…) la force brute des Etats c’est-à-dire les jeunes à tomber dans la piraterie ou à s’enrôler dans des milices ou autres réseaux criminels afin de trouver d’autres revenus de substitution.

Les disparités des revenus et les inégalités socio-économiques sont donc une cause non négligeable des différents conflits qui touchent la région.

Les facteurs socio-culturels

La forte démographie ainsi que la jeunesse de la population ouest-africaine ne sont plus à démontrer. Selon une étude, 45% de la population a moins de 15 ans et 75% a moins de 30 ans. Cependant, malgré cette vigueur démographique, la pauvreté touche encore fortement les populations. Aussi, le pouvoir politique est souvent exercé par une classe politique d’hommes vieillissant, ce qui a pour conséquence un choc générationnel. Ici, les conflits en Afrique de l’Ouest pourraient donc être abordés naturellement sous un point de vue générationnel.
Ainsi, la faillite du système éducatif et des institutions publiques dans la plupart des pays, le sentiment d’inégalité et de marginalisation renforcent le désespoir des jeunes quant à une perspective d’avenir et facilitent la dissidence de la jeunesse face au système politique. De plus, faisant face à cette inégalité chronique de la société et de la force étatique, certains jeunes ont tendance à reconsidérer la souveraineté de l’Etat et se créent une nouvelle sociabilité criminogène affiliée aux groupes armés et violents plus représentative d’un avenir meilleur. Aussi, cette atmosphère crisogène est aussi renforcée par la manipulation des référents identitaires et communautaires accentuant le morcellement et les fragments sociaux. Ainsi, l’essor de nouveaux groupes religieux radicaux tels que Boko Haram pourrait bien être une conséquence de ces facteurs.

Les facteurs environnementaux et géopolitiques

La zone ouest-africaine est caractérisée par la fragilité de son écosystème. Elle a souvent connu de terribles sécheresses ainsi que l’insuffisance de terres arables et cela a eu comme grande conséquence les rébellions des peuples nomades Touareg aux environs des années 1990 au Niger et au Mali, car les activités pastorales et agricoles représentent les principales sources de revenus. De plus, la région est fortement polluée par les entreprises du secteur pétrolier qui finissent par étioler les revenus des populations locales. Par conséquent, la dégradation de l’environnement ainsi que le partage inégal des ressources constituent depuis plusieurs décennies un facteur de contestations fréquentes.

Aussi, l’ensemble des violences dont souffre la région peut aussi s’expliquer par ces profondes mutations que connaissent les sociétés ouest-africaines ainsi que les différents défis qui se présentent à elle afin de s’adapter au phénomène de mondialisation. L’Etat national est aujourd’hui en crise et doit faire face à la montée en puissance de grandes organisations supranationales telles que les diasporas, les multinationales, les forces régionales et internationales… De même, l’évolution des principaux foyers de conflits armés en Afrique de l’Ouest montre à quel point la région est enlisée dans un schéma cyclique de violences permettant l’établissement de facteurs conflictuels dans le temps. Et les hypothétiques périodes de paix traduisent la migration de ces conflits vers d’autres zones. Nous pouvons prendre l’exemple des mercenaires libériens impliqués dans le conflit ivoirien, la fusion entre les Touaregs provenant de la milice islamiste de Kadhafi et des membres d’AQMI, l’accointance entre les forces de Boko Haram et celles d’AQMI. La chute du régime du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a entrainé une nouvelle donne géopolitique dans l’espace du fait de la dispersion des armes dérobées aux arsenaux libyens. Ce nouveau contexte géopolitique a ranimé les tendances indépendantistes et favorisé l’implantation de groupes terroristes. Le mouvement terroriste Boko Haram est assez représentatif de cette nouvelle dynamique. Cependant, la région est aussi devenue un vaste espace de développement du narcotrafic ainsi que de l’immigration clandestine vers l’Europe. Le nombre d’ALPC en circulation est aujourd’hui estimé à 8 millions et plus de la moitié sont détenus de manière illicite.

Ces différents défis appellent à une réforme du secteur de la sécurité ainsi que des stratégies adaptées à un milieu en pleine transformation. De même les opérations de désarmement et les offres d’amnistie qui sont les mesures d’actions les plus fréquentes doivent être envisagées de façon nouvelle car dans l’ensemble, leur bilan reste assez mitigé. Il est donc nécessaire, afin d’atténuer ces conflits, d’améliorer les conditions de vie des population et de développer le secteur de l’emploi. Aussi, la jeunesse devrait être au cœur des politiques car elle est la cible principale de cette fragilité économique des Etats favorables à un climat de violence. Un contrôle plus rigoureux de la circulation des armes pourrait permettre de restreindre le nombre d’armes déjà trop important, de même que les conséquences néfastes qu’elles pourraient engendrer.

Bernadette Judith Mendy