Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Les perspectives relatives à la situation du Mali s’analysent principalement à travers la volonté des maliens de changer la gouvernance et de sortir de la crise afin d’enclencher un processus viable, consensuel de construction de la paix. Le sentiment des acteurs maliens en rapport avec le fait que le processus politique échappe aux gouvernants représente une source d’inspiration et de motivation afin de s’engager pour soutenir le pays et rechercher des alternatives. Les mobilisations collectives sous la conduite du M5 RFP (Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques) symbolisent cette volonté et ouvre la voie à l’exploration ou l’acceptation de nouvelles alternatives, pour renforcer l’Etat et poser les pistes de solutions de sortie de crise.
L’existence d’une dynamique de changement
Les différentes mobilisations massives des maliens et surtout de la jeunesse contre le régime du Président Ibrahim Boubacar Keita s’analysent en une volonté profonde de changement du système de gouvernance au Mali depuis 1991. Elle exprime aussi le discrédit jeté sur les acteurs politiques du mouvement démocratique tenus pour comptables de la gestion chaotique du pays depuis plusieurs décennies. En effet, l’espoir des maliens, sur fond de confiance, s’est porté sur un homme (Imam Mahmoud Dicko) qui n’est pas politique à la base et qui est devenu par la force des choses le porteur des ambitions politiques, en rapport avec le changement de gouvernance. Cette dynamique de changement qui s’est exprimée depuis la signature de l’Accord d’Alger à travers le refus de la révision constitutionnelle (juin 2017) s’est maintenue et s’est réaffirmée comme l’expression d’une prise de conscience relativement à la participation démocratique avec l’érection de remparts contre les dérives démocratiques. Cet engagement des populations, majoritairement jeune, ouvre un nouvel espoir quant à la participation démocratique considérée comme faible au Mali94 mais en même temps renforce les perspectives de veille citoyenne contre les dérives démocratiques. Il serait important d’identifier les facteurs positifs qui peuvent entretenir cette dynamique de prise de conscience de la jeunesse afin que cette importante lueur ne s’éteigne sous la déception des manœuvres politiciennes, comme ce fut le cas en 1992.
La volonté de changement s’explique par l’obstruction des perspectives d’emploi pour la jeunesse et les frustrations résultant du népotisme et de la corruption endémique dont sont victimes principalement les jeunes. Les épisodes de grève des médecins (juin, Mars 2018) et ceux des enseignants (2019 et 2020) ont contribué à renforcer chez les citoyens maliens le sentiment de rejet de l’autorité légitime avec comme conséquence l’aggravation de l’affaiblissement d’un Etat et d’une gouvernance acculée. L’alternative crédible qui se pose alors est, selon des manifestants, la mobilisation générale pour sauver le pays d’où la grande détermination pour demander le départ de IBK et de son régime.
On peut s’interroger sur l’existence réelle ou supposée d’un agenda politique structuré autour d’une vision soutenue destinée à reformer le pays. Cependant, il est loisible de faire remarquer que la dynamique de changement qui est enclenché, si l’on se réfère aux slogans des manifestants, se fonde sur l’ambition d’éradiquer la corruption, le népotisme, les fraudes électorales et de freiner l’affaiblissement continu de l’Etat. Ces différentes questions sont entre autres des priorités sur lesquelles les nouvelles autorités doivent bâtir une gouvernance forte et légitime sans laquelle il serait difficile de garantir la continuité du processus démocratique.
La transition politique: une opportunité pour asseoir des réformes démocratiques consolidantes
Idéalement, une transition politique doit être courte avec un agenda clair et précis. Essentiellement, il s’agit, de préparer un environnement favorable à la tenue de compétitions électorales susceptibles de faire émerger des institutions véritablement légitimes. Ce postulat, qui constitue le critère fondamental d’une transition politique, se justifie dans la mesure où il est conforme aux principes démocratiques. De même, il permet de circonscrire les ambitions des leaders de la transition en limitant les risques de confiscation du pouvoir et les dérives démocratiques. En outre, plus vite on retourne à l’ordre constitutionnel normal, plus on a la chance de réintégrer le concert des nations et le pays se donne toutes les chances de soutien à son processus démocratique en renforçant les perspectives de développement.
Cependant dans la situation du Mali, il serait important de saisir l’opportunité ainsi offerte pour envisager la transition politique sous l’angle de la consolidation démocratique en se focalisant sur les réformes qui corrigent les insuffisances de la pratique institutionnelle. Il s’agit d’initier de nouvelles règles du jeu politique et de nouvelles configurations stratégiques en fonction des défis du pays. Théoriquement ce mandat peut paraître anachronique pour une transition politique compte tenu de ce qui a été évoqué précédemment mais la pratique institutionnelle nous enseigne que la transition représente une « opportunité » pour réussir des réformes démocratiques audacieuses. Autrement dit, des changements difficiles à réaliser avec des institutions légitimement établies soit à cause des contingences politiques soit à cause des clivages politiques.
La période de transition politique, en favorisant l’érection d’un exécutif impartial et neutre a l’avantage d’annihiler l’hégémonie d’une majorité et les crocs-en-jambe d’une opposition. En effet, durant la transition politique, les rapports de forces sont relativement plus équilibrés par le fait qu’aucun acteur ne détient de manière absolu un levier du pouvoir pour influencer le processus politique. Ceci permet d’instaurer un climat de confiance et évite les suspicions et les confrontations politiques. C’est de manière consensuelle que l’agenda politique (feuille de route) est défini par les différents acteurs dans un contexte relativement apaisé avec un fort potentiel de confiance pour définir un projet politique national95. L’élaboration d’un projet politique national durant les transitions politiques est la prévalence de la confrontation des idées au détriment des luttes de pouvoir. Les ambitions politiques collaborent dans le but de tirer des leçons et de circonscrire les effets des erreurs du passé par l’initiation de propositions consensuelles, sans l’exigence d’un référent politique subjectif en la personne d’un chef d’Etat. Ce postulat est très important car un Président de la république, « monarque républicain » (Maurice Duverger), influence de manière subjective en général les processus de réformes démocratiques. Les réformes politiques initiées et effectuées durant une transition, à la différence d’une période de légitimités établies, ne sont pas basées sur des calculs de dividendes politiques de réélection ou de perte d’électorat. Elles s’analysent comme le fruit d’un nouveau contrat social entre les citoyens, sans considération partisane, afin d’apporter des correctifs ou des changements importants à la gouvernance.
Les perspectives à long terme dépendront, à coup sûr, de la réussite ou l’échec de la transition politique. L’ambition des maliens de rompre avec les pratiques politiques actuelles ne se réalisera qu’à la condition que des réformes profondes soient engagées et réalisées avec un fort soutien des maliens contre les forces centrifuges conservatrices. Ces forces essentiellement composées de partis politiques et d’associations se battront, cependant toujours, pour sauvegarder des privilèges et passe-droit soit en noyautant le processus des réformes soit en s’alliant avec d’autres forces pour aller à la conquête du pouvoir. Coutumiers de la récupération des mouvements populaires (expériences de 1992 et 2012), beaucoup d’acteurs politiques, à défaut de réussir la restauration, arrivent toujours à s’incruster dans tous les régimes politiques d’où la grande difficulté de renouvellement de la classe politique et du jeu politique.
La transition apportera certainement un changement dans l’évolution des paradigmes électoraux ; ce qui contribuera à réduire la place de l’argent dans les élections en favorisant la moralisation de la vie politique et la redevabilité politique. La provenance de l’argent injectée dans les élections96, pour la plupart du temps, s’analyse en termes soit de fonds publics détournés à la suite de surfacturation des marchés publics soit de backchich provenant de trafics de matières illicites.
La nouvelle dynamique est un véritablement tremplin pour réévaluer les questions militaires et de sécurité dans la perspective d’ouvrir des débats sains entre les différents acteurs (Etat et mouvements armés) pour la relecture de l’Accord pour la paix issu du processus d’Alger. Cet accord représente un outil important pour la stabilité et la cohésion sociale du Mali.
L’organisation des élections transparentes et crédibles reste un objectif majeur pour le Mali. Après une trentaine d’années de pratique démocratique, le pays continue de chercher sa voie pour l’institutionnalisation d’une organisation crédible de gestion des élections. Cette ambition est juste compte tenu de l’importance de l’organisation des élections dans la stabilité d’un pays. Cette préoccupation doit servir d’introspection pour organiser des élections libres, transparentes et crédibles à la sortie de la transition afin de conférer une pleine légitimité aux autorités qui auront la responsabilité de consolider le processus démocratique.
Enfin, l’enseignement que l’on peut tirer de ce coup d’Etat et les mouvements populaires qui l’ont précédé est la nécessité d’une remise en cause des acteurs politiques qui ont échoué dans la construction du processus démocratique malien à cause de différents facteurs. Cependant, la démocratie ne peut être une réalité dans un pays en dehors des partis politiques, d’où la nécessité de les assister, les renouveler et les soutenir pour qu’ils puissent remplir cette fonction d’agréger les aspirations des populations et les porter aux niveaux de décisions de la vie publique et institutionnelle.