Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
Le 10 juillet dernier, l’Institut a organisé une journée de plaidoyer sur le thème «Les femmes dans le processus de réconciliation et la consolidation de la crise en Côte d’Ivoire » à Abidjan, Côte D’ivoire. L’occasion a été donnée aux organisations de la société civile ivoirienne de soumettre leurs recommandations à ce sujet aux autorités présentes.
De nombreuses associations ont répondues à l’appel de l’Institut, à savoir :
- Association des Femmes Juristes de Cote d’Ivoire (AFJCI)
- Agir pour la Démocratie et la Liberté en Côte d’Ivoire (ADLCI) ;
- Centre de Recherche et de Formation sur le Développement Intégré (CERFDI) ;
- West Africa Network for Peace Building Cote d’Ivoire (WANEP-CI);
- Rassemblement des Acteurs Ivoiriens pour les Droits Humains (RAIDH) ;
- Club Union Africaine- Cote d’Ivoire ;
- AFRICAN FREE MOVEMENT GROUP/GROUPE AFRICAIN DES DROITS DE LA LIBRE CIRCULATION (AFMG/GADLC) ;
- Réseau d’Action pour les Armes Légères en Afrique de l’Ouest – Cote d’Ivoire (RASALAO-CI) Fondation SERENTI ;
- Réseau pour la Paix et la Sécurité -Cote d’Ivoire (REPSFECO-CI) ;
- Croix rouge Cote d’Ivoire ;
- Organisation des femmes Actives de Cote d’Ivoire (OFACI) ;
- Social Justice ;
- Transparency Justice ;
- Education pour une Société Durable (ESD- CI) ;
- Plateforme d’autonomisation des organisations de jeunesse CI (PAOJ-CI) ;
- Génération Femme du 3ème Millénaire (GF3M-CI) ;
- Ligue Ivoirienne des Droits de l’Homme (LIDHO) ;
- Coalition de la Société Civile pour la Pax et le Développement Démocratique en Côte d’Ivoire (COSOPCI) ;
- Forum de ma Société Civile en Afrique de l’Ouest – Cote d’Ivoire (FOSCAO-CI) ;
- Women in Law and Development in Africa (WILDAF);
- Plateforme des Femmes pour Gagner (P.F.G.)
- Réseau Ivoirien- CPCC (RI-CPCC)
- Mouvement Ivoirien pour les Droits Humains (MIDH) ;
- Publiez Ce que Vous payez ;
- Union Nationale des Journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI).
Voici le discours du plaidoyer présenté aux autorités :
« Les femmes en Côte d’Ivoire ont depuis toujours contribué au développement de la société ivoirienne et participé activement au processus de réconciliation et de renforcement de la paix.
Malgré ces importantes activités, les femmes dans la recherche de la paix, se trouvent généralement éloignées des structures formelles de prise de décision dans les périodes post-conflit.
Nous constatons que l’expérience des femmes n’est pas prise en compte dans l’élaboration des projets de réconciliation, de reconstruction post-conflit. Que les compétences des femmes ne seront pas mises au service de la réalisation d’une paix durable.
En 2000, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté la résolution 1325 portant sur la femme, la paix et la sécurité qui engagent les Nations-Unies et ses Etats membres à faire participer les femmes aux négociations et aux accords concernant le règlement des conflits et la consolidation de la paix.
La Côte d’Ivoire fait partie des 43 Etats membres de l’ONU à avoir élaboré et mis en œuvre un Plan National de mise en œuvre de la Résolution 1325. Malgré les efforts consentis par les femmes ivoiriennes en vue de participer au retour et à la consolidation de la paix en Côte d’Ivoire, les femmes restent exclues des instances de prise de décision.
Les femmes sont actives et cela est démontré par la production de rapports sur la situation humanitaire et sociale, par des rencontres périodiques organisées avec les décideurs, par des sitings, des marches, par l’organisation d’atelier de formation et de renforcement de capacité sur la justice transitionnelle en vue de participer au processus de réconciliation.
