Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
La rampe de la stabilité démocratique
Primo, l’engagement citoyen des jeunes constitue un catalyseur de la stabilité démocratique et de la préservation de la paix en Afrique de l’Ouest. Les actions des jeunes en Afrique de l’Ouest sont déterminées par les contextes politiques, sociaux, économiques et institutionnels dans lesquels ils évoluent. En effet, la manière dont ils s’investissent dans la stabilité démocratique et la préservation de la paix sont tributaires de leur histoire nationale, de la situation socio-politique qui prévaut dans leur pays, du degré de liberté politique et démocratique, mais également de la structuration du champ politique, du degré d’efficacité des réponses institutionnelles, de l’état des forces sociales, etc.
Il se révèle ainsi nécessaire la mise en œuvre d’actions pour accroitre le taux de participation lors des élections chez les jeunes qui sont généralement brocardés comme se « plaignant beaucoup mais votant très peu ». Les mouvements d’affirmation citoyenne sont comme des caisses de résonance des jeunes, comme des structures de « contre-pouvoir comme des opposants de principe, des opposants de conscience visant la conquête et la sauvegarde d’acquis démocratiques ».
Les jeunes s’engagent dans des actions visant à prévenir l’éclatement de la violence en développant des initiatives pour instaurer une culture de la paix à travers des méthodes telles que les débats, les dialogues pour la paix, les dialogues religieux, l’éducation à la citoyenneté, le théâtre pédagogique et des sketchs à la radio ou à la télévision, des évènements sportifs, des festivals de musique, des campagnes de sensibilisation, des campagnes sur les médias sociaux, etc. Les jeunes cherchent ainsi, à travers ces formes de participation, à être des vecteurs de la paix, des catalyseurs du dialogue politique et des soldats de la paix. Les mouvements citoyens, souvent grâce à l’appui d’organisations vouées à la promotion de la paix, cherchent ainsi à jouer se mettre au service de la paix et à développer des initiatives de mobilisation populaire.
Au détour de ces considérations, se trouve l’impérieuse nécessité de battre en brèche des stéréotypes au sujet de la jeunesse en Afrique de l’Ouest. Car, n’y-a-t-il pas une certaine contradiction dans le fait de conférer aux jeunes le rôle de « bâtisseurs de la paix » et « d’acteurs de la stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest » surtout si l’on sait que les discours médiatiques, les représentations populaires et les clichés sur les jeunes tendent à les associer systématiquement à la contestation, à la violence et à la terreur ? Il est tout aussi important de mettre en exergue les multiples rôles de la jeunesse comme un groupe social dont l’énergie, la créativité, l’enthousiasme, l’esprit d’initiative, les capacités de débrouille et l’inventivité peuvent être de précieux atouts pour la stabilité démocratique et la préservation de la paix, mais également dans le combat pour le développement.
Que ce soit au Sénégal, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger, etc. les mouvements citoyens se positionnent souvent comme modes de dénonciation et d’énonciation politiques chez les jeunes en Afrique de l’Ouest. En effet, l’on assiste à l’émergence de mouvements devenus des forces incontournables dans les épisodes de mobilisation socio-politique, à l’occasion de contestations politico-électorales, de manifestations de rue pour dénoncer des dérives politiques et pour réclamer un respect des règles du jeu démocratique, une réponse aux problèmes sociaux ou pour revendiquer des espaces socio-politiques apaises qui passe notamment par une farouche lutte contre les modifications constitutionnelles à des fins partisanes. Dans cette même veine, le vote féminin se révèle en Afrique de l’Ouest très puissant, mais il est très mal utilisé.
Secundo, l’action programmatique des organisations de la société civile et des partenaires internationaux constitue un apport substantiel à celle des Etats. En effet, face à la défaillance des Etats dans la plupart de ses secteurs d’intervention, les organisations de la société civile et les partenaires contribuent à combler les écueils dans une perspective de co-production des politiques publiques.
Tertio, la relative maturité démocratique de certains Etats, l’ancrage des institutions de la
République et le niveau de conscience et d’engagement citoyen des populations produisent globalement un effet dissuasif à toute volonté politique d’aller à l’encontre des règles du jeu démocratique. Au Niger, la création d’une Haute autorité a la consolidation de la paix pour suivre les accords de paix, la prise en compte des minorités et leur insertion, est emblématique.
L’institution a entre autres pour missions de chercher les disparités entre les régions et proposer aux décideurs des pistes de mesures correctives pour endiguer l’exclusion sociale et politique.
Les dividendes d’une stabilité démocratique
Le dividende global d’une stabilité démocratique est celui de la construction d’une démocratie moderne et vertueuse, fondée sur des institutions légitimes et efficaces, mobilisatrice des initiatives diverses, tendues vers l’édification d’une nation prospère et apaisée, qui croit en son avenir. Il peut s’articuler essentiellement autour des deux axes identifies par Boutros Boutros-Ghali dans l’agenda : le vivre à l’abri de la peur (paix et sécurité) et le vivre à l’abri du besoin (perspective du développement).
