Sénégal une démocratie ancienne en mal de réforme ou une démocratie du phénix

Sénégal : une démocratie ancienne en mal de réforme ou une démocratie du phénix ?

Le Sénégal serait-il « une démocratie ‘’ancienne’’ en mal de réforme »[1] ou « une démocratie du phénix ?»[2], sa maturité supposée ou réelle a-t-elle permis ou favorisé l’instauration d’une démocratie constitutionnelle ? Cette dernière, la démocratie constitutionnelle, entendue selon l’acception de Dominique Rousseau pour qui, elle « définit un au-delà de la représentation non parce qu’elle la supprimerait mais parce qu’elle la transforme et élargit l’espace de participation populaire en inventant des formes particulières permettant à l’opinion d’exercer un travail politique : le contrôle continu et effectif, en dehors des moments électoraux, de l’action des gouvernants»[3].

Si du point de vue académique les résultats des travaux de recherche semblent s’accorder sur la vitalité de la démocratie sénégalaise en dépit de quelques marges de régression, quid de la perception citoyenne ? En effet, l’avènement de la deuxième alternance politique en 2012 à la suite de vives tensions politiques avait suscité une ferveur démocratique globale. Depuis, les contre-performances démocratiques des dirigeants actuelles ont fini par installer, d’une part, un climat de désillusion doublé d’un sentiment qu’ils sont ‘’tous pareils’’ et, d’autre part, de la défiance, des récriminations assourdissantes et des contestations à basse intensité. Les résultats de l’enquête réalisée dans le cadre de cette étude sur la perception citoyenne mesurent l’état de l’opinion sur la question.

Les résultats de l’enquête de perception citoyenne révèlent que 73% des répondants sont d’avis que le Sénégal est bien une démocratie constitutionnelle, tandis que 21% sont d’un avis contraire. L’opinion citoyenne dominante est donc que le Sénégal est une démocratie constitutionnelle.

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L’opinion largement dominante sur la réalité de la démocratie constitutionnelle au Sénégal est relativement contrariée par les 42% des enquêtés qui pensent que les réformes constitutionnelles déconsolident la démocratie sénégalaise.  En revanche, 39% des répondants estiment que les réformes constitutionnelles consolident la démocratie. En prenant repère la révision constitutionnelle n°2016-10 du 05 avril 2016 dite la réforme des « 15 points » qui touchait 18 articles de la loi fondamentale, dix (10) des quinze points étaient largement consensuels. Les points contestés portaient sur :

  • « La restauration du quinquennat pour le mandat présidentiel » (point 6).

C’est la fin du septennat. Seulement, le Président Macky Sall avait promis, entre les deux tours de la présidentielle de 2012, d’appliquer cette réduction à son propre mandat. Une promesse sur laquelle il est revenu le 16 février 2016 en expliquant suivre l’avis du Conseil constitutionnel. Or, le président de la République disait vouloir faire comprendre en réduisant son mandat de 5 à 7 ans « qu’en Afrique aussi, qu’on est capable de donner la leçon, et que le pouvoir ce n’est pas une fin en soi ». Pour l’opposition sénégalaise et une frange importante de la société civile, le président s’est dédit. Dès lors, estiment-ils, le référendum n’avait plus sa raison d’être ;

