Prévention des conflits par une gestion intégrée et une utilisation durable des ressources naturelles : cas du Sénégal

  1. Introduction

Les ressources naturelles peuvent concourir à la survenance de conflits violents ainsi qu’à leurs prolongations. Selon le rapport du PNUE publié en 2009, « On peut associer les causes de 40 pour cent des guerres civiles qui se sont produites au cours des 60 dernières années aux ressources naturelles ; depuis 1990, au moins 18 conflits violents ont été alimentés par l’exploitation des ressources naturelles ». En Afrique de l’Ouest, la relation entre ressources et conflits a longtemps été le boulevard des guerres civiles. C’est le cas du Libéria, de la Sierra Leone et de la Côte d’Ivoire, le Sénégal étant jusqu’ici épargné. Mais les ressources naturelles jouent aussi un rôle crucial dans les processus de paix. Elles peuvent les retarder comme elles peuvent les consolider.

Le Sénégal est un petit pays producteur d’or avec plus de 14 tonnes d’or en 2021[1].Principalement, les zones aurifères se trouvent dans les régions de Kédougou et de Tambacounda. Mais on constate que ces deux régions, particulièrement celle de Kédougou, présentent des situations marquées par la fragilité des conditions de vie des populations qui contrastent avec la richesse du sous-sol. Ce paradoxe crée le plus souvent un sentiment de colère au sein de la population qui ne profite pas des revenus économiques de ces richesses naturelles.

Une situation qui, parfois, amène à des actes de conflit violent, provoquant des pertes en vies humaines. D’où la nécessité de réexaminer les méthodes de prévention et de résolution des conflits autour des ressources naturelles en prenant en compte les différents acteurs engagés.

  1. LES CONFLITS LIÉS AUX RESSOURCES NATURELLES

Les conflits liés aux ressources naturelles résultent des désaccords et des différends sur l’accès, le contrôle et l’utilisation des ressources naturelles. Certains conflits surviennent souvent du fait que les populations utilisent les ressources forêts, eau, pâturages et terre à des fins multiples, ou entendent les gérer de diverses manières. Les conflits apparaissent également en cas d’incompatibilité des intérêts et des besoins des uns et des autres, ou de négligence des priorités de certains groupes d’utilisateurs dans les politiques, programmes et projets. Ces conflits sont une caractéristique inéluctable de toutes les sociétés. Au cours des dernières années, les conflits liés aux ressources naturelles ont pris de l’ampleur et se sont intensifiés[2]. Si ces conflits ne sont pas réglés, ils risquent de provoquer des réactions violentes, une dégradation de l’environnement et des moyens d’existence, et une interruption des projets. Admettre que le conflit est inhérent à tout système d’utilisation des ressources naturelles constitue une condition indispensable pour une gestion durable, participative et équitable.

  1. Les sources des conflits liés aux ressources naturelles.

Les conflits liés aux ressources naturelles ont toujours existé, en partie à cause des demandes abondantes et des pressions concurrentes s’exerçant sur les ressources naturelles. Les conflits peuvent naître en cas d’exclusion des groupes d’utilisateurs de la gestion des ressources naturelles. Ils impliquent également des contradictions entre les différents systèmes de gestion des ressources naturelles ; d’incompréhensions et d’un manque d’information sur les objectifs des politiques et des programmes ; de contradictions et d’un manque de transparence des lois et politiques ; ainsi qu’une distribution inégale des ressources ; ou d’une mauvaise application des politiques et programmes.

  1. La manifestent des conflits liés aux ressources naturelles 

Les conflits varient par la forme et l’intensité au sein d’une communauté donnée, en fonction du lieu et du temps. Ils prennent forme de plusieurs manières :

  • De la violation des règles et de violence ;
  • Parfois, les conflits restent cachés ou à l’état dormant.
  •  Les populations peuvent laisser nicher leurs ressentiments pour des raisons aussi multiples que la peur, la méfiance, les contraintes financières, l’exclusion de certaines procédures de résolution des conflits ; ou encore pour des raisons stratégiques.
  •  Certaines sociétés encourageant leurs membres à éviter les confrontations publiques.

Mais l’absence de querelles publiques ne saurait être synonyme d’absence de conflits.

On se rappelle encore l’intervention, le 13 février 2017, d’éléments de la brigade des douanes qui s’est terminée par une vive altercation avec des orpailleurs dans la communauté rurale de Khossanto (Kédougou), où un coup de feu a mortellement atteint un chercheur d’or. Le mécontentement des habitants des villages s’est soldé par la destruction du poste des douanes et de la brigade de gendarmerie. Cette situation malheureuse n’est pas un phénomène nouveau, car depuis 2008, de tels agissements sont devenus récurrents et ont été la cause d’énormes dégâts matériels, extrêmement importants et humains. Entre décembre 2008, août 2012, septembre 2014 et février 2017, on a assisté à des bavures qui ont occasionné des manifestations qui ont conduit à la destruction d’édifices publics.