De façon plus spécifique, il s’agit pour l’Afrique de l’Ouest notamment le Sénégal, le Mali, le Niger et le Burkina Faso de relever le défi lie au financement et à la rationalisation des partis politiques, à l’exigence de loyauté des partis politiques et à la maitrise du phénomène inquiétant du nomadisme politique. S’y ajoute la dépolitisation de l’exercice de la liberté syndicale par les agents de l’administration publique est une garantie de neutralité du fonctionnement de l’Administration publique.
Mais cela suppose que les organes de régulation des médias doivent pouvoir veiller au respect strict de l’accès équitable aux médias publics des citoyens, des partis politiques, des syndicats et des organisations de la société civile dans les conditions fixées par les lois et règlements. De même, le traitement de l’information doit tenir compte des exigences de pluralisme politique et non des exigences électorales, l’encadrement des médias électroniques et la suppression de la tutelle sur les organes de régulation des médias publics. Toute somme favorable à la création d’un espace public au sens habermarsien du terme qui est un espace de confrontation ou ne prévalent que la force de l’argumentation et la bonne parole.
S’y ajoute les mesures incitatives à la stabilisation de la vie politique que sont la dépolitisation de l’Administration électorale, la nécessite de mettre un terme à la double proclamation des résultats des élections et le traitement du contentieux par le juge électoral, le développement d’une culture d’une Armée neutre et républicaine. Pour ce dernier point, il est nécessaire de relever trois points essentiels : d’abord la grande réforme concerne la place, le rôle, le statut et la formation de la force militaire, ensuite le respect strict des principes de démocratie et de la bonne gouvernance et, enfin, revoir le mode de recrutement au sein de l’armée. Pour ce qui est de la dépolitisation de l’armée, trois variables sont à prendre en compte : la première variable fait allusion à la proportion de militaires qui participent au Gouvernement ; la seconde variable est relative à l’arrivée des « militaires politiciens » au sommet de l’Etat ; et la troisième variable concerne les postes occupés par les « militaires politiciens ». En ce qui concerne le respect du principe de l’alternance, l’on peut aussi dégager trois points saillants : la limitation des mandats présidentiels (un moyen de compenser un environnement électoral défavorable a l’alternance démocratique), la reconnaissance de la légitimité électorale ou le fair-play électoral doivent être une priorité des gouvernants dans le but de faciliter la rotation démocratique des élites au pouvoir (Sénégal en 2000 et 2012 ; au Mali en 2013 et au Burkina Faso en 2000) et, enfin le sort réservé aux anciens Présidents de la République. Ce qui conduit à réfléchir, de manière plus élargie, sur « la figure du Chef en Afrique », qui selon l’historien sénégalais Mamadou Diouf « a été créée par le blanc ».
La démocratie et l’Etat de droit en Afrique de l’Ouest comportent également des défis internationaux qui, une fois relevés, seront d’importants dividendes. D’abord, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance comporte de sérieuses limites qui affectent son application effective sur le continent. Par exemple, en cas de rupture a l’ordre constitutionnel, ses sanctions contraignantes se limitent aux seuls individus, auteurs de ces changements anticonstitutionnels comme si son objectif se consacrait exclusivement à la lutte contre les coups d’Etat sans possibilité de sanctions à l’encontre de gouvernants plus ou moins légitimes qui empêchent la démocratie de se renforcer.
En outre, il est par ailleurs important de déplorer qu’aucune disposition internationale ou sous régionale ne s’oppose à la levée ou au contournement du principe de la limitation des mandats présidentiels en Afrique. Elle ne l’impose non plus sur les Etats qui n’ont pas encore inscrit cette disposition dans le corpus constitutionnel. Les normes internationales se contentent simplement d’imposer la transparence dans la gestion des affaires publiques, la bonne gouvernance, etc. Aucune disposition internationale ne fait spécifiquement référence aux moyens de contrôle des manipulations qui sont faites à la limitation des mandats présidentiels. Elle ne permet non plus de sanctionner les abus lies à la clause limitative des mandats présidentiels. Les seules dispositions pour lesquelles des sanctions sont clairement définies, concernent notamment les prises de pouvoir par des moyens anticonstitutionnels.
Il s’agit aussi de la création d’un protocole a la tenue d’élections libres qui aura pour mission le contrôle international des élections par la limitation ou l’élimination de pratiques frauduleuses.
Enfin, l’inscription du principe de l’alternance démocratique dans l’agenda des partenaires internationaux, car les conditionnalités de démocratisation et de bonne gouvernance ont atteint leurs limites au service de la circulation des élites au sommet des Etats. Une coalition internationale véritable et sincère contre le refus du principe de l’alternance favoriserait la circulation des dirigeants à la magistrature suprême et consoliderait la démocratie dans les régimes politiques africains.
La mitigation des points névralgiques ci-dessus présentes aboutirait à l’instauration d’une démocratie et d’une bonne gouvernance durable sensible à tous les segments de la société, somme toute nécessaire au développement de politiques publiques performantes et, par conséquent, au développement.
Source: Rapport de synthèse de la Rencontre régionale du Gorée Institute sur la Stabilité démocratique comme solution à la consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest (Décembre 2020)