L’absence de spécification pourrait ouvrir le débat sur légalisation de l’homosexualité, une orientation aujourd’hui pénalement réprimée. Face à cette brèche, le président de la République est revenu à plusieurs reprises sur la question face à un parterre de journalistes, tantôt nationaux tantôt internationaux, en expliquant que le Sénégal n’est pas prêt de dépénaliser l’homosexualité qui n’est pas conforme aux valeurs religieuses du pays. De manière très succincte, il faut retenir sur ce point que l’Etat est dans un dilemme cornélien, c’est-à-dire entre le marteau des « gardiens du temple » des valeurs religieuses que constituent les familles religieuses et certaines ONG telles que Jamra et l’enclume des principaux partenaires techniques et financiers qui sont aussi les promoteurs d’un nouvel ordre mondial et, en partance, les Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres (LGBT). Nouvel élément de conditionnalité de l’aide au développement, l’ouverture aux LGBT met au dos les décideurs étatiques nationaux face à leur peuple qui rejette de manière intransigeante cette dépravation considérée comme étant purement « occidentale » et contre les valeurs islamiques. Face aux mobilisations sociales et à la justice populaire contre les LGBT enregistrées par ci par là dans la capitale sénégalaise comme dans les différentes régions, les entrepreneurs et promoteurs de cette cause semblent inverser leur stratégie. Du haut vers le bas (Top down), elle semble passer du bas vers le haut (Bottom up). L’une dans l’autre, les tentatives d’intégration de l’enseignement des LGBT dans les manuels scolaires, tout comme l’enrôlement d’artistes (notamment chanteurs), de maisons de production cinématographiques (nouvelles séries sénégalaises), de financement de programmes ou projets dédiés de quelques ONG, les répertoires d’action en vue de pénétrer la société sénégalaise, en dépit de quelques progrès marginaux, échouent naturellement face à l’ancrage et la veille des mouvements sociaux notamment d’ordre religieux.

  • « La désignation par le président de l’Assemblée nationale de deux des sept membres du Conseil constitutionnel » (point 12).

Parce que le chef de l’Etat dispose traditionnellement d’une majorité à l’Assemblée nationale, cette nouvelle prérogative est perçue comme un subterfuge pour augmenter les pouvoirs de l’exécutif ;

  • « La promotion de la gouvernance locale et du développement territorial par la création du haut conseil des collectivités territoriales » (point 3).

Pour plusieurs Sénégalais, c’est le retour déguisé du Sénat, une institution budgétivore, qui favorisait le clientélisme politique et avait été supprimée au lendemain de l’élection de Macky Sall en 2012. A l’heure actuelle, l’on se demande encore le rendement réel de cette institution ;

  • « L’intangibilité des dispositions relatives à la forme républicaine, la laïcité le caractère indivisible, démocratique et décentralisé de l’Etat, au mode d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutifs du président de la République » (point 15)

Le débat actuel sur la possibilité d’un troisième mandat du Chef de l’Etat se pose avec acuité au Sénégal. Si du point de vue juridique le débat est sans concession entre les thuriféraires et les détracteurs d’un possible troisième mandat, l’analyse sociologique fait glisser la question sur le champ de la maturité démocratique du pays.

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Si globalement la question de la consécration démocratique ne se pose pas au Sénégal, la pratique est moins reluisante. Ils sont 58% des répondants à estimer que les consécrations constitutionnelles en matière de démocratie ne sont pas respectées, tandis que 20% sont d’avis, au contraire, qu’elles sont respectées. Cette tendance est confortée, dans une moindre mesure, par l’avis des 39% des répondants qui opinent que la légalité constitutionnelle n’est pas effective et s’inscrivant en désaccord des 32% qui sont d’un avis contraire.

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S’agissant de la liberté de création de parti politique, 62% des répondants reconnaissent le caractère libéral et équitable des procédures de création d’un parti politique au Sénégal, tandis que 22% des enquêtés sont d’un avis opposé. Dans le même sillage, 70% des enquêtés estiment que le pluralisme politique et la liberté d’association sont une réalité au Sénégal, contre seulement 8% qui sont d’un avis contraire. Il faut dire qu’au Sénégal, le multipartisme est devenu intégral avec la 81-17 du 6 mai 1981. Mais depuis, on assiste à une floraison de création de partis politique au point que leur rationalisation n’est plus un choix, mais quelque chose qui s’impose. Le parrainage tant controversé a été introduit dans cette perspective lors de l’élection présidentielle.

Revenons plus spécifiquement sur la floraison du nombre des partis politiques au Sénégal. En effet, douze (12) ans après son accession au pouvoir, entre le 8 mars 2000, date à laquelle le régime du Président Abdou Diouf a délivré le dernier récépissé à un parti politique et le 22 mars 2012, le nombre de parti est passé de 43 à 188, soit 145 partis politiques de plus nés sous le magistère du Président Abdoulaye Wade. Son ministre de l’intérieur, Me Ousmane Ngom, a réussi à autoriser, à la date du 22 mars 2012, 10 partis politiques. Cette tendance se confirme puisque le dernier chiffre officiel annoncé est de 326 partis légalement constitués.

Cette floraison est favorisée, en partie, par la facilité qu’offre le régime juridique de création d’une entreprise politique. En effet, le régime de création d’un parti politique obéit aux mêmes conditions que la création d’une association. Elles sont prévues par les dispositions des articles 812 à 841 du Code des obligations civiles et commerciales, aux conditions posées par l’article 4 de la Constitution et à celles prévues par la loi 81-17 du 6 Mai 1981 modifiée le 12 octobre 1989.

Ce n’est pas pour rien que le premier point de la réforme introduite par la révision constitutionnelle de 2016 porte sur « la modernisation du rôle des partis politiques dans le système démocratique ». En revanche, la modernisation du rôle des partis politiques comporte principalement la fonction d’éducation et de formation citoyenne. Cette nouvelle fonction pourrait permettre de justifier un financement public des partis politiques au Sénégal.

La modernisation des partis politiques au Sénégal charrie également de multiples questions liées à la gouvernance des formations partisanes. Il en est ainsi des questions liées, entre autres, à l’opacité des financements, au renouvellement de l’élite, à l’élasticité et la volatilité même des partis. En effet, s’agissant de l’opacité des financements des partis politiques, plusieurs facteurs explicatifs peuvent être relevés : la faible organisation interne des partis politiques, la désincarnation, le clientélisme alimentaire en défaveur du vrai militantisme, l’absence de contrôle sur pièce et sur place des finances des partis, la vie satellitaire ou cartellisée de la plus part des formations politiques (la facilité et l’aisance des ralliements à la mouvance présidentielle pour bénéficier des prébendes et privilèges). La création des partis politiques au Sénégal résulte majoritaire d’une scission qui trouve son fondement dans des frustrations nominatives ou à l’écartement de la gestion publique. Elle résulte également d’une volonté des entrepreneurs politiques d’infiltrer l’appareil étatique au travers d’une nomination de récompense suite à un ralliement. L’interpénétration constatée entre les structures partisanes et étatiques. L’ultime but demeure ainsi l’admission dans le cercle restreint de la classe dirigeante. A ce titre, les partis de la mouvance au pouvoir deviennent des satellites ou des partis cartellisés. La formation partisane réellement dépositaire du pouvoir est facilement assimilable à ce que la politologie appelle sous le vocable de parti-attrape (catch-all party)[4]. Ce phénomène est moins caractéristique des formations partisanes concurrentes. En effet, il relève de la volonté de conservation du pouvoir. Les éléments qui précédent expliquent en même temps les raisons liées à l’absence de renouvellement des élites au sein des partis, à la gestion patrimoniale des partis politiques y inclus des finances, ainsi que l’élasticité et la volatilité.

Les enquêtés se sont aussi prononcés sur le caractère libre, transparent et inclusif des dernières élections législatives et présidentielles au Sénégal. S’ils sont 43% des répondants à estimer que les processus électoraux sont libres et transparents, 53% des interviewés considèrent, au contraire, qu’ils ne le sont pas. Par ailleurs, 54% de la population enquêtée sont d’avis que les élections ont été inclusives, tandis que 40% sont d’un avis contraire.

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Au Sénégal, des efforts soutenus sont enregistrés pour promouvoir la participation et l’autonomisation féminines. Néanmoins, les femmes restent encore minoritaires parmi les élus et leur participation à la prise de décision politique est loin de correspondre à leur contribution effective à la société et à la vie politique. C’est cette sous-représentation qui avait présidé à l’adoption en 2010 de la loi instituant la parité absolue Homme-Femme, devant permettre une égalité absolue des candidatures des hommes et des femmes dans toutes les institutions totalement ou partiellement électives.[5] Les efforts sont encore à soutenir car, à l’heure actuelle, sur 557 Communes, il n’y a que 14 mairesses.