Le secteur extractif au Sénégal connaît aujourd’hui un développement rapide. Les réserves du pays à elles seules constituent un intérêt majeur : l’une des plus grandes réserves de zircon et d’ilménite au monde se trouve à Thiès dans le centre du pays, les nombreuses carrières de calcaire exploitées dans les régions de Dakar et de Thiès et le phosphate (Thiès et Matam). A cela, s’ajoutent d’autres ressources minières importantes inexploitées, à l’instar du gisement de fer de la Falémé dans le Sud-Est du Sénégal à la frontière avec le Mali dont les réserves sont estimées à 750 millions de tonnes. Et depuis peu, du gaz et du pétrole ont été découverts dans les régions centre et nord du plateau continental. L’activité d’orpaillage a doublé de façon gigantesque. Sa dimension exacte n’est pas connue nonobstant les efforts remarquables faits par l’Etat sénégalais pour maitriser ce domaine de l’économie aurifère qui pourrait considérablement contribuer à la lutte contre la pauvreté. Dans le même sillage, l’activité industrielle de l’or a également pris un nouvel angle avec l’exploitation des mines de Sabodala par Teranga Gold Corporation, à travers sa filiale sénégalaise Sabodala Gold Operations (SGO), de Massawa au sud de Sabodala par Randgold et celle de Mako par Toro Gold. Le rapport ITIE révèle également que près de 6,500 tonnes d’or ont été produites en 2014. Cette production vient essentiellement de la région de Kédougou et est assurée par la Compagnie SGO[3]. La production d’or est passée de 12,5 tonnes (402 231 onces) en 2018 à 12,9 tonnes (415 335 onces) en 2019, indique le rapport de conciliation 2019 de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE).

Malgré tout, de nombreuses problématiques locales, nationales et même transfrontalières s’ajoutent à l’activité d’exploitation de l’or dans cette partie Est du pays. Il est question d’enjeux communautaires relatifs aux emplois boiteux, à la déperdition scolaire, aux migrations (ruée vers l’or), au chômage et à ses conséquences, à la préservation des lieux sacrés et cultuels, à la prise en compte des intérêts des populations autochtones et aux revendications des couches défavorisées. Des enjeux territoriaux liés à la menace sur le foncier, à l’expropriation et l’abandon des terres, aux déplacements forcés, le terrorisme et aux réinstallations des communautés autochtones. S’agissant de l’impact environnemental, on note essentiellement la pollution de l’air et de l’eau, les nuisances sonores, la dégradation des sols mortifiant gravement la biodiversité, surtout dans un contexte de changement climatique. Il convient, en effet, de noter que le phosphate crée des phénomènes de dégradation lorsqu’il se retrouve dans les océans, les mers, les lacs et les fleuves par le ruissellement de l’eau et l’érosion des sols. Par conséquent, il détériore la qualité de l’eau et expose les usagers de cette eau à des problèmes sanitaires. C’est le cas notamment de l’or dont son exploitation nécessite l’usage du cyanure qui pollue l’environnement. C’est sans doute pour lutter contre les effets négatifs liés à l’exploitation des ressources naturelles comme le zircon que les habitants de Niafrang (Casamance) ont voulu s’opposer à l’exploitation de ce minerai[4]. A cela s’ajoutent des enjeux de gouvernance et de relations de pouvoir entre compagnies minières, Etat, société civile et communautés, qui ne doivent pas être étouffés, sans perdre de vue la perte des moyens de subsistance des populations avec des aléas d’insécurité alimentaire, sécuritaire et sanitaire.

Tous ces éléments, quand ils ne sont pas pris en charge de manière convenable, attisent la multiplication des conflits. Ces derniers se situent à trois niveaux : Etat et communautés ; Etat et société minière ; société minière et communautés. Or, la cohabitation entre l’exploitation artisanale et industrielle de l’or est de plus en plus complexe et rend difficile la réalisation des espoirs des populations.

  • Méthodes de résolution des conflits liés aux ressources naturelles

La gestion des conflits est un mécanisme non-violent qui passe par le dialogue et la négociation. Pour trouver la méthode de résolution la plus utile, il faut d’abord bien comprendre les enjeux du conflit. On sait qu’il existe deux types de conflit majeur au niveau local : ceux qui relèvent du partage, souvent inéquitable, d’une ressource particulière, et ceux qui résultent de contradictions entre les systèmes de gestion locaux et les systèmes introduits souvent par un acteur économique ou étatique aux populations locales.

