Centre pour la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique
De quoi cela retourne ? De la constitution au Sénégal d’une sphère publique plébéienne, notamment sensible aux jeunes et aux femmes. Mais, d’emblée, pour éviter tout flou conceptuel, à propos de quoi, John Locke affirme que
« la plus grande part de controverses qui embarrassent l’humanité dépend de l’usage douteux et incertain des mots et du caractère indéterminé des idées qu’ils désignent », l’espace public « évoque [ici ] non seulement le lieu du débat politique, de la confrontation des opinions privées que la publicité s’efforce de rendre publiques, mais aussi une pratique démocratique, une forme de communication, de circulation des divers points de vue». Il est ainsi, dans une démocratie, le lieu de « fabrication » de l’opinion publique qui « diffère de l’esprit d’obéissance qui doit régner dans un Etat despotique, et des opinions populaires qui président aux délibérations républicaines […]. C’est l’arme qu’un peuple éclairé oppose en masse aux opérations précipitées d’un ministre ambitieux ou d’une administration égarée ».
Dans une perspective habermassien, l’espace public « relève de cette ‘’société civile’’ qui doit de contrebalancer le pouvoir de ceux qui contrôlent l’Etat ». Cependant, quelques critiques sont adressées à Habermas, dont celle émise par Oskar Negt au travers de « l’espace public oppositionnel ». L’auteur souligne la polysémie de l’expression « espace public ». Pour lui, « D’un côté, l’espace public désigne certaines institutions, dispositions, activités (par
exemple, la force publique, la presse, l’opinion publique, le public, les relations publiques, des rues et des places), alors que, de l’autre, l’espace public se présente comme un champ d’expérience de la société, et qui comprend tout ce qui est important pour ses membres, que cette importance soit réelle ou supposée. »
L’espace public est le théâtre d’expression de la citoyenneté. Autrement dit, l’espace public est un espace civique entendu comme celui qui « fait référence aux structures, processus et instruments juridiques, et à l’absence de restrictions, permettant aux citoyens de s’associer, de s’organiser et d’agir au sujet de problèmes qui les concernent, en dehors de la sphère privée, étatique ou économique. L’espace civique est essentiel pour que la société civile puisse subsister et se développer. L’espace civique constitue une condition indispensable pour que les membres de la société civile puissent défendre leurs intérêts, affirmer leurs valeurs et leurs identités, revendiquer leurs droits, demander aux détenteurs de pouvoir de rendre des comptes, améliorer leurs conditions de vie, apporter des changements positifs à la société et coopérer avec d’autres acteurs de façon pacifique. Il est notamment possible de participer à la société civile seul, en tant que militant ou journaliste indépendant, ou en s’associant à d’autres personnes, faisant partie d’organisations locales, d’ONG, de syndicats, d’associations religieuses, de mouvements sociaux, d’initiatives populaires et d’autres groupes. »
Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, abonne dans la même direction : « La participation de la société civile est la pierre angulaire de toute démocratie et de toute société saine. Une société civile libre de s’exprimer favorise un débat fructueux, une liberté de pensée et d’opinion et un engagement public dans les politiques. » L’espace
civique est l’environnement qui permet à la société civile de jouer un rôle dans la vie politique, économique et sociale de nos sociétés. Plus particulièrement, l’espace civique permet aux individus et aux groupes de contribuer à l’élaboration de politiques qui affectent leur vie, notamment en (accédant aux informations ; instaurant un dialogue ; exprimant leur désaccord ; s’unissant pour exprimer leur point de vue). Par conséquent, un espace civique ouvert et pluraliste qui garantit la liberté d’expression et d’opinion ainsi que la liberté de réunion et d’association est indispensable pour garantir le développement et la paix durables.
En revanche, le constat implacable largement partagé dans les démocraties contemporaines, porte sur le « rétrécissement de l’espace ». La mobilisation du vocable de « rétrécissement » n’est en réalité qu’une façon d’atténuer, dans l’entendement commun, la pathologie à laquelle renvoie réellement le phénomène observé : l’exclusion et la répression des mouvements sociaux, politiques et de défense des droits civils.
En Afrique, la conjonction de situations (économique, politique, sociale, culturelle) qui favorise le rétrécissement de l’espace public est plus problématique, au point de justifier l’interrogation des auteurs du rapport d’Afrobaromère de 2019 : les libertés des Africains sont-elles en train de s’effriter ? A ce propos, le Sénégal ne fait pas exception. Les « entraves » s’accumulent et plonge inéluctablement le pays dans une « crise de l’état de droit » et de la démocratie.
Source: Ouvrage « L’inclusion et la participation des femmes et des jeunes à la gouvernance démocratique en Afrique de l’Ouest et au Sahel », Gorée Institute 2022