Au-delà de ce faible niveau de représentation, il est tout aussi important de sonder l’avis des populations sur la représentation féminine en tant que telle ainsi que sur son poids politique, autrement dit sa véritable contribution. Ainsi, ils sont 28% et 25% à être respectivement d’avis que la participation des femmes dans les processus électoraux est « moyenne » et « bonne ». En revanche, ils sont 19% et 18% des répondants à estimer que leur participation est, respectivement, « faible » et « passable ». Seuls 8% des enquêtés pensent, au contraire, que la participation des femmes est « excellente ». Cette tendance globale sur la participation féminine reflète par ailleurs presque les mêmes résultats sur la présence des femmes au sein de l’hémicycle. En effet, ils sont respectivement 29% et 27% des enquêtés à considérer que la participation des femmes à l’Assemblée Nationale est « moyenne » et « bonne ». Et, s’ils sont seulement 7% à la considérer excellente ; en revanche, 19% des répondants sont d’avis qu’elle est plutôt faible et 22% la considèrent comme étant passable. La sous-représentation politique des femmes trouve des éléments explicatifs dans la nature structurellement patrimoniale de la société sénégalaise et dans des contingences liées à la déperdition scolaire, la faible autonomisation des femmes, etc. L’ancrage des réalités socioculturelles et religieuses l’emporte sur la volonté du législateur matérialisée par la loi sur la parité.

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Si globalement les répondants estiment que la justice au Sénégal est accessible ; à l’inverse, l’opinion dominante qui se dégage est que celle-ci est faiblement indépendante. Plus spécifiquement, ils ne sont que 4% et 9% à estimer respectivement que la justice au Sénégal est « tout à fait » et « plutôt » indépendante. Tandis que 24% des sondés sont d’avis qu’elle n’est « pas du tout » indépendante, 27% à estimer qu’elle est « plutôt non » indépendante et 27% à relativiser en estimant que « cela dépend ». S’agissant de l’accessibilité de la justice au Sénégal, soit-elle de l’accessibilité financière et de l’accessibilité géographique, 42% des répondants disent qu’elle l’est contre 37% qui sont d’un avis contraire.

Le débat sur l’indépendance de la justice se pose toujours au Sénégal au point de faire l’objet d’un colloque national portant sur le thème « L’indépendance de la justice au Sénégal : État des lieux et perspectives de réforme »[6]. Parmi « les obstacles à l’effectivité de l’indépendance de la Justice au Sénégal », se trouve, entre autres, la situation d’intérim de la plupart des Magistrats, l’usage détourné de la notion de nécessité de service pour contourner l’inamovibilité, l’absence de transparence dans la gestion des carrières des magistrats, la question de la retraite au regard des principes généraux du droit et de l’égalité de tous les citoyens devant les avantages et charges publiques, etc. En définitive, le statut actuel de la Magistrature porte des empreintes de la tentation à la soumission du Magistrat. Il doit être profondément corrigé[7]. Une des voies pour limiter l’influence ou l’immixtion du pouvoir politique dans la nomination et la distribution des postes clés dans le secteur de la justice consiste d’une part à écarter le président de la République et le ministre de la justice de la composition du CMS[8]. En effet, le pouvoir exécutif domine le Conseil Supérieur de la Magistrature et reste le chef du parquet d’un double point de vue : fonctionnel et statutaire. Dans un article, l’actuel président de l’UMS, fait des propositions afin de renforcer l’indépendance de la justice[9]. Les thèmes principaux de réforme proposés par l’auteur s’articulent autour d’une autonomie plus grande du CSM, d’un statut du parquet rénové et d’une gestion des juridictions mieux adaptées à leurs besoins. La traduction et le jugement du Président de l’USM devant le Conseil de discipline de la magistrature entre dans le cadre de cette grande lutte contre l’insubordination de la justice.

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Autant pour la justice, l’opinion dominante quant à l’indépendance de l’Assemblée Nationale par rapport à l’exécutif, la fonction de contrôle et d’évaluation du premier sur le second pose, en définitive, un réel et sérieux problème de respect du principe de la séparation des pouvoirs au Sénégal. C’est ainsi que 68% des enquêtés sont d’avis que le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas respecté, contre seulement 22% qui sont d’un avis contraire. En sus, ils sont 69% des répondants à être d’avis que l’Assemblée Nationale n’est pas indépendante vis-à-vis de l’exécutif, contre seulement 14% à avoir un avis contraire. De même, ils sont 68% des enquêtés à estimer que l’Assemblée nationale ne joue pas pleinement et effectivement son rôle de contrôle de l’action du gouvernement, tandis que juste 20% sont d’un avis contraire. Dans la même veine, ils sont 63% des interviewés à penser que les parlementaires ne jouent pas leur rôle d’évaluation des politiques publiques, une nouvelle compétence introduite par la réforme constitutionnelle de 2016. A ce titre, seuls 23% des enquêtés pensent le contraire. En effet, la question de la vassalisation du Parlement par l’exécutif à travers le phénomène de la majorité mécanique ne date pas d’aujourd’hui au Sénégal et est, par ailleurs, largement partagé en Afrique. Lieu d’excellence pour l’opposition de contrarier utilement les propositions et projets de l’exécutif, et rempart contre les dérives des détenteurs de l’exécutif, le Parlement en Afrique se transforme souvent en simple « chambre d’enregistrement » ou « chambre d’applaudissement », etc. On a fraichement en mémoire la phrase scandaleuse du Député Momath Sow : « Je suis un député de Macky Sall, je ne me tarde même pas à lire les projets de loi, je les vote les yeux fermés ! »[10] (sic). S’agissant du rôle d’évaluation des politiques publiques du Parlement, il faut dire que les députés ne sont pas outillés pour exercer efficacement cette compétence et pour répondre aux exigences scientifiques et techniques de l’exercice. Notons au passage que la promulgation le 04 Mai 2019 de la loi constitutionnelle portant notamment suppression du poste de Premier Ministre a entrainé la suppression des techniques constitutionnelles de censurer du gouvernement : déclaration de politique générale devant l’assemblée nationale, les moyens d’interpellation ou questions écrites ou orales, avec ou sans débat, etc. Cette révision consolide la forme présidentielle du régime politique en vigueur, mais dans le même temps réduit les possibilités d’initiatives du parlement en matière de contrôle de l’action gouvernementale. Dans les régimes politiques africains où les parlements sont globalement des caisses de résonnance de l’exécutif, une telle révision affaiblit davantage l’assemblée nationale et la dépouille presque de l’une de ses fonctions : à savoir la fonction de contrôle à côté de la fonction de production législative (production de normes).

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La configuration de l’Assemblée nationale, suivant les différentes législatures et plus particulièrement celle actuelle, ne milite pas en faveur d’une représentation efficace et performante de l’opposition. La forte adhésion autour de la coalition « Benno Kook Yakar » laisse peu de place à l’épanouissement des autres partis au sein de l’hémicycle. Du coup, les projets et propositions de l’exécutif sont adoptés comme lettre à la poste. Cette pathologie des parlements en Afrique, l’opinion publique l’a bien saisie. C’est ainsi que pour 58% des sondés, l’opposition ne joue pas pleinement son rôle, tandis qu’ils ne sont que 36% à être d’un avis contraire.  

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S’agissant de l’Etat de droit, il « apparaît comme un label nécessaire sur le plan international »[11]. Ainsi le Sénégal, comme la plupart des pays d’Afrique, essaie tant bien que mal à se conformer aux standards en la matière. Cependant, il existe souvent un hiatus entre les consécrations textuelles (la théorie) et la pratique des Etats. Au fil de l’actualité sénégalaise, l’on note des fiascos judiciaires, la défection de magistrats et des entorses à la règle de droit qui ont fini par construire une image relativement négative de la situation d’Etat de droit au Sénégal. Ainsi ils sont 47% des enquêtés à estimer que la primauté du droit n’est pas une réalité au Sénégal, contre 23% à avoir une opinion contraire. En sus, ils sont 54% à être d’avis que les droits humains ne sont pas efficacement protégés, contre 31% à exprimer un avis contraire. En revanche, 53% des répondants estiment que les droits des femmes sont bien protégés au Sénégal, contre 36% à être d’un avis inverse.

