Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
- Introduction
Dans une étude intitulée « La place des femmes dans le secteur extractif francophone », la Francophonie a révélé que plus d’un tiers des réserves minérales mondiales se trouvent en Afrique, dont plus de la moitié des minerais rares. Par exemple, la Guinée abrite la plus grande mine de bauxite à ciel ouvert au monde, le Burkina Faso est le quatrième producteur d’or en Afrique et le Sénégal est l’un des principaux producteurs de phosphates et de zircon.[1]
Malheureusement, la richesse tirée des industries extractives ne contribue pas suffisamment à la croissance de ces pays, laissant leurs citoyens dans la pauvreté, et les femmes sont les plus touchées. Il est indéniable que les femmes sont largement sous-représentées dans le secteur des industries extractives, dominé par les hommes et marqué par des inégalités de genre. Ainsi, les gouvernements doivent relever le défi d’améliorer l’exploitation de leurs ressources naturelles de manière transparente et équitable tout en prenant en compte l’égalité de genre pour remédier à toutes ces disparités.[2]
Les dispositions relatives à l’égalité des sexes dans la Norme ITIE de 2019 ont permis une prise de décision plus inclusive, mais il reste encore un long chemin à parcourir. La norme a intégré des dispositions relatives au genre, ce qui constitue une grande première. Les nouvelles dispositions visent à améliorer la participation des femmes dans la gestion des ressources extractives. Désormais, les groupes multipartites sont tenus de tenir compte de l’équilibre hommes-femmes dans leur composition et de divulguer des données sur l’emploi par entreprise, par genre et par niveau d’emploi.
Dans cet article, nous examinerons les inégalités de genre dans les communautés impactées par les activités extractives en Afrique de l’Ouest, en nous appuyant sur les dispositions des codes miniers et pétroliers de la région.
II- Les multiples facettes des inégalités de genre
Les activités extractives, telles que l’exploitation minière, pétrolière ou gazière, ont souvent un impact disproportionné sur les femmes et les filles dans les communautés touchées. Les inégalités de genre peuvent se manifester de plusieurs manières :
1. Accès à l’emploi : dans les industries extractives, les femmes ont souvent moins d’opportunités d’emploi que les hommes. Les emplois disponibles sont souvent des emplois manuels, dangereux et physiquement exigeants, qui sont considérés comme « non appropriés » pour les femmes.
Une étude menée par Women In Mining Sénégal (WIM) confirme la faible présence des femmes dans l’industrie extractive. Sur les 26 grandes entreprises recensées au Sénégal, seulement 8,4% de l’effectif total (soit 668 femmes sur 7951 emplois) sont occupés par des femmes. De plus, parmi les 313 cadres nationaux, seuls 35 sont des femmes cadres supérieurs. Les femmes peinent à accéder aux postes clés, seulement 8% d’entre elles estiment qu’elles y ont facilement accès, alors que 92% pensent le contraire.
Bien que les femmes soient présentes dans certaines carrières, leur nombre reste faible et leur activité se limite souvent au reconditionnement des sous-produits pour la vente. Les données sur ces types d’activités sont assez rares pour pouvoir en apprécier la consistance et les impacts pour les femmes.
Malgré une amélioration de la tendance, le rythme actuel ne permet pas d’entrevoir la lumière de sitôt pour une égalité homme-femme dans l’industrie extractive au Sénégal. Par exemple, sur les 32 474 personnes actives dans l’orpaillage traditionnel en juillet 2018, seuls 1 216 sont des femmes, cette activité leur étant traditionnellement réservée[3].
2. Accès à la terre : dans de nombreuses communautés touchées par les activités extractives, la terre est une ressource clé pour la subsistance des communautés locales. Les femmes ont souvent moins d’accès à la terre que les hommes, soit parce qu’elles ne sont pas considérées comme propriétaires fonciers, soit parce qu’elles ont moins de pouvoir pour négocier les conditions d’utilisation de la terre.
Dans certains pays, des facteurs socioculturels confèrent aux femmes un statut particulier qui les limitent souvent à des rôles domestiques et marginaux. Le taux élevé d’analphabétisme dans les zones rurales constitue également un obstacle à leur développement économique. En conséquence, les femmes se voient souvent attribuer des rôles marginaux dans la chaîne de valeur, travaillant dans des conditions très défavorables.
En outre, les femmes ont rarement un permis ou une licence d’exploitation et ne sont presque jamais propriétaires de leur propre terre. Ceci est principalement dû à un manque d’autonomisation financière, car pour être propriétaire d’une parcelle de terrain, acheter un permis ou devenir négociante, il faut avoir un capital d’investissement.
3. Violence sexuelle et exploitation : les femmes et les filles sont souvent vulnérables à la violence sexuelle et à l’exploitation dans les communautés touchées par les activités extractives. Les travailleurs masculins dans ces industries peuvent être responsables de violences sexuelles contre les femmes et les filles, souvent en toute impunité.
4. Perte de moyens de subsistance : Les activités extractives peuvent avoir un impact sur les moyens de subsistance locaux, tels que l’agriculture, la pêche et la chasse. Les femmes sont souvent les premières à ressentir les effets de ces perturbations, car elles sont souvent responsables de la sécurité alimentaire et des soins aux membres de la famille.
Les projets extractifs ont des conséquences néfastes sur les femmes qui peuvent perdre leurs terres et leurs moyens de subsistance traditionnels. Dans certains cas, les femmes sont contraintes de recourir à des activités telles que la prostitution pour subvenir à leurs besoins, ce qui accroît leur vulnérabilité face aux violences sexuelles et basées sur le genre.
