Programme monitoring électoral 2019 : Election et Genre

Editorial

Les élections sont des moments majeurs dans la vie d’une démocratie. Moments intenses d’introspection, d’échange, d’émulation, mais également de débats et de confrontation idéologique. Par ailleurs, il s’agit d’une réelle opportunité d’évaluation et d’appréciation des niveaux et types de participation politique des parties prenantes au processus politique. Le Sénégal a entamé l’ouverture au pluralisme politique bien avant son amorce en Afrique à la suite du discours historique de la Baule. Ainsi, l’élection présidentielle de 2019 reste un test d’approfondissement de sa démocratie, là où plusieurs pays africains en sont à la phase de consolidation. Cette donne, loin de constituer un satisfécit, constitue des défis énormes à relever dans plusieurs domaines. L’adoption de la loi sur la parité, mais également la ratification de plusieurs documents de promotion de la participation politique des femmes sont des opportunités importantes pour une implication qualitative des femmes dans les processus politiques, notamment au Sénégal. Egalement, il convient de souligner que l’élection est un moment d’actualisation ou de transmission de la légitimité populaire par un processus séquencé en plusieurs étapes, de manière encadrée. Ainsi donc, le principe de participation prend tout son sens et cette dernière doit être inclusive.

Pour le Gorée Institute : Centre pour la démocratie, le développement et la culture en Afrique, la prise en charge des besoins spécifiques des femmes est primordiale dans le travail de construction de démocraties viables en Afrique. Ainsi, dans la poursuite de sa mission et de ses objectifs stratégiques, l’Institut considère les femmes comme des partenaires clés, notamment en ce qui concerne la prévention des conflits et la consolidation de la paix à l’échelle continentale. C’est dans cet esprit d’ailleurs que son projet Femmes, Paix et Sécurité en Afrique de l’Ouest : « African Women in Action /Femmes Africaines en Action (AWA) a été mis en place. Et pour mieux cerner les obstacles résultant de la discrimination basée sur le genre, surtout en période électorale, l’Institut s’est doté de plusieurs outils lui permettant de faire le monitoring de tout le processus électoral en général et d’en mesurer, en particulier, la prise en compte du genre dans le processus, ce qui a permis de mettre en œuvre un Programme d’accompagnement électoral lors de l’élection présidentielle en 2019 au Sénégal.

La dimension Genre dans le monitoring électoral

Dans le cadre de l’élection présidentielle 2019 au Sénégal, le Gorée Institute, avec l’appui financier de OSIWA, a mis en place un programme de monitoring, d’observation et de documentation du processus électoral. A cet effet, son Unité d’Assistance Electorale (UAE) a mis en place quatre (4) types de monitorings (Médias, Réseaux sociaux, Violence et Parrainage) en formant puis déployant plus de 100 moniteurs sur l’étendue du territoire national. Les différentes études menées sur le genre des acteurs politiques, spécifiquement celui féminin, sont une indication de l’intégration de la dimension genre dans le monitoring électoral.

Genre et parrainage

Le parrainage citoyen est une nouvelle disposition qui a impacté considérablement le dispositif juridique électoral au Sénégal. Le monitoring est l’outil qui a donné au Gorée Institute la possibilité de pouvoir mesurer l’implication des jeunes et des femmes dans ce processus, notamment son impact sur les comportements des électeurs et la perception de ces électeurs sur cette loi, avec le déploiement de 100 moniteurs sur l’ensemble du territoire national. Ce qui a ainsi permis de constater que 79% des observations montrent que les jeunes sont impliqués dans le processus de parrainage alors que cette proportion est de 82% pour l’implication des femmes. Une forte implication des jeunes et des femmes dans le processus du parrainage notée aussi bien au niveau de la capitale que dans les régions. L’activité de monitoring questionne pertinemment l’implication des femmes sur le terrain. Etant donné que le parrainage nécessite une mobilisation sur le terrain pour la sensibilisation, le recueil de signatures, le porte à porte, les tendances des données recueillies dans le cadre de ce monitoring sur le parrainage sont compréhensibles. Aussi, il importe de préciser que l’élimination des candidates féminines à la candidature de la présidence de la République ne peut nullement être perçue comme un fait de la loi en elle-même, mais aux dispositions techniques (logiciel de sélection) utilisées lors du tri.

Genre et réseaux sociaux

Les réseaux sociaux peuvent être perçus comme des « médias alternatifs » pouvant constituer des opportunités d’expression sans processus de « validation » en amont à travers des processus de contrôle qualité, de censure ou d’auto régulation. Sous ce rapport, il est évident que la participation et les différents types de contribution qui s’y feront dépendront particulièrement des prédispositions des contributeurs à s’y investir, de leurs capacités à y porter des débats de qualité et des motivations à engager une grande part de l’opinion et des « suiveurs » dans les combats qui sont portés à travers ces contributions.

L’Institut a mobilisé dix (10) moniteurs des réseaux sociaux (qui sont des blogueurs) formés en amont sur certaines techniques de recueil de données. L’objectif de ce monitoring étant de mesurer l’impact des réseaux sociaux sur le processus électoral, une large part est consacrée à l’étude de la place de la femme dans ces réseaux sociaux.