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Au Sénégal, la différence de traitement dans certaines affaires judiciaires est tributaire de la proximité ou non du pouvoir, ce qui transparaître l’existence d’une justice à deux vitesses. Ainsi paraphrasant une fable de Jean de la Fontaine, le constat est que « Selon que vous serez ‘’avec le pouvoir’’ ou ‘’contre le pouvoir’’, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »[12]. La politisation de certaines affaires de justice est une réalité que tout observateur de la scène politique sénégalaise peut aisément constatée.

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Au Sénégal, on constate une très forte dynamique des organisations de la société civile. Cela dans divers domaines et secteurs d’intervention. En effet, la plupart des acquis démocratiques emblématiques trouvent leur origine dans l’action ou l’inspiration de la société civile. C’est ce qui se dégage aussi de l’opinion dominante de l’enquête. En effet, 65% des répondants estiment que la société civile sénégalaise contribue aux avancées démocratiques, contre seulement 13% qui sont d’un avis contraire. Cependant on peut noter le manque de synergie et le caractère non optimal de l’efficacité et de l’efficience des interventions des ONG, lesquels trouvent leur explication, entre autres, principalement dans les logiques institutionnelles et les logiques de guichet de financement qui président à leurs interventions. En sus, les choix de plaidoyer sur certaines questions ne sont pas toujours inconditionnels et totalement désintéressés. On peut y entrevoir d’autres agendas non dévoilés. Ce qui transforme certaines ONG en simples agences d’exécution de forces tapis dans l’ombre.

Dans le cadre du dialogue politique initié par le Président de la République, la société civile a cependant participé activement en faisant des propositions concrètes sur des sujets divers tels que le statut de l’opposition et de son chef, le mode de scrutin des maires et des députés, la modernisation du système partisan à travers notamment le financement public des partis politiques.   

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Au Sénégal, le droit à une presse plurielle est un principe constitutionnel. Le législateur sénégalais a également adopté un code la presse à travers la loi n° 2017-27 du 13 juillet 2017. Les efforts gouvernementaux ont donné la construction d’une maison de la presse. Cet écosystème a favorisé l’éclosion d’une véritable liberté de presse et d’opinion, au vu de la diversité des groupes de presse et de la multitude des registres traités. Cependant, cette liberté semble avoir relativement régressée sous le magistère du Président Macky Sall, comparée à la situation sous la première alternance politique, autrement dit sous le magistère du Président Abdoulaye Wade. Toutefois, ils sont 56% des enquêtés à estimer que la liberté de presse et d’opinion est une réalité au Sénégal, contre seulement 28% à être d’un avis contraire. En revanche, l’opinion des sondés est très partagée s’agissant de la régulation des médias. En effet, si 35% de la population enquêtée estiment que la régulation des médias est inefficace au Sénégal et 8% très inefficace ; en revanche, 31% des sondés sont plus relatifs en considérant qu’elle l’est « en partie », tandis que 15% la considèrent comme étant efficace et seulement 2% comme très efficace. 

Si la constitution sénégalaise consacre le droit à une presse plurielle, l’offre globalement proposée se caractérise cependant par une vacuité substantielle. S’y ajoutent le caractère quasi homogène des programmes, la faible régulation du secteur plus particulièrement en ce qui concerne la presse en ligne et les réseaux sociaux, cela en dépit des multiples interventions du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA)[13]. En effet il dénonce souvent la diffusion de sujets aussi provocateurs, insultants, irrespectueux qu’outrageants et inacceptables, par leur caractère attentatoire à la morale, à la pudeur et aux valeurs et cultures sénégalaises de nature parfois à provoquer des troubles à l’ordre public ou à porter atteinte à l’entente cordiale entre les différentes communautés.

 Toutefois, la démonopolisation du paysage médiatique sénégalais à travers des entreprises privées de média ainsi que les nouveaux médias émergents grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTICs), a renforcé l’ouverture démocratique du Sénégal et marqué une prise de conscience et un rôle effectif de la presse dans la consolidation et la stabilité démocratique ainsi la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques. Si le statut des médias publics ne leur garantit pas une véritable indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, en dépit de la déconcentration de la RTS. C’est au niveau des entreprises privées de médias (médias classiques comme nouveaux et les radios communautaires) que le souffle de la ferveur démocratique et de la bonne gouvernance est venu. Concernant les médias privés, il faut juste relever l’opacité autour des procédures d’octroi des fréquences audiovisuelles et des financements privé et public (subvention de l’Etat).