Les inégalités de genre dans les communautés impactées par les activités extractives en Afrique de l’Ouest sont un enjeu complexe qui nécessite l’implication de tous les acteurs, y compris les gouvernements, les entreprises extractives, les communautés et les organisations de la société civile.
En effet, les codes miniers et pétroliers de nombreux pays africains contiennent des dispositions relatives à la protection des droits des femmes et des enfants dans les activités extractives.
Selon le Code Minier[4] de la République de Guinée, « les droits des femmes et des enfants doivent être protégés dans toutes les activités minières et dans tous les projets miniers ». Cependant, malgré ces dispositions, les femmes continuent de faire face à des obstacles à l’emploi et à l’accès aux ressources dans les communautés minières en Guinée. Une étude menée en 2019 par le Centre Carter et le Conseil National des Organisations de la Société Civile Guinéenne a révélé que les femmes représentent moins de 10% de la main-d’œuvre dans les mines de Guinée, et sont souvent cantonnées à des rôles subalternes et précaires.
Le Code Pétrolier de la République du Ghana dispose que « les femmes doivent avoir les mêmes chances et opportunités que les hommes en ce qui concerne l’emploi et la formation ». Cependant, les femmes sont souvent sous-représentées dans l’industrie pétrolière ghanéenne, et font face à des stéréotypes de genre et des obstacles culturels à l’accès à l’emploi et à la formation. En outre, les femmes sont souvent exclues des décisions relatives à l’utilisation des ressources naturelles dans les communautés impactées par l’industrie pétrolière au Ghana.
Le Code pétrolier de la République du Sénégal est un exemple de législation qui prend en compte les Droits humains et l’Environnement, en imposant aux titulaires de titres l’obligation de protection.
Ces exemples soulignent l’importance de l’intégration de l’égalité des sexes dans les codes miniers et pétroliers de la région, ainsi que la nécessité de renforcer la mise en œuvre et l’application de ces dispositions pour assurer la protection des droits des femmes dans les communautés impactées par les activités extractives en Afrique de l’Ouest.
Cependant, malgré ces dispositions légales, les femmes des communautés impactées par les activités extractives en Afrique de l’Ouest continuent de faire face à des inégalités de genre et à des violations de leurs droits.
Il est donc important que les gouvernements et les entreprises extractives prennent des mesures concrètes pour protéger les droits des femmes et des enfants dans les communautés impactées par les activités extractives en Afrique de l’Ouest.
III- Conclusion et recommandations
Malgré son rôle de pilier de stabilité socio-économique et de vecteur de revenus en Afrique de l’Ouest, la femme demeure paradoxalement le maillon faible dans le secteur des industries extractives. Bien que d’importants efforts aient été réalisés, de nombreux défis subsistent pour assurer un statut privilégié aux femmes dans ce secteur. Pour y parvenir, la mise en œuvre de stratégies clés sera nécessaire pour instaurer des industries extractives inclusives, telles que :
- Encourager les femmes à jouer un rôle actif dans les organisations de la société civile ainsi que dans les structures de gouvernance du secteur, telles que l’ITIE.
- Prendre des mesures de diligence raisonnable pour limiter les conséquences sociales et environnementales des projets extractifs sur les moyens de subsistance des femmes, tout en favorisant la création d’emplois pour ces dernières.
- Favoriser l’amélioration de la formation et du développement des compétences chez les femmes et les filles.
- Les entreprises extractives doivent respecter les droits des femmes et des communautés locales et mettre en place des programmes de développement économique et social inclusifs en consultation avec les femmes et les groupes vulnérables.
- Les gouvernements doivent également veiller à ce que les politiques publiques intègrent une meilleure approche genre et prennent en compte les impacts spécifiques des activités extractives sur les femmes.
En fin de compte,
- Une approche intégrée et inclusive qui tient compte de la diversité des besoins, des expériences et des perspectives des femmes et des hommes est essentielle pour garantir des résultats durables pour toutes les communautés impactées par les activités extractives en Afrique de l’Ouest.
[1]http://apf.francophonie.org/IMG/pdf/5.2_questionnaire_sur_la_place_des_femmes_dans_les_industries_extractives.pdf
[2] https://eiti.org/fr/blog/vers-secteur-extractif-plus-participatif-pour-femmes
[3] Sénégal-Secteur extractif : Les femmes toujours dans le tunnel – Africapetromine.com
[4] https://www.droit-afrique.com/upload/doc/guinee/Guinee-Code-minier-2011.pdf.
Références
« Gender Dimensions of Artisanal and Small-Scale Mining: A Rapid Assessment Toolkit, » Centre Carter and Conseil National des Organisations de la Société Civile Guinéenne, 2019. Gender Dimensions of Artisanal and Small-Scale Mining : A Rapid Assessment Toolkit (worldbank.org)
Programmes de santé (cartercenter.org)
Droit-Afrique – Portail du droit guinéen
« Women, Land and Mining in Africa: Legal and Regulatory Frameworks for Building Community Trust » Women, Land, and Law in Africa | SpringerLink
« Women and Artisanal Mining: Gender Roles and the Road Ahead » Women and Artisanal Mining: Gender Roles and the Road Ahead | 21 | The (taylorfrancis.com)
« Gender and Extractive Industries: Putting Gender on the Corporate Agenda », Gender and the Extractive Industries: Putting gender on the corporate agenda – Oxfam Policy & Practice
« Extractives and Gender in Africa: Policy and Legislative Frameworks for Women’s Rights » AU Strategy for Gender Equality and Women’s Empowerment | Union africaine
Sénégal-Secteur extractif : Les femmes toujours dans le tunnel – Africapetromine.com
Auteure: Houleymatou Baldé, Chargée de Projet « Gouvernance des ressources naturelles », Gorée Institute