Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
La rébellion Touareg du Mali qui a éclaté en 1963 s’est transformée en nouvelle dynamique de conflit impliquant plusieurs acteurs avec différentes idéologies et motivations. Ces auteurs sont : le Mouvement National de Libération de l’Anzawad (MNLA), Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), Ansar Dine et le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et des milices arabes. Même s’il y a eu d’intenses combats, entre ces groupes et les forces gouvernementales, il y a également eu des luttes internes entre les groupes à cause des différences idéologiques.
En janvier 2012, le régime d’Amadou Toumani Touré (ATT) a dû faire face dans le nord à un énorme regain des tensions animées par le MNLA, ce qui a par la suite mené à la rapide défaite des forces armées maliennes. La lamentable défaite des forces armées maliennes et l’effondrement du régime se sont produits à une vitesse que nul n’aurait imaginer. Le renversement du régime d’ATT le 22 mars 2012, par un coup d’Etat diligenté par le Capitaine Amadou Haya Sanogo, six semaines avant la fin du mandat Présidentiel d’ATT, est une des conséquences dramatiques de cette situation. Le Capitaine Sanogo s’est autoproclamé Président du nouveau Comité National pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’Etat (CNRDRE). Il a justifié le coup d’Etat par le fait que d’après lui, le Président Amadou Toumani Touré a mal géré le conflit en ne fournissant pas l’équipement adéquat aux forces de défense et de sécurité afin de leur permettre de remplir leur mission de défense de l’intégrité territoriale du pays.
Le coup d’Etat a suscité d’énormes condamnations de la part des acteurs régionaux et internationaux qui ont posé le rétablissement d’un gouvernement civil comme condition. En particulier, la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a fait pression sur Sanogo afin qu’il cède le pouvoir à un gouvernement intérimaire dirigé par Dioncounda Traoré. Le MNLA a rapidement programmé l’indépendance de de l’Anzawad le 05 avril 2012, après avoir déplacé les forces gouvernementales de Kidal, Gao et Tombouctou. Par la suite, le MNLA a également été battu et évincé par un autre groupe rival nommé Ansar Dine, fortement lié à Al Qaïda au Maghreb Islamique et avec une idéologie politique différente. Alors que le MNLA aspire à l’autodétermination, Ansar Dine de son côté est déterminé à instaurer un système de gouvernance islamique avec des lois basées sur la charia comme principal mécanisme constitutionnel au Mali. Les participants à cette étude ont considéré cela comme une requête qui jamais ne pourrait être proposée à une quelconque table de négociation.
Les questions à étudier sont : quelles sont les idées reçues sur l’effondrement rapide du régime d’ATT à la fin de son mandat ? Qu’est-ce qui a mené l’éclatement soudain d’une crise longtemps gérée, jusqu’à quelques jours du départ légitime d’ATT ? Qui blâmer pour l’éclatement si soudain de la crise ? Quelles options concrètes permettant d’éviter cette situation plutôt que de réagir à un moment déterminant de l’histoire politique du pays auraient pu être adoptées plus tôt par les divers intervenants aux niveaux national, régional et international ?
Même si cette étude ne fournit pas de réponses directes à ces questions, elle fournit une analyse approfondie qui aborde les rôles et les responsabilités des principaux acteurs engagés dans la crise politique malienne ; elle étudie les déficiences et les problèmes avec une attention particulière portée sur des solutions normatives de consolidation de la paix pour faire face à la situation actuelle et à ses conséquences ; elle fournit non seulement une actualisation de la crise politique malienne, mais elle fait aussi une brève rétrospection sur certaines des initiatives de gestion de la rébellion séparatiste entreprises par tous les régimes depuis l’indépendance ; elle accorde une attention primordiale aux problèmes actuels et apporte une perspective normative pour faire face à la situation à court, moyen et long terme.
La situation complexe et les tensions accrues sur une période très courte ont été précédées de conflits opposant des opinions intellectuelles divergentes et d’analyses stratégiques concernant les causes et les conséquences de la guerre civile. Cela a été considéré par de nombreuses personnes au Mali comme le résultat de problèmes sociaux, politiques et économiques longtemps négligés, tandis que d’autres le perçoivent différemment. D’un autre côté, de nombreuses personnes ont condamné l’intervention militaire internationale stratégiquement mauvaise en Libye pour renverser Kadhafi, ce qui constitue un poids pour la crise en cours dans le pays. Les développements qui s’en sont suivis se sont traduits par la mort de centaines de personnes, des milliers d’exilés au niveau national, et des milliers de personnes cherchant refuge dans les pays voisins.