Pourtant, la collaboration de ses structures créées en vue de la réconciliation nationale et la consolidation de la paix, avec les associations de femmes reste extrêmement limitée. En effet, au lendemain de la crise, les autorités ivoiriennes ont décidé de mettre en place des mécanismes de justice transitionnelle qui auraient mandat à faire la lumière sur la crise 2 socio-politique qu’a connue la Côte d’Ivoire et amorcé un processus de réconciliation nationale.
Plusieurs institutions judiciaires ont été créés telles que la Cellule Spéciale d’Enquête, ou non judiciaires, comme la Commission Nationale d’Enquête.
Par ailleurs, le Président de la République a aussi mis en place une Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), par ordonnance N° 2011-167 du 13 Juillet 2011, avec pour missions de faire la lumière sur les évènements et de trouver les moyens du rétablissement de la paix et de la cohésion sociale. Son premier mandat, dont les résultats ont été jugés décevants, a expiré en Septembre 2013. Il a été renouvelé par ordonnance du 03 Février 2014 en vue de terminer sa mission.
Malgré les critiques émises à son encontre, nous estimons que le genre n’a pas suffisamment été intégré, que ce soit dans l’un ou l’autre des mandats de l’institution.
Au sein de la CDVR, les femmes sont largement sous-représentées au sein des organes centraux et des commissions spécialisées, c’est-à-dire aux niveaux les plus décisionnels.
Au sein de l’organe central, aucune femme n’est représentée. Parmi les 07 commissaires centraux, l’on dénombre deux femmes dont l’une est en charge de la sous-commission genre, logée au sein de la commission spécialisée Heuristique, une position qui lui confère un faible poids dans la lutte pour la prise en compte du genre dans le fonctionnement général de la CDVR.
Toutefois, notons la représentation majoritaire des femmes au sein des commissions locales montre sur le terrain une reconnaissance certaine de leur rôle central dans la société et la cohésion sociale soit environ 68%. Il existe donc un décalage manifeste, et représentatif des inégalités de pouvoir entre hommes et femmes, au sein de la CDVR même.
En Côte d’Ivoire, les femmes restent également sous représentées dans les sphères de prise de décision. Cela découle de l’insuffisance de moyens financiers, de leur manque d’expérience politique et de pouvoir mobilisateur pour acquérir une base électorale conséquente.
Toutefois, elles ont pris une part active aux élections présidentielles de 2010. Elles ont constitué la majorité du corps électoral, à plus de 50, 08 %. Cependant, très peu d’entre elles ont réussi à se faire élire : 26 femmes députées à l’Assemblée nationale sur 249, 09 femmes élues maires sur 197. Sur 29 membres femmes au gouvernement, on ne compte que 05 femmes. La toute nouvelle commission électorale indépendante ne compte pour l’instant que 02 femmes sur 15 membres.
La participation des femmes à des postes de prise de décision en 2014:
La participation des femmes à des postes de prise de décision en 2014 Structures ou institutions
|
Nombre Total
|
Nombre de Femmes
|
Pourcentage
|
Gouvernement
|
29
|
5
|
17, 24%
|
Assemblée nationale
|
249
|
26
|
5, 6%
|
CEI (Commission Electorale Indépendante)
|
31 (commission centrale)
|
7
|
22.58%
|
CDVR (Commission Dialogue Vérité Réconcilation)
|
11 commissaires
|
4
|
36.36%
|
Mairies
|
197
|
09
|
4, 56%
|
Conseil constitutionnel
|
07
|
02
|
28,57%
|
Conseil Economique et Social
|
120
|
20
|
16 %
|
Chefs de mission diplomatique
|
47
|
06
|
12 ; 76%
|
Consuls
|
3
|
01
|
33, 33%
|
Préfets de région
|
30
|
00
|
00%
|
Secrétaires généraux de préfectures
|
140
|
17
|
12.14%
|
Sous- préfets
|
422
|
84
|
19.90%
|
La pauvreté et le manque de sécurité économique sont souvent considérés comme quelques-unes des entraves à la participation politique des femmes. En Côte d’Ivoire, les avancées faites par les femmes sur le plan économique n’ont pas conduit à leur meilleur positionnement dans la sphère politique. En effet, les femmes ont joué un rôle central dans la relance de l’économie après la guerre et sont parvenues à accroître leurs revenus, mais pas à un niveau qui leur aurait permis de sortir du cycle de la survie économique et de la satisfaction des besoins primaires, pour parvenir à la sécurité économique.
