Afrique de l’Ouest: analyse du context actuel de la (in) stabilité démocratique

La gouvernance en Afrique de l’Ouest est caractérisée depuis plusieurs décennies par une situation de crise structurelle qui affecte l’État postcolonial. Le déficit de légitimité qui affecte l’efficacité de l’État est à l’origine des conflits qui ont entamé la cohésion sociale et l’espace territorial des jeunes nations. Ainsi, les défis liés à la gouvernance et la stabilité se situent principalement à trois niveaux: (i) faiblesse étatique et ineffectivité de l’État de droit, (ii) difficile réalisation de l’unité nationale et récurrence des conflits internes et (iii) difficile consolidation de la démocratie. Bien que le mouvement de démocratisation en Afrique ait connu une avancée indéniable, sa phase de consolidