Médiateurs en Afrique de l’Ouest : les expériences du Président Obasanjo

Le Tambour d’appel : Expériences personnelles de la médiation

Pour le président Obasanjo, une série d’expériences de vie a été importante dans la création d’opportunités pour qu’il devienne un médiateur. En ce qui le concerne c’est aussi un mélange de profession et de culture qui l’a mis dans ces fonctions. De son temps passé à l’armée à son séjour en prison, et son expérience en tant que président, il déclare clairement que «toutes ces expériences m’ont préparé pour une vie de réconciliation ; réconcilier les gens, essayant de faire la paix dans la communauté, au sein de la Nation et dans la communauté internationale. Ainsi, je dirais que mon expérience de vie et mon milieu culturel m’ont préparé pour une vie de réconciliation. Culturellement, dans la plupart des sociétés africaines quand deux individus ou groupes se querellent, les plus âgés interviennent, et la plupart du temps ce n’est pas pour imputer la faute à quiconque, parce qu’il n’y a pas de vainqueur ni de vaincu, notre tradition et notre culture font des deux parties des gagnants ».

Parallèlement à sa médiation internationale de haut niveau, le président Obasanjo a apporté des contributions essentielles a la résolution de conflit interne du Nigeria. Il a été engagé de 1979 à 1985 dans un travail de médiation avec l’Awujale, qui est l’Oba (chef africain) de la terre d’Ijebu, et maintenant un chef traditionnel suprême et ancien gouverneur de l’État d’Ogun, Bisi Onabanjo. Le président Obasanjo explique le contexte de l’histoire comme étant basé sur le fait que « le chef Bisi Onabanjo a accusé les Awujale d’une conduite indigne des chefs, et le gouverneur voulait déposer le chef traditionnel. Les Awujale sont allés devant les tribunaux et il y avait une grande rancune entre les deux parties.»

L’autre conflit plus local était la vieille querelle entre les communautés Ife et Modakeke dans l’État d’Osun. Cela a commencé en 2006 et s’est terminé en 2009. Il décrit la base et les conséquences de la crise en disant : «Cette crise a commencé initialement comme une dispute pour la terre ; dans le contexte de la querelle entre ceux qui se sont installés et ceux qui sont natifs de la terre, la crise s’est envenimée au fil des ans en aboutissant à des violences avec des morts et des destructions de propriétés.»

Tandis que les détails des deux expériences étaient très différents, le président explique qu’il a pris une approche similaire pour la médiation dans les deux cas, en disant : «Mon expérience de la médiation a été largement influencée par mes antécédents traditionnels et culturels, ainsi les outils et les compétences sont trouvées au sein de notre riche héritage culturel. Dans les deux cas, ce que j’ai fait, c’était de d’abord connaître le contexte historique des querelles, et ensuite d’identifier les principaux personnages et acteurs. Enfin, il s’est agit de développer une méthodologie ou un processus. Dans la plupart des cas vous préféreriez utiliser une sorte de médiation par navette, rencontrant les parties séparément, puis, quand le terrain est plus souple, vous les amenez ensemble. Quand vous réussissez à réunir les parties ensemble et que la glace est brisée comme le dit le proverbe, vous réalisez que chacun avait des supporters qui les tenaient en otage, ce que l’on voit dans presque toutes les querelles. Ainsi, quand vous exercez une médiation avec un groupe principal ou un individu principal et que vous semblez ne pas faire de progrès, quelques fois il convient d’impliquer leurs supporters, cela est très important.»

Pour une expérience à un niveau plus international, le président Obasanjo partage avec nous comment l’engagement dans un processus de médiation peut ne pas être toujours aussi bien planifié qu’espéré. Il parle du processus de nomination en tant que médiateur au Congo en disant : « J’étais loin, je pense en Chine pour un voyage, alors, quand les gens des Nations unies me cherchaient ils ne pouvaient pas me localiser. Quand les Nations unies m’ont enfin localisé et que j’ai demandé à consulter mon Président, ils ont dit – ’’et bien, il a déjà dit oui en votre nom’’.»

Les situations peuvent être complexes, et cela peut être le cas dès la première tâche du médiateur. Il explique une partie de ce processus en disant : «D’abord et avant tout je devais élaborer une équipe. J’avais trois officiers des Nations unies comme personnel d’appui et nous avons fait de Nairobi notre base dans la mesure où la ville est stratégiquement positionnée. Mon mandat principal et mon objectif principal étaient d’amener la paix dans l’est du Congo et les parties pour lesquelles je devais exercer ma médiation étaient assez diverses ; il y avait 22 milices différentes avec Laurent Nkunda dirigeant l’une des milices principales, ensuite vous aviez les gouvernements du Rwanda, de la République Démocratique du Congo et leurs voisins comme le Burundi. Tandis que certaines milices n’étaient pas si puissantes, le principal problème était la présence de milices puissantes comme celle de Nkunda et des restes de génocidaires Hutu. Nkunda était un jeune homme avec de l’ambition, qui avait des armes et se sentait relativement en insécurité en tant que Tutsi, mais un Tutsi congolais et qui avait pris les armes contre l’État (la RDC). Ce fut vraiment un difficile travail, à la fois physiquement et mentalement exigeant, par exemple, je crois que nous avons fait 30 voyages en 11 mois. Il y avait des périodes de 48 heures pendant lesquelles je devais rendre visite à cinq chefs d’État en deux jours. Le point positif pour moi est que nos efforts ne furent pas vains. Tandis que l’est du Congo n’est toujours pas complètement en paix, il y a eu un changement et des progrès majeurs à la suite de nos efforts.»