De ce qui procède, nous formulons des recommandations suivantes :
Ø L’appui des femmes dans le processus de réconciliation nationale et de consolidation de la paix
La formulation du principe d’égalité doit rester générale dans les textes de lois et les accords politiques notamment en ce qui concerne la représentation des femmes au sein des institutions politiques dirigeantes.
La CDVR doit attacher une importance spécifique aux femmes dans le cadre de ses travaux en terme de recherche de la vérité et des formulations des recommandations (réparations, réformes institutionnelles, justice pénale). La commission doit prendre des mesures spéciales pour faciliter la participation des femmes aux dépositions ainsi qu’aux audiences publiques en renforçant la protection, la confidentialité et la confiance.
Nous incitons également tous les acteurs étatiques et non étatiques à développer des programmes de sensibilisation pour que les hommes s’engagent dans la promotion de l’égalité des genres et des droits des femmes et soutenir le ministère de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, dans la mise en oeuvre du Plan National d’Action de la Résolution 1325. Nous encourageons la collecte de l’information et l’appui sur des expériences et pratiques réussies pour accroître l’implication des femmes dans la reconstruction post-conflit.
Ø L’instauration de politique des quotas ou de la parité et leur représentation des femmes dans les processus électoraux
L’Etat doit donc revoir le système de représentation des femmes dans les postes de décisions car les femmes sont dans la confection des listes électorales par les partis politiques. Ainsi, nous préconisons, la mise en oeuvre du quota de 30 % ou de représentation féminine ou du système de la parité dans les institutions politiques, afin d’accroitre de manière significative le nombre de femmes dans les instances de prise de décisions politiques, financiers, fiscaux, commerciaux, industriels y compris dans la gouvernance locale.
Ø L’intégration de l’égalité des sexes dans les processus de Décentralisation
L’état doit envisager la mise en oeuvre d’une politique d’intégration du genre dans la gestion de la chose publique en vue de permettre une plus large représentation des femmes dans le processus de décentralisation dans lequel la Côte d’Ivoire s’est engagé depuis le début des années 2000. Notons que la Côte d’Ivoire ne compte aucune femme préfet de région.
Ø L’autonomisation économique et participation politique
L’Etat doit veiller à l’autonomisation économique de la femme en Côte d’Ivoire en lui facilitant l’accès au crédit. Les femmes doivent avoir accès à l’information sur les opportunités d’accès au crédit, sur les secteurs porteurs de l’économie, sur les politiques de commercialisation.
Conclusion :
Les activités des femmes dans la construction de la paix sont trop souvent exclues des structures formelles de décisions dans les situations post-conflit. Cela signifie que les expériences spécifiques des femmes ne sont pas prises en compte dans l’élaboration des projets de réconciliation et de reconstruction, et que leurs compétences ne sont pas pleinement utilisées dans la recherche d’une paix durable En Côte d’Ivoire, malgré les conséquences de la crise socio-politique pour beaucoup de femmes, il serait faux de voir les femmes seulement comme des victimes , des laissées pour compte et d’ignorer leur rôle important dans la construction de la paix et la résolution des conflits. La situation socio-économique et politique des femmes ivoiriennes peut les placer dans une position où elles seraient incitées à faire pression en faveur de l’établissement de la paix et à essayer de négocier avec d’autres femmes de classe sociale et politique ou groupe ethnique différents.
Il faudrait donc inciter tous les acteurs étatiques et non-étatiques à se diriger dans cette voie en fournissant des actions concrètes afin de permettre de mieux soutenir et intégrer la participation des femmes dans les activités de consolidation de la paix.
Je voudrais vous remercier encore de vous joindre à nous pour mener ce combat