Ainsi, que ce soit les rapports partiaux ou le rapport final du monitoring des réseaux sociaux, l’analyse qui en est faite révèle le même résultat : la marginalisation des femmes. Autrement dit, la faible présence des femmes sur l’échiquier politique au Sénégal. L’étude sur l’utilisation des réseaux sociaux en période électorale indique que le rôle de la femme semble pour l’essentiel confiné à l’animation politique et moins au leadership politique, en dépit de l’existence de la loi sur la parité. Elle décèle une faible représentation du genre féminin aussi bien sur Facebook que sur Twitter. Sur ces 2 réseaux sociaux qui sont les plus usités en période de campagne, le genre masculin occupent 95% des publications. Ce qui a permis d’affirmer bien avant même la publication de la liste définitive des candidats que les femmes candidates à la présidentielle allaient être rares. Ce qui a été finalement confirmé. Le monitoring des réseaux sociaux confirme ainsi la réalité selon laquelle le genre masculin domine l’actualité politique en rapport avec l’élection présidentielle de 2019. Car le genre féminin n’occupe que 5% des publications analysées. Quant aux publications où interviennent plusieurs personnalités, elles occupent 16% des débats politiques sur les réseaux sociaux (illustration graphique à l’appui). Par ailleurs, si la présence du genre féminin est relativement basse sur Facebook, elle est quasiment nulle sur Twitter.

Genre et violence électorale

Les violences électorales durant tout le processus et le climat électoral qui y a prévalu ont pu être évalués grâce au monitoring de la violence électorale qui a été déroulé par le Gorée Institute sur une période de six (6) mois. En effet, il s’agit fondamentalement de prévenir, de circonscrire ou de résoudre des conflits électoraux, avec le déploiement de moniteurs de la violence sur tout le territoire national.

Par rapport au genre, l’Institut s’est intéressé aussi bien aux auteurs qu’aux victimes des violences électorales. Et les études menées en ce sens ont montré que par rapport au sexe des victimes, la majorité (75%) des actes de violences a touché aussi bien les hommes que les femmes.

En substance, il convient de retenir qu’aucun acte de violence basé sur le genre n’a été perpétré. Toutefois, si l’on élargit le spectre de la définition de la violence électorale, l’on peut évoquer une forme de violence symbolique qui s’est exercée sur les femmes en général du fait des imperfections de la loi sur le parrainage qui, à terme, a exclu toutes les femmes candidates à la candidature, privant ainsi aux débats, de pans entiers de contenus qu’auraient pu porter les femmes candidates.

Genre et médias

Les médias ont toujours occupé, dans le temps, dans l’espace et à travers les systèmes politiques (autoritaires, totalitaires), des places prépondérantes. Cette prépondérance des médias est allée en se renforçant notamment avec l’avènement de la démocratie qui postule la parole donnée au peuple, l’instauration de débats pour aider les citoyens à un choix éclairé. Par ailleurs, la bonne gouvernance étant consubstantielle à la démocratie, l’accès à l’information, principe central de bonne gouvernance, ne saurait être opérationnel sans des médias professionnels, libres et respectueux des principes d’éthique et de déontologie.

En partenariat avec le Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI), trente (30) étudiants ont été mobilisés dans le cadre du monitoring des médias pour permettre à l’Institut d’apprécier la manière dont les médias couvrent l’information en période électorale et surtout la place qu’ils accordent à la femme dans leurs grilles de programmes. La prise en compte du genre dans le traitement de l’information reste une préoccupation majeure pour l’Institut dans son évaluation de la qualité de la couverture médiatique de la campagne électorale dans les différents supports médiatiques que sont la télévision, la radio, la presse écrite et la presse en ligne. Les études menées à cet effet ont révélé une inégale répartition en défaveur des femmes. En effet, elles sont largement sous-représentées dans les médias dans une proportion de moins de 10% par rapport aux hommes. Et même dans le secteur de l’audiovisuel où elles semblent être plus présentes, elles peinent à atteindre les 15%.

En conclusion, il convient de dire que :

  • La problématique de la participation politique des femmes est une question de fond nécessitant des réponses structurelles du fait des résistances multiformes quant à la réalisation d’une participation qualitative des femmes dans les processus politiques.
  • L’accès à l’information concernant les données sexo spécifiques, notamment sur le fichier électoral sénégalais, doit être promu pour faciliter certains choix de politiques publiques, l’élaboration de programme contribuant à améliorer la participation politique des femmes.

L’occupation des médias par les femmes ne doit pas être une fin en soi. Ce n’est pas tant l’occupation que la qualité de cette occupation qui semble importante. Pour l’atteinte de cet objectif d’une occupation de qualité des médias par les femmes, il faut en amont une bonne formation à adresser, au-delà des femmes, à toutes les parties prenantes aux processus politiques pour en faire des militants et des promoteurs des femmes pour une participation optimale aux processus de paix, de sécurité, de développement et de démocratie en Afrique.