Les experts ne sont pas étonnés par le fait que le Mali a commencé à subir un effet négatif de contagion de la crise libyenne dans les six mois qui ont suivi la chute de Mouammar Kadhafi. Incontestablement, il existe de solides preuves d’un taux démesuré de Maliens du nord qui ont servi sous les ordres du régime de Kadhafi et qui sont désormais démobilisés et sans emploi. Ils ont décidé de rentrer chez eux après des quêtes désespérées de possibilité d’auto-entrepreneuriat. La présence de militaires criminels de retour avec un afflux si massif illustre bien le degré et le changement de tendance prévu de la guerre civile malienne.
Les menaces contre la paix et la sécurité internationales engendrées par la crise ont ainsi confronté les institutions sous-régionales et la communauté internationale à un dilemme moral de prendre des initiatives militaires assez fermes pour résoudre le problème. Cette situation est la preuve d’un autre malencontreux revers pour la transformation démocratique, ainsi que pour les problèmes de paix et de sécurité dans une sous-région déjà tristement célèbre pour ses années de guerre civile et de violation des droits de l’homme.
De nombreuses personnes interrogées parmi toutes les couches sociales dans cette étude pointent du doigt et blâment les failles survenues tout au long de la trajectoire politique qui a suivi l’indépendance. Selon eux, elles ont continué à compromettre la solidité des processus de paix au Mali. Il ressort de l’étude que les réactions des gouvernements face au conflit du nord n’ont pas été judicieuses, de la première République de Modibo Keïta (le père de l’indépendance du Mali), au régime du quatrième Président ATT. Cependant, les mises en application des accords ont été assez difficiles en partie à cause du fait que la motivation de la nouvelle dimension de la rébellion est économique plutôt que politique. Durant la dernière partie du mandat d’ATT, son gouvernement a créé un Centre de développement des infrastructures avec une attention particulière sur le nord. Toutefois, il n’a pas été productif car les indicateurs montraient que des tensions se profilaient et la guerre allait éclater.
L’évolution historique de la guerre civile ayant été étudiée, il paraît également que les précédents gouvernements et en particulier les régimes de Moussa Traoré (seconde République) ont adopté une approche militaire radicale pour faire face à la situation, plutôt que chercher à répondre à certaines des causes structurelles, à savoir : la marginalisation, la distribution équitable de ressources et la décentralisation, ce qui a contribué, à bien des égards, à la prolongation de la guerre civile. Les précédents gouvernements n’ont pas réussi à adhérer au principe selon lequel l’exclusion et l’inégalité soutenue par l’idéologie identitaire et religieuse comme cause de conflit liée à l’effondrement du contrat social entre le gouvernement et le peuple ont tendance à réveiller les fantômes de la destruction. Ceci prouve que ceux qui s’endorment avec de la colère se réveillent toujours avec une énergie renouvelée.
Bien que non résolus, les combats ont été minimes à différentes périodes au cours de la trajectoire historique du Mali. Par exemple, pendant la première République, l’autorité centrale de Bamako a entrepris des initiatives d’intégration de certains habitants du nord dans le système administratif. Même si certains Touaregs ont bénéficié du programme, le déséquilibre lié aux structures de développement associé à la pauvreté endémique continue d’éveiller la colère et la frustration parmi la population Touareg. L’accord de paix de 1996 a conduit à la destruction symbolique de 3000 armes et munitions à Tombouctou et l’Accord d’Alger de 2006 a été conclu par le Président Alpha Oumar Konaré grâce à l’immense soutien d’autres acteurs sous-régionaux. Cela a été perçu par beaucoup comme la fin de la guerre civile sans mise en place de structures de prise de décision pour faire face aux facteurs structurels responsables de la quête d’autodétermination des Touaregs. Les conséquences d’un tel silence intermittent ont fait perdurer le conflit étant donné que plusieurs engagements politiques non tenus ont été ignorés par le gouvernement et les factions rebelles ; les éléments criminels se servaient de l’absence de volonté politique ferme de la part du régime du Président Amadou Toumani Touré comme d’une opportunité d’intensification rapide des mouvements séparatistes ravivés, ce qui a par conséquent conduit à l’effondrement de son régime.
Source: « Problèmes de paix et de sécurité dans les zones instables du bassin du fleuve Mano et du Mali », Gorée Institute