Sierra Leone – Libéria - des transitions démocratiques insensibles aux droits humains

Sierra Leone – Libéria: des transitions démocratiques insensibles aux droits humains

Les transitions démocratiques insensibles aux droits humains

La Sierra Leone et le Libéria ont connu des formes similaires de transition politique à la lumière des défis politiques passés et actuels, mais n’ont pas réussi à adopter une option transitoire qui semble satisfaisante pour les besoins et les attentes de tous les segments de la société. Cette transition politique insensible aux droits de l’Homme et à la gouvernance pose des défis aux sociétés déjà en proie à des conflits et à la fragmentation politique. La réalité est que ce sont les acteurs politiques au pouvoir et ceux de l’opposition qui déterminent l’orientation de la transition vers une nouvelle situation démocratique.

Sur le plan conceptuel, l’hypothèse qui sous-tend le maintien des transitions politiques implique de passer d’un régime autoritaire ou de situations de conflit à la démocratie. Des facteurs structurels et des héritages historiques devraient déterminer la trajectoire des transitions politiques, comme on l’a observé récemment dans de nombreux pays d’Afrique. Samuel Huntington, dans sa Troisième vague (1991), a présenté une typologie de transitions en quatre formes (remplacement, transplantation, transformation et intervention) fondées sur la façon de faire face à de telles transitions à la lumière de la nature et des caractéristiques des legs politiques et des défis contemporains. Pour Huntington, il y a inévitablement des frictions et souvent des affrontements amers entre les acteurs politiques, qu’il qualifie en outre d’interaction entre les réformateurs et les non-réformateurs.

C’est pourquoi on pourrait considérer que le processus contribue à des frictions inévitables entre les acteurs politiques en compétition pour gagner du terrain économique et politique. Cependant, on pourrait aussi le décrire comme une action de l’élite qui s’oriente vers la modification des institutions et des procédures et la réorientation du processus qui favorisent le passage de pratiques anciennes à des principes démocratiques internationalement acceptés et à un code de conduite en matière de droits humains. Cette situation laisse place aux normes et valeurs fondamentales nécessaires à la consolidation démocratique.

À la lumière de l’analyse ci-dessus, on pourrait affirmer que les caractéristiques structurelles des deux États, qui présentent des histoires politiques différentes mais des héritages institutionnels, des déséquilibres et des conditions économiques et des compositions ethniques similaires, ont de graves répercussions sur les résultats transitoires récemment observés qui auront un impact important sur la situation actuelle de la démocratie et des droits humains dans ces deux pays. Puisque l’on a observé le passé politique et l’histoire des luttes de pouvoir entre les principaux acteurs et institutions politiques des deux États, on peut conclure que ces transitions politiques ethno-centrées et déséquilibrées sur le plan régional peuvent être qualifiées de conflictuelles et de transitions insensibles aux droits humains. Par conséquent, l’impact négatif sur les principes de bonne gouvernance démocratique n’a pas été évité, en ce qui concerne l’accès aux services sociaux de base, la transparence et la responsabilité.

À la lumière de la conceptualisation du paradigme transitionnel classique par de nombreux chercheurs qui complètent les typologies de Samuel Huntington, on s’est également rendu compte qu’il existe certaines insuffisances majeures dans les paysages politiques en Sierra Leone et au Libéria. Certains de ces défis sont endémiques, d’autres résultent de la fragilité institutionnelle et d’un manque de volonté politique, en particulier au Libéria, ou de l’indécision des acteurs politiques ainsi que des préjugés ethniques et régionaux en Sierra Leone. En outre, l’un des autres dangers observés est le clientélisme politique où certains acteurs sont nommés à des postes gouvernementaux stratégiques sur la base de leur loyauté envers les partis politiques et l’exécutif plutôt que sur la base de leurs compétences. Telle a été la réalité constatée dans les deux États. Toutefois, cette situation est encore plus marquée en Sierra Leone, tandis qu’elle a été minime au cours du second mandat du gouvernement Ellen Johnson Sirleaf au Libéria.

Le danger vient maintenant du fait que ces lacunes persistent dans un contexte de vulnérabilité où les carences de la gouvernance démocratique, les violations des droits de l’Homme et le népotisme qui prévaut dans les nominations aux postes sensibles du gouvernement constituent des menaces pour la paix. Menaces liées davantage à l’incapacité des gouvernements de s’attaquer à la racine des vrais problèmes. En l’absence de conceptions politiques inclusives, les transitions politiques ont souvent entraîné des tensions intermittentes entre le parti au pouvoir et l’opposition significative en Sierra Leone et au Libéria.