Ainsi, chaque société a ses méthodes traditionnelles de résolution des conflits. Cependant, il se peut que ces méthodes ne prennent pas en compte certaines catégories de personnes, comme les femmes ou les minorités, et maintiennent ainsi en place certains déséquilibres dans la répartition des pouvoirs et des ressources.

Dans pareille situation, un médiateur étranger au conflit est souvent nécessaire pour orienter cette forme d’approche. Il peut aider les différentes parties à trouver une solution.

La PROPAC (Plateforme régionale des organisations paysannes d’Afrique Centrale), regroupant des organisations paysannes de 11 pays, a formé ses élus aux méthodes de médiation. Au cours de la formation, les participants se sont prêtés à des mises en situation et ont appris à accompagner les parties antagonistes tout en restant neutres, afin qu’elles trouvent par elles-mêmes les solutions[5].

En se basant sur l’écoute, l’identification des besoins, la négociation est aussi une solution pour éviter ou mettre fin aux conflits issues de l’injustice sociale et de la pauvreté.

La résolution des conflits liés aux ressources naturelles réside :

  • Dans une prise de conscience des entreprises, qui doivent inclure les populations locales et leurs besoins dans les stratégies d’implantation, et exercer une exploitation durable des ressources, afin de ne pas paupériser[6] les populations voire un territoire qui ne leur appartient pas ;
  • Une gestion et un partage équitable des ressources naturelles ;
  • La création d’espaces de concertation et de méthodes de négociation efficace afin de diminuer la pauvreté et de mettre en place une exploitation responsable et optimisée des ressources ;
  •  Les dirigeants, les entreprises et la société civile doivent s’impliquer dans la mise en place d’une gestion durable des richesses naturelles et de la prise en compte des dispositions sur la prévention des conflits[7] ;
  • La participation des populations à la résolution de conflits est aussi une méthode efficace : par exemple les paysans du fleuve Sénégal ont été impliqués dans le programme de résolution des tensions liées à une exploitation dispersée de l’eau, mené par le CEMAGREF (Centre national de la machinerie agricole, du génie rural, des eaux et forêts).
  • Favoriser le dialogue et la réflexion avec les parties prenantes impliquées.
  • Conclusion et recommandations

Le secteur des industries extractives se veut un vecteur de transformation économique dans la réalisation et la mise en œuvre du nouveau modèle de développement économique et social. Cette approche doit répondre au besoin de bien être des communautés des zones d’exploitation tant en matière de respect de leurs droits humains fondamentaux qu’au niveau de la protection de l’environnement. Il est fondamental pour les autorités de renforcer le cercle de dialogue et de négociation, de repenser les méthodes de vulgariser davantage les directives relatives au secteur extractif[8].

Pour la société civile, elle doit jouer un rôle capital, surtout dans les initiatives de lobbying, de plaidoyer, de dialogue inclusif et de concertation avec les populations afin de prévenir ou d’atténuer les conflits et de favoriser une cohabitation pacifique.

Quant à l’ITIE, ses rapports publiés chaque année pourraient considérablement aider la société civile, car ils fournissent des éléments qualificatifs importants pour un plaidoyer.

En ce qui concerne les compagnies d’exploitation des ressources naturelles, elles devraient plus s’impliquer à mener leurs activités dans le respect des lois nationales et internationales tout en développant une démarche efficiente fondée sur le renforcement des capacités en prévention et résolution de conflits au sein des communautés.

De telles initiatives aideraient à empêcher des tensions semblables dans d’autres régions minières du pays, mais aussi à prévenir les conflits dans d’autres domaines, celui des hydrocarbures particulièrement, où des querelles violentes entre Etat, pêcheurs et pétroliers pourraient se produire. Par conséquent, retenons que l’exploitation des ressources naturelles n’est pas exclusivement source de revenus financiers, mais  peut également être source de conflits souvent occultés.


[1] https://clients3.weblink.com.au/pdf/RSG/02504091.pdf 

https://ml-eu.globenewswire.com/Resource/Download/e34a4f0c-b439-4648-9f8f-858b88a70e38

[2]FAO 2001, conflits et gestion des ressources naturelles

[3] L’exploitation d’or au Sénégal : enjeux pour un développement durable

[5]  De nouvelles dynamiques pour pratiquer la paix : étude transversale des fiches d’expérience d’Irénées

[4] Sénégal : L’exploitation des ressources naturelles sénégalaises : une possible menace à l’environnement et à la santé publique.

[6] La médiation en Afrique, un outil au service de la lutte contre la pauvreté.

[7] Guide de sensibilisation de la loi de développement minier de la CEDEAO (EMMMDA).

[8] Nouveau code minier ; pétrolier ; les stratégies de mise en œuvre ; le système de répartition des revenus tirés du secteur extractif ; les rapports ITIE.

Auteur

Houleymatou Baldé, Chargée de projet – Gouvernance des Ressources Minérales Gorée Institute