Il est clair qu’il y a de grandes complexités dans les questions pratiques. On ne peut qu’imaginer le stress personnel que cela peut créer. Et, cependant, ajouté à cela il y a le conflit et les dynamiques interpersonnelles particulièrement compliqués. Le Président partage certaines de ces expériences avec nous en disant : «Quand nous avons commencé, il y avait cette réunion que nous avons tenue à Nairobi. Les présidents Kabila et Kagame ne voulaient pas parler. Ils refusaient de parler, ni même de se serrer la main. Dès février 2009 ils conduisaient des opérations conjointes. Nous avons utilisé la médiation par navette pour briser la glace. J’étais comme un garçon de courses ; quand l’un disait une bonne chose à propos de l’autre je le relayais à l’autre partie, et ensuite il y avait une plaisante surprise, et c’est comme cela que nous avons fini par briser la glace. Il est important de noter que j’avais un partenaire formidable en la personne du Président Benjamin Mkapa. Vous voyez, les personnes qui maintiennent en vie des conflits relayent de mauvaises choses entre les différents protagonistes. En mars 2010, notre mission était achevée.»

Dans la Calebasse : Opinions sur la culture, la formation, le genre et les acteurs externes

Dans l’expérience du président Obasanjo, il a eu souvent affaire avec ce que l’on désigne comme les acteurs externes, à la fois dans le cadre de son travail en tant que diplomate, mais aussi dans son rôle de médiateur. Il comprend la valeur de tels acteurs, mais il est clair que leur rôle doit être encadré pour être réussi. Il explique cela en disant : «On doit d’abord comprendre que le monde est interdépendant, et nous devons développer des compétences et des processus pour y faire face. Par exemple, au Congo, il y avait des représentants de la communauté internationale – britanniques, français et américains. Je les ai appelés et je leur ai fait comprendre que nous étions des partenaires et que nous travaillions ensemble, et nous avons eu des arrangements par lesquels nous partagions des informations et avions des comptes-rendus. Cela peut être très avantageux, dans la mesure où la plupart de ces acteurs externes ont certains leviers et de l’influence que l’on peut utiliser. Malheureusement, s’ils se lèvent contre vous, ils peuvent être une nuisance.»

Un autre problème qu’il a commenté est celui du rôle des femmes, pensant que «les femmes commencent à avoir un rôle plus important dans nos processus de médiation. Nous devons encourager les femmes à participer, elles ont définitivement un rôle à jouer. De toutes les caractéristiques que je connais qui font un bon médiateur, le sexe n’en fait pas partie.»

Partager la Noix de Cola : Partager des expériences mémorables et les leçons apprises

Pour un président qui a exercé la médiation à différents niveaux, sa vie est riche d’événements qui entourent ses efforts de médiation. Il admet qu’en choisir que quelques unes n’est pas facile, mais néanmoins il essaie de le faire en disant : «Mon moment le plus mémorable fut quand les présidents Kagame et Kabila se sont rencontrés, ont parlé franchement et se sont serrés la main, s’accordant pour commencer une coopération dans l’est du Congo, ce qui fut une percée majeure. Sur une note plus légère….travailler avec Nkunda était assez intéressant, vous savez il est psychologue, et il aime venir avec des surprises, alors il faut toujours être sur ses gardes, ainsi, alors qu’il est important de faire qu’il se sente en confiance et ouvert, vous devez également faire attention à ne pas entrer dans son jeu intellectuel, comme je l’appelle.»

Avec tous les défis en jeu, il y a de nombreuses histoires moins positives, et il dit : «Sur une note plus négative, je me rappelle qu’il y avait cette occasion, lors de l’une de mes visites, où Nkunda m’a invité à danser et l’un des ambassadeurs européens m’avait critiqué pour avoir accepté. Ainsi, vous voyez, en tant qu’européen, il était ignorant de l’approche africaine de la résolution des conflits ; cela n’a pas besoin d’être formel, c’est très fluide et dynamique. Oui, j’exerçais une médiation dans une situation très précaire et sérieuse, mais la méthode joyeuse fait partie de notre héritage, et vous faites tout ce qui est légal bien entendu, avec vos moyens, pour briser la glace. Établir la confiance, est très, très important, et si j’en avais encore l’opportunité je le referais de la même manière.»

Le président Obasanjo est suffisamment honnête pour partager une vue plus globale de son rôle dans la médiation, un rôle qui l’implique dans un conflit dont il est partie et qui nécessite une médiation. Tandis que de nombreux médiateurs peuvent ne pas expérimenter cela aux niveaux des États, il est vrai que le rôle de médiateur est un rôle qui vient et qui part sur la base de situations particulières, et comme il le dit, les expériences de médiation peuvent faire de vous une partie plus compréhensive et qui cherche des solutions à un conflit. Il relate son expérience du conflit du Nigeria avec le Cameroun au sujet de la péninsule Bakassi qui fit l’objet d’une médiation du Secrétaire général des Nations unies, monsieur Kofi Annan. Le président Obasanjo explique qu’il s’agissait d’un conflit dont il avait hérité et au moment où il en a hérité il pouvait assurer un processus plus tranquille. Il pense que c’est en partie dû à ses expériences de médiation, disant : «Le point que je souhaite faire est que, mon expérience de médiation a impacté sur mon rôle en tant que partie dans un conflit.»

 

Source: « Celui qui tue une fourmi avec soin peut découvrir ses intestins : documentation de l’expérience des médiateurs ouest-africains », Gorée Institute 2010