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Le processus de la réforme du Code de la Presse enclenché depuis 2000 va bientôt aboutir avec l’adoption d’un nouveau code assainissant le secteur. La présentation le 6 janvier 2021 de deux textes de décret d’application au Chef de l’Etat est fortement accueillie par les acteurs du milieu. Ce nouveau code comporte des dispositions relatives à la réglementation de la profession (statut des journalistes, cadre juridique des organes de presse, dépénalisation des délits de presse, organe de régulation, presse en ligne) et à l’organisation des entreprises de presse (environnement économique, financement de l’entreprise de presse, fiscalité).

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Le Sénégal s’est longtemps réputé être un pays de dialogue. Ce qui fondamentalement contribue à cimenter la stabilité politique et institutionnelle du pays qui n’a, jusque-là, pas connu une grande crise politique et institutionnelle, si non que le conflit armé de basse intensité très larvé en Casamance et la crise de 1962. L’audience populaire des confréries religieuses, le cousinage à plaisanterie inter-ethnique et la culture de dialogue social et politique jouent un rôle essentiel, voire de premier plan dans la régulation politique et sociale du pays.

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Ce qui se reflète également dans l’enquête de perception. En effet, ils sont 70% des sondés à estimer qu’il existe une stabilité politique et institutionnelle au Sénégal, contre seulement 24% qui sont d’un avis contraire. De la même manière, 78% des répondants considèrent qu’il existe un climat de dialogue et de paix au Sénégal, contre seulement 11% qui ont une opinion contraire.


[1] Ismaïla Madior Fall, Sénégal. Une démocratie « ancienne » en mal de réforme, AfriMAP/OSIWA, 2012, p. 56-57. Cf. également, du même auteur, Les révisions constitutionnelles au Sénégal. Révisions consolidantes et révisions déconsolidantes de la démocratie sénégalaise, Dakar, CREDILA, 2011.

[2] Alioune Badara Diop, Le Sénégal, une démocratie du phénix ?, Karthala, 2009.

[3] Dominique Rousseau, La justice constitutionnelle en Europe, Montchrestien, CLEFS, 1998.

[4] Concept introduit par le politiste Otto Kirchheimer dans un article intitulé The transformation of the Western party systems, publié en 1966.

[5] Loi n° 2010-11 du 28 mai 2010 instituant la parité absolue Homme-Femme

[6] Le Colloque a été organisé par l’Union des Magistrats Sénégalais (UMS), les 28 et 29 décembre 2017, à l’hôtel King Fahd Palace de Dakar

[7] Propos de Maitre Doudou Ndoye à l’occasion du Colloque. Cf. Revue semestrielle de l’union des magistrats sénégalais N° 1, Janvier 2018, p. 12.

[8] Propos du Professeur Babacar Gueye à l’occasion du Colloque. Cf. Revue semestrielle de l’Union des Magistrats Sénégalais N° 1, Janvier 2018, p. 12.

[9] Teliko, Souleymane. « L’indépendance de la justice au Sénégal », Les Cahiers de la Justice, vol. 3, no. 3, 2019, pp. 483-495.

[10] Voir : https://www.ndarinfo.com/La-grosse-bourde-du-depute-Momath-Sow-Je-suis-un-depute-de-Macky-Sall-je-ne-me-tarde-meme-pas-a-lire-les-projets-de_a25418.html, consulté le 20 janvier 2021 à 18h55. Propos qui a fait la une presque de tous les médias.

[11] Chevallier (J.), « La mondialisation de l’Etat de droit », in Mélanges Philippe Ardant, Droit et politique à la croisée des cultures, LGDJ, 1999, pp.325-337.

[12] Jean de La Fontaine, Fables, Les Animaux malades de la peste, 1678.

[13] Agence Ecofin « Sénégal : le régulateur met en garde les médias sur les publications illégales sur internet », https://www.agenceecofin.com/regulation/0712-83283-senegal-le-regulateur-met-en-garde-les-medias-contre-les-publications-illegales-sur-internet,