L’analyse ci-dessus montre que la gestion des transitions politiques des anciens régimes autoritaires comme ceux de la Sierra Leone et du Libéria vers la démocratie exige un processus de transformation de la culture politique – un facteur qui n’est pas toujours partagé par tous les acteurs qui se concentrent plutôt sur les résultats et avantages immédiats plutôt que sur un processus de construction démocratique à long terme. Dans la plupart des cas, comme on l’a vu dans de nombreux pays sortant d’un conflit, cela dépend aussi généralement de la quête générale de changement qui met fin au régime d’impunité des acteurs responsables de la violation des droits de l’Homme. Ces questions sont abordées de façon thématique dans les parties ci-dessous.

La transition politique en Sierra Leone

Depuis la victoire du Président Ernest Bai Koroma contre le Parti populaire sierra-léonais en 2007, la Sierra Leone s’est lancée dans un modèle de transition politique. Les deux gouvernements sierra-léonais d’après-conflit ont introduit plusieurs nouvelles lois pour soutenir la transition politique. En particulier, la Sierra Leone s’est engagée dans un type de transition démocratique où l’attribution des postes gouvernementaux est fondée sur l’identité ethno-régionale en faveur des originaires des bastions de l’APC, après la victoire d’Ernest Bai Kororma en Dans un rapport de situation rédigé par Lansana Gberie et publié par l’International Security Studies (ISS), il cite un rapport britannique selon lequel, il y a « une régression significative des relations interethniques et inter-politiques au sein du pays sous Koroma. ». Il s’agit plutôt d’une transition politique de type compensatoire basée sur la loyauté au parti. Bien que cela ait été perceptible lors de son premier mandat, cette tendance continue de se développer au cours de son second mandat.

Comme l’a également souligné Lansana Gberie, « Deux cents (200) professionnels de haut niveau et de niveau intermédiaire des provinces du Sud et de l’Est, pour la plupart des Mende, ont été licenciés un an après l’arrivée au pouvoir de Koroma, de façon arbitraire pour la plupart. Ils ont été remplacés par des gens presque entièrement originaires du nord du pays, en particulier du district de Bombali, fief du président.

Au cours de son premier mandat, de nombreux hauts fonctionnaires n’ont pas été tenus responsables de leurs actes et, par conséquent, le gouvernement n’a pas été sensible aux demandes des citoyens et à la reddition des comptes. Bien qu’une commission anticorruption ait été mise en place au cours du premier gouvernement d’Ahmed Tejan Kabba, à la suite des recommandations de la CVR et des efforts de réforme institutionnelle au lendemain de la guerre, ces initiatives se sont limitées à des enquêtes sans suite, ce qui a permis à de nombreux hauts fonctionnaires d’éviter des poursuites judiciaires en Sierra Leone. De plus, les priorités d’investissement sont constamment perverties en faveur d’une clientèle politique et de mécènes, à qui la plupart de la commande publique est attribuée.

Une étude commanditée récemment par Action Aid Sierra Leone a confirmé le rapport de Lansana Gberie selon lequel l’exploitation et la responsabilité sociétale des sociétés minières demeurent très discutables en raison du non- respect de la réglementation minière par le gouvernement. Cela s’est traduit par la souffrance, la misère et une pauvreté endémique chez les résidents des zones minières. Jusqu’à présent, la lutte pour la survie provoque des tensions croissantes entre les habitants des zones minières, les entreprises et les travailleurs des mines.

En outre, la haine qui a marqué l’histoire des relations entre les principaux acteurs politiques rivaux depuis l’indépendance a survécu à la transition politique. Ces relations sont pleines de tensions, de menaces, de récriminations et de suspicion mutuelle – parfois avec des crises de confiance profondément enracinées pendant chaque transition politique. Les défis sont maintenant liés à la manière de faire face à de telles menaces pour renforcer la démocratie fragile, en particulier lorsque l’affiliation politique en Sierra Leone dépend largement d’alliances personnelles selon les appartenances ethniques et régionales.

La transition politique au Liberia

Le Libéria a connu une transition politique après la chute du régime du Président Charles Taylor. Cette période a été marquée par un processus de démocratisation prometteur entamé par Ellen Johnson Sirleaf, qui a remporté son second mandat lors de l’élection de novembre 2011, dans un contexte de vives controverses sur son rôle dans la guerre civile qui a duré quatorze (14) ans. Au cours de ses deux mandats, son gouvernement comprenait une combinaison d’élites politiques de diverses origines, intégrant ses partisans, ainsi que des Libériens de la diaspora. Ces élites, comprenant les anciens seigneurs de guerre, ont favorisé la non-application de certaines des recommandations de la CVR. Malgré les énormes progrès accomplis dans la consolidation de la paix et la stabilité depuis la signature de l’Accord de paix global d’Accra en 2003, de nombreux hommes politiques de l’opposition, dont George Opong Weah, ont dénoncé le non-respect par la Présidente de certaines des promesses faites à la table des négociations, notamment la pleine application des recommandations de la CVR.

De nombreux commentateurs affirment que l’ignorance des recommandations de la CVR a fait perdre de vue les horribles violations des droits humains commises au Libéria depuis 1979. L’espoir de justice et de réparation, que les recommandations de la CVR ont suscité auprès des victimes d’atrocités pendant la guerre civile, s’est évanoui. La crise de légitimité qui en résulte donne à penser que, dans les sociétés en transition, la justice pour les victimes et la condamnation des auteurs de crimes devraient faire partie intégrante d’une transformation politique. Aujourd’hui, la réalité au Libéria semble très différente de celle de la Sierra Leone voisine, où le gouvernement du Parti populaire sierra-léonais (SLPP) a payé un lourd tribut en perdant la présidence au profit du principal parti d’opposition, le All People Congress Party (APC), en raison de son incapacité à gérer de manière satisfaisante le processus judiciaire transitoire.

La liberté d’information et d’expression

Dans une démocratie, le peuple a le droit d’accès à l’information en tout temps sur les politiques, décisions et actions de son gouvernement et sur la gestion des affaires publiques en général. Ce droit est garanti par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) et l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP). Les États sont tenus de se conformer à ces normes internationales qu’ils ont ratifiées et intégrées dans leur législation interne. Cependant, dans la plupart des cas, le droit du public à l’information n’est pas respecté, même si la loi prévoit un accès sans entrave à l’information. Souvent, les agents de l’Etat se réfugient derrière les motifs de sécurité nationale pour refuser de fournir des informations.

En principe, la liberté d’expression est consacrée par la Constitution, les lois et règlements qui garantissent en même temps la liberté de la presse. Malheureusement, tout au long de la période coloniale et post-indépendance des deux pays, les journalistes ont été victimes de la répression de l’Etat et d’autres acteurs non-étatiques. Le harcèlement, l’intimidation, la pression politique et la violence ont tous contribué à la détérioration des conditions dans lesquelles les médias opèrent.

Dans le même ordre d’idées, la loi sur l’accès à l’information vise à éliminer le secret inutile et déraisonnable dans le fonctionnement des gouvernements. Une analyse critique de Tiawan Saye Gongloe montre qu’un « gouvernement qui promeut un degré élevé de secret dans le processus de gouvernance, sans le savoir et sans le vouloir, jette le doute et la suspicion sur ses politiques, plans, programmes, décisions et actions ». Il soutient en outre qu’un plus grand secret dans le processus de gouvernance mine la confiance du public dans le gouvernement. Si les agents de l’Etat refusent de fournir des informations justes et à temps à la population, celle-ci est obligée de recourir à d’autres sources d’informations non officielles qui, le plus souvent, peuvent s’avérer fausses. Parfois, le fait que les gouvernements ne fournissent pas l’information à la population en temps opportun peut entraîner sa chute.

Liberté d’information et d’expression en Sierra Leone

Les médias en Sierra Leone ont énormément contribué à ouvrir la voie à une transformation sociopolitique, après l’histoire mouvementée du pays. Toutefois, le maintien de la cinquième partie de la loi de 1965 sur l’ordre public dans le cadre des lois de la Sierra Leone constitue un obstacle à la liberté de la presse. La cinquième partie de la loi criminalise la diffamation et la sédition, qui peuvent être commises par des professionnels des médias, de manière délibérée ou par inadvertance. Pour les médias sierra-léonais, cette loi intimidante est liberticide, car elle maintient les journalistes dans la crainte perpétuelle d’être persécutés.

Par exemple, une émission de radio hebdomadaire populaire a été suspendue pendant semaines par la Commission indépendante des médias (CIM) à la suite d’une décision du Cabinet, sans respecter les procédures prévues par la loi sur la Commission indépendante des médias (CIM), selon le Rapport sur l’état des droits de l’Homme de la Sierra Leone (HRCSL, 2014). Selon la Commission des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, cette loi porte atteinte à l’indépendance de la CIM et menace l’exercice de la liberté d’expression et de la presse. Le 3 décembre 2014, le modérateur de l’émission radiophonique Monologue suspendue a également été arrêté sur ordre de Son Excellence le Président Ernest Bai Koroma, en vertu de l’état d’urgence, pour incitation à la violence et d’atteinte à l’ordre public. Il a été détenu au quartier général du Département des enquêtes criminelles (CID), puis conduit au centre pénitentiaire de Pademaba Road le 4 décembre 2014 pendant onze jours sans inculpation.

En outre, le Code de la fonction publique relatif au secret professionnel, qui interdit aux fonctionnaires de divulguer les informations nécessaires aux journalistes, constitue également un obstacle à la liberté d’expression des journalistes susceptibles de condamnation s’ils diffusent, en premier, une information sans l’avis des sources officielles. Toutefois, l’adoption de la loi sur la liberté d’information en 2013 est un pas dans la bonne direction. Le projet de loi donne aux journalistes et aux autres personnes intéressées l’accès à l’information publique.

La nature partisane des médias du pays est un autre objet de préoccupation. Outre le fait que les médias sierra-léonais s’intéressent, avec passion, aux questions politiques, ils sont aussi profondément alignés sur les deux grands partis politiques du pays, à savoir le All People’s Congress Party (APC) et le Sierra Leone People’s Party (SLPP), même si ces partis ont leurs propres journaux. Les problèmes politiques bénéficient d’une plus grande attention, à l’exclusion des questions relatives aux droits de l’Homme sauf lorsqu’il se passe quelque chose de sensationnel, comme une manifestation qui devient mortelle à la suite d’une action policière.

Liberté d’information et d’expression au Liberia

Le désir et l’espoir de vivre dans une société libre où tous les droits sont promus, respectés et protégés ont été les principes fondateurs de l’État libérien, tels que clairement exprimés par les pères fondateurs, dans la déclaration d’indépendance du Libéria en 1847.

Depuis la fin de la guerre civile libérienne en 2003, des tentatives ont été faites pour libéraliser l’espace médiatique du pays. L’action s’est étendue à la modification du cadre juridique des médias et à la garantie de la liberté d’expression protégée par les articles 14 et 15 de la Constitution libérienne. Au cours de cette période de libéralisation, un plaidoyer sérieux a conduit le Libéria à devenir le premier pays d’Afrique de l’Ouest à adopter une loi sur la liberté de l’information (FOI) en septembre 2010. Il s’agit d’une étape très importante pour garantir l’espace démocratique et la liberté d’information au Libéria. Cette loi est historique dans la mesure où elle prévoit la suppression des restrictions et l’établissement de procédures d’accès à l’information publique auprès des agents de l’Etat. Il est alors attendu des autorités publiques qu’elles soient à la disposition du public, pour lui faciliter l’accès à l’information à un coût raisonnable, tout en garantissant le droit de chaque individu d’accéder à ses informations personnelles détenues par des institutions privées et publiques.

La loi impose à toutes les entités publiques de produire régulièrement des informations détaillées sur leurs fonctions et activités essentielles. Implicitement, garantir la liberté de l’information est une étape très importante vers la gouvernance démocratique, la transparence et la responsabilité. Cela permet de contrôler l’action du gouvernement. Il offre un espace démocratique pour le suivi du gouvernement à tous les niveaux et élargit les possibilités pour la population et la société civile de revendiquer l’accès à des informations cruciales. Par conséquent, l’espace d’influence des citoyens s’est quelque peu élargi au cours des dernières années avec la nouvelle loi sur l’accès à l’information.

Malgré cette évolution positive, comme beaucoup d’autres droits consacrés par les textes nationaux et internationaux qui ont été ratifiés et adoptés au Libéria, la plupart d’entre eux sont inconnus du public et les rares personnes qui ont accès à ces informations ont du mal à gagner en influence et à participer à la prise de décision. C’est le cas de nombreux acteurs de la société civile et du gouvernement, même ceux qui sont organisés professionnellement, et il s’agit donc d’être bien engagés et ingénieux pour gagner en influence. Certains de ces acteurs impliqués dans la gouvernance utilisent ces opportunités à des fins personnelles et de carrières politiques. Les problèmes liés à la corruption et au népotisme persistent dans les pratiques de la gouvernance au Liberia.

Ce qui précède démontre que l’application de la loi reste un défi de taille. En début 2012, le Président a signé la Déclaration de la montagne de la Table, dans laquelle il s’engageait à dépénaliser les délits d’opinion et à supprimer d’autres lois qui vont à l’encontre de la liberté de la presse. Plus d’un an plus tard, le gouvernement n’a pas abrogé les articles pertinents du Code pénal libérien : 11.11 (diffamation criminelle contre le Président, 11.12 (sédition) et 11.14 (malveillance criminelle).

Bien qu’aucun journaliste ne purge actuellement une peine d’emprisonnement pour des crimes commis dans l’exercice de sa profession, il y a une vague de poursuites civiles en diffamation contre des organisations de médias pour la publication de certains articles. Comme il n’y a pas de plafond sur les dommages et intérêts pour diffamation au Libéria, ces poursuites exigent de la part des médias condamnés des montants exorbitants qui se chiffrent en millions de dollars US.

Bien que les médias libériens fonctionnent actuellement dans les conditions plus favorables que dans plusieurs autres pays africains, l’amateurisme lié au manque de formation et l’absence de motivation des professionnels continuent de miner leur réputation. Toutefois, les médias demeurent l’une des forces les plus importantes pour lutter contre la corruption et l’impunité au Libéria.

L’état de droit

Le respect de la primauté du droit est l’un des principes politiques fondamentaux de la bonne gouvernance démocratique, il suppose que les lois des nations soient appliquées de manière égale, équitable et cohérente, et que le gouvernement ne prenne pas de décisions arbitraires. En outre, le respect de l’État de droit signifie également qu’aucun citoyen, même un président élu, ne doit agir en dehors du cadre légal. Si l’environnement politique doit être caractérisé par la bonne gouvernance, la loi doit être l’architecture politique suprême d’un État-nation.

Il s’agit également d’un facteur essentiel au bon fonctionnement de toute société démocratique et de l’économie, ce qui exige la création d’organismes judiciaires qui agissent dans l’intégrité, avec une magistrature et une police qui exécutent efficacement les décisions de justice. Par ailleurs, l’administration de la justice doit être débarrassée de ses lenteurs et avoir un coût accessible pour le demandeur. Outre la justice et l’iniquité en cause, des inefficacités dans le système judiciaire des deux pays ont été observées. En particulier, les retards dans le traitement des affaires, la non-exécution des décisions de justice et l’incompétence des praticiens du droit sont plusieurs motifs de préoccupation.

État de droit au Liberia

La reconstruction des institutions judiciaires devrait être l’un des éléments constitutifs du projet d’édification de l’État au Libéria, mais il n’y a guère eu de progrès dans cette direction depuis la fin de la guerre civile. L’insuffisance des capacités et des fonds, ainsi que l’ampleur du défi, expliquent que les progrès ont été minimes. Il y a eu récemment de nombreuses réformes dans les domaines législatif et judiciaire, avec l’appui d’une large partie de la communauté internationale au Libéria comme en Sierra Leone. Ce qui est la manifestation d’une volonté politique de relever les défis juridiques et d’adopter des lois pour lutter contre la corruption. Malgré tout, beaucoup reste à faire.

À ce jour, le système judiciaire est gravement affecté par des problèmes de moyens en termes d’infrastructures de base, d’appui logistique et de manque criard de ressources humaines et financières, qui entravent gravement l’administration de la justice au Libéria. Il existe également d’importantes contraintes en matière de gestion des affaires entre les différentes parties du système de justice pénale, de graves lacunes dans la collecte et la conservation des éléments de preuve et de graves problèmes de calendrier tant pour les procès que pour les détentions provisoires.

Comme en Sierra Leone, la plupart des établissements pénitentiaires sont surpeuplés. La majorité des détenus sont des personnes en détention provisoire qui attendent depuis longtemps que leurs affaires soient jugées par les tribunaux. Bien qu’il y ait eu récemment de légers changements dans l’administration de la justice en Sierra Leone, avec la nomination d’un ancien commissaire de la Commission anticorruption (ACC) de la Sierra Leone au poste de ministre de la Justice, il n’existe guère de stratégie nationale globale pour renforcer l’État de droit et l’administration de la justice au Liberia.

En raison de ces insuffisances constatées dans les deux pays, la plupart des affaires et des contentieux juridiques sont résolus par le droit coutumier appliqué par les autorités traditionnelles et les Anciens, en particulier, en milieu rural. Comme dans le cas de la Sierra Leone, les affaires de viol ne sont souvent pas résolues à l’initiative de la victime. L’expérience montre que la plupart des survivantes hésitent à engager des poursuites contre leurs auteurs en raison de la stigmatisation sociale associée au viol et de la crainte de représailles contre elles-mêmes et leur famille du fait de l’absence d’un système efficace de protection des témoins dans les deux pays.

D’une manière générale, comme dans le cas de la Sierra Leone, la perception et la confiance du public dans l’État de droit restent faibles au Libéria. Il est également largement admis que l’un des principaux défis est de renforcer le secteur judiciaire pour qu’il réponde pleinement aux besoins et aux attentes des citoyens, en particulier des femmes et des enfants. Cela signifie également que les agents judiciaires ont constamment besoin d’une formation pour se tenir au courant de l’évolution du système juridique. De même, si le Libéria et la Sierra Leone doivent développer une infrastructure judiciaire indépendante, cela implique des Parlements vigilants avec des oppositions engagées dans le contrôle de l’action gouvernementale et des cadres constitutionnels qui garantissent la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

État de droit en Sierra Leone

Des efforts ont été faits pour améliorer le système judiciaire, comme en témoigne le projet de réforme du secteur de la justice appuyé par plusieurs bailleurs de fonds et en particulier le projet du PNUD en Sierra Leone qui a contribué de manière significative à améliorer la situation en recrutant davantage de magistrats pour servir dans tout le pays. H. A. Kargbo (2015), dans son livre intitulé Governance and the Three Arms of Government in Sierra Leone, a soutenu que le système judiciaire en Sierra Leone a besoin d’améliorations radicales pour que les citoyens puissent jouir des principes d’égalité devant la loi et de soumission égale de toutes les couches sociales à la loi.

Le paragraphe 16 de l’article 120 de la Constitution sierra-léonaise de 1991 dispose que le jugement doit être rendu dans les trois mois suivant la clôture d’une affaire. Cela n’a pas été le cas au niveau des tribunaux jusqu’à la Cour suprême. Cela signifie que le système judiciaire sierra-léonais fonctionne dans des conditions difficiles, ce qui a entraîné une grave érosion de l’intégrité et de l’efficacité, caractérisée par une faible rémunération, une pénurie de personnel qualifié, des conditions de travail déplorables, un système judiciaire désuet, une formation et des infrastructures inadéquates. Tous ces facteurs ont entravé considérablement la capacité de l’appareil judiciaire à rendre la justice efficacement, compromettant ainsi l’indépendance du pouvoir judiciaire en Sierra Leone.

Le pouvoir judiciaire en Sierra Leone n’a pas d’autonomie financière. Parmi les autres contraintes du système judiciaire figurent les lenteurs dans le traitement des affaires judiciaires. Certaines affaires sont encore pendantes devant la Haute Cour et la Cour d’appel depuis des décennies. Le système judiciaire est relativement inefficace au niveau du district, de la chefferie et des zones rurales. L’infrastructure judiciaire souffre d’un sous-investissement pour l’hébergement des juges et magistrats visiteurs, le parc automobile et les moyens de transport.

La transparence et la responsabilité

La transparence et la reddition des comptes vont de pair, et impliquent de savoir à qui nous devons rendre des comptes, sur quoi et par quel canal. Les principes fondamentaux de transparence, de responsabilité et de participation sont désormais reconnus comme essentiels à un développement plus efficace.

La transparence dans la prise de décision gouvernementale, la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques réduit l’incertitude et peut contribuer à réduire la corruption parmi les agents publics. La responsabilité et la transparence des agents de l’État et des agents non étatiques dans une société démocratique sont un principe fondamental de la bonne gouvernance et un élément crucial du pacte social entre le gouvernement, y compris le secteur privé, d’une part, et les citoyens, d’autre part. La transparence fait référence à la disponibilité de l’information pour le public et à la clarté des règles, règlements et décisions du gouvernement ou de l’entreprise. Les agents de l’État doivent rendre des comptes à la population pour assurer et renforcer la transparence, ce qui permet de discuter librement des décisions relatives à la gouvernance des affaires publiques et d’évaluer les choix afin que le citoyen soit conscient des risques et des avantages liés à toute action du gouvernement.

Transparence et responsabilité en Sierra Leone

Le manque de transparence et de responsabilisation a été un problème majeur ces derniers temps en Sierra Leone. Elle a conduit à l’auto-enrichissement de certains fonctionnaires au détriment du développement national. Toutefois, plusieurs efforts et structures ont été mis en place par le gouvernement sierra- léonais d’après-conflit pour résoudre les problèmes de transparence et de responsabilité en matière de gouvernance.

L’idée que les citoyens peuvent demander au gouvernement de rendre compte de l’amélioration du développement et de la prestation des services a vu l’émergence d’institutions et de processus de responsabilisation axés sur la demande en Sierra Leone. Il s’agit notamment de la National Advocacy Coalition on the Extractives et du Budget Advocacy Network. D’autres processus de responsabilisation rassemblent le gouvernement et la société civile pour créer une synergie. Il s’agit notamment des comités de supervision budgétaire de district (DBOC) et des commissions de lutte contre la corruption (ACC), ainsi que des groupes de suivi de la société civile.

Dans tous ces cas, les citoyens manifestent maintenant leur volonté de protester contre les manquements à l’obligation de rendre des comptes au public. Les organisations non gouvernementales (ONG), les groupes communautaires et d’autres formes d’associations sont en train d’élaborer des processus d’engagement dans le domaine de la responsabilité publique. Essentiellement, ces engagements en matière de reddition des comptes font ressortir le désir de promouvoir la bonne gouvernance dans le contexte d’une relation État-citoyen transformée. Cette relation est fondée sur la volonté et la capacité des citoyens de participer à l’action du gouvernement, dans les processus d’élaboration des politiques publiques, et sur la responsabilisation ou l’obligation de rendre compte, qui porte progressivement ses fruits.

Plus important encore, le Gouvernement sierra-léonais a manifesté son adhésion aux idéaux et aux valeurs de l’Open Government Partnership (OGP) et avait déjà créé un secrétariat de l’Open Governement Initiative (OGI) pour réaliser les objectifs de transparence et de bonne gouvernance promus par l’initiative qui a une envergure globale de promotion de la transparence et des principes de bonne gouvernance. Il a présenté sa lettre d’intention pour adhérer au Partenariat pour un gouvernement ouvert en octobre 2013, après l’adoption de la Loi sur le droit d’accès à l’information, mettant ainsi l’accent sur la transparence, la participation civique, la responsabilité publique, la technologie et l’innovation pour une ouverture et une responsabilité.

L’application effective de la Loi sur le droit d’accès à l’information dépend d’une gestion appropriée et spécialisée des dossiers et des archives. Les fonctionnaires sont désormais tenus de gérer des registres corrects et appropriés, car ils seront en mesure de les rendre publics sur demande. Cela doit être soutenu par des mécanismes de renforcement des capacités nécessaires à l’application de la loi.

Cela fait partie de la réponse du gouvernement à l’appel lancé par le public pour améliorer la transparence dans l’ensemble du gouvernement en rendant l’information facilement accessible au public. Le gouvernement a créé la Commission du droit d’accès à l’information afin de prendre une loi en la matière de veiller à l’effectivité de son application.

La Direction de la gestion de la performance et de la prestation des services a été créée en 2013 au sein du Bureau du chef de cabinet dans le but de contractualiser avec les fonctionnaires publics au sein des principales institutions de prestation de services du gouvernement. Le contrat de performance est utilisé pour aider les institutions à planifier leurs activités et à les relier au budget et aux résultats par rapport auxquels elles sont évaluées sur une base semestrielle afin d’assurer une meilleure prestation de services et une meilleure reddition des comptes pour le bénéfice des citoyens.

Transparence et responsabilité au Liberia

Il a été noté que la culture de corruption du gouvernement libérien a un impact négatif sur les droits politiques et économiques de ses citoyens. Toutefois, à l’instar de la Sierra Leone, le Gouvernement a déployé de nombreux efforts sous la direction de la Présidente Sirleaf pour rendre les opérations gouvernementales plus ouvertes, efficaces et participatives. La politique de réforme du gouvernement a déjà eu une incidence sur les quatre domaines-clés du OGP : la transparence, la participation du public, la reddition de comptes et la technologie afin d’assurer l’ouverture.

Pour améliorer la transparence et la redevabilité, le gouvernement a créé une commission de lutte contre la corruption et a réorganisé la Commission générale d’audit. La corruption incontrôlée décourage la participation, sape la méritocratie et rend difficile le traitement des problèmes d’exclusion sociale. Aujourd’hui, certaines des plus grandes tensions concernent les conflits fonciers, les conditions d’attribution des marchés publics, le chômage des jeunes, les divisions claniques, ainsi que la marginalisation des femmes.

Malgré des initiatives comme le Programme d’aide à la gouvernance et à la gestion économique (PAGEE) et les programmes de soutien à la gouvernance et à la gestion économique (GEMS), la transparence et la responsabilité demeurent un grave problème. La corruption sape la liberté d’expression et de participation, de même que la méritocratie et rend difficile le traitement des problèmes d’exclusion sociale. Ces exclusions ont fini d’installer une insécurité totale dans la société.

La participation du Libéria au Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO) s’appuie sur sa volonté de créer une société ouverte qui garantisse un niveau élevé de participation citoyenne et de réactivité du gouvernement. C’est indispensable au succès des efforts de développement dans le Libéria d’après- conflit. La confiance du public est un élément-clé pour soutenir la croissance économique et la cohésion sociale. On estime qu’en renforçant la transparence, la participation publique, la responsabilité et la technologie, le Libéria est certain de créer un environnement dans lequel ses citoyens et ses fonctionnaires s’approprient pleinement les programmes gouvernementaux pour obtenir des résultats.

Le gouvernement a officiellement déclaré dans une lettre d’intention datée du 7 septembre 2011 qu’il adhérait au Partenariat public ouvert (PPO). Dans sa lettre d’intention, la Présidente Sirleaf a déclaré : « Malgré ces progrès, il reste encore beaucoup à faire pour rendre le Libéria plus ouvert, plus transparent et plus exempt de corruption. Notre participation à des activités de transparence comme le PPO nous donne l’occasion de démontrer et de renforcer notre engagement à ouvrir le gouvernement, à rendre des comptes et à combattre la corruption. » Comme la Sierra Leone, le PPO s’articule autour de quatre piliers clés : la transparence, la participation des citoyens, la responsabilité et l’innovation technologique. L’une des principales exigences pour obtenir le statut de membre à part entière du PPO est que chaque pays participant doit élaborer et adopter un plan d’action national conforme aux piliers du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO).

D’autres résultats de la réforme ont également été obtenus, notamment l’adoption de la loi sur la liberté de l’information, de la loi sur la Commission anticorruption du Libéria, de la loi sur les marchés publics et les concessions, de la loi sur la gestion des finances publiques (PFMA), de la loi sur la transparence des industries extractives et de la loi révisée sur la Commission générale de vérification.

Heureusement, plus que jamais auparavant, une plus grande proportion de Libériens a maintenant la possibilité de participer aux processus de gouvernance du pays afin de combler les lacunes et de relever les défis de la pertinence des politiques mises en œuvre aux niveaux local et national. Néanmoins, pour soutenir et améliorer le processus de réforme en cours, il faudrait appliquer les lois promulguées, ainsi que les projets de loi dont l’Assemblée législative du Libéria serait saisie et renforcer certaines institutions politiques du pays.

Malgré les énormes progrès réalisés dans cette direction, des défis subsistent, même s’ils ont été atténués par rapport aux régimes antérieurs. Ces défis se manifestent dans la persistance d’un pouvoir exécutif qui l’emporte sur des pouvoirs judiciaire et législatif faibles. Jusqu’à présent, au Libéria, comme en Sierra Leone, la gouvernance s’exerce sur la base du népotisme et du clientélisme politique. Le président a nommé des parents et des amis à des postes de responsabilité au sein du gouvernement.

Conclusion

La situation de la gouvernance démocratique et des droits de l’Homme au Libéria et en Sierra Leone semble similaire, dans les deux pays, à bien des égards. Les processus démocratiques sierra-léonais et libériens dans le contexte de transition sont tous deux des produits d’affrontement à somme nulle entre le gouvernement et les factions rebelles. Les belligérants qui se sont alors vus obligés d’opter pour les solutions de rechange les plus complètes qui soient, après de sérieux calculs coûts-avantages, préparent le terrain à la transformation démocratique. Au nom de la population locale, on s’attendait énormément à ce que l’évolution politique qui s’est produite au lendemain de la guerre civile et les mécanismes de responsabilisation respectifs soient mis en œuvre pour régler les problèmes du passé. La réalité est que les deux pays semblent s’être remarquablement bien remis de l’héritage de la guerre civile et du dysfonctionnement profond des secteurs de la sécurité et de la justice que la militarisation antérieure de la politique et la mauvaise gestion économique avaient favorisés.

Des progrès remarquables ont été réalisés, dans les deux pays, dans le domaine de la liberté d’expression, de la liberté d’association et de la participation citoyenne que l’on peut généralement qualifier de « libertés politiques ». Toutefois les privations au plan socio-économique liées au chômage, aux inégalités dans la répartition des revenus et des richesses, à l’insécurité alimentaire et au déficit d’une éducation adéquate continuent de miner leurs processus respectifs de démocratisation. On pourrait exprimer la préoccupation en contestant fermement que si la pauvreté se répand et que les conditions de vie ne s’améliorent pas, il pourrait y avoir un moment où les gens commenceront à perdre confiance dans la démocratie elle-même, ce qui pourrait être dangereux.

L’expérience des deux pays a également montré que les promesses électorales sur la démocratie et son impact en faveur des pauvres sont surestimées par les candidats en campagne. Chaque élection fait naître de nouveaux espoirs dans les relations entre gouvernants et gouvernés, à travers la participation des jeunes, des femmes et des minorités ethniques au débat public pour une meilleure prise en compte de leurs préoccupations et pour apporter des réponses aux conflits ethniques et aux besoins socio-économiques. Quelques mois ou un an plus tard, les gens commencent à perdre espoir et confiance dans le gouvernement pour lequel ils ont voté en raison de la fourniture aléatoire des services sociaux de base comme l’électricité et l’eau, etc.

Compte tenu de la situation actuelle des droits de l’Homme et du déficit de gouvernance dans les deux pays, l’étude a noté avec préoccupation que la détérioration croissante des conditions de vie d’un grand nombre de citoyens peut avoir de graves conséquences sur les acquis démocratiques. Pour faire face à ces défis, il fait une compréhension holistique de la démocratie qui intègre la prise en charge de la satisfaction des besoins et la sécurité des citoyens qui est essentielle à leur bien-être économique et social. Il en est de même pour la garantie des droits de l’Homme tels qu’ils sont consacrés dans les instruments juridiques internationaux et régionaux, et le respect des principes fondamentaux de la bonne gouvernance démocratique tels que la transparence, la responsabilité et la prestation de services.

Cela signifie que si l’on veut approfondir la démocratie dans les deux pays, il faut l’ancrer dans une société composée de citoyens dotés d’un capital social, politique et civil qui renforce leur attachement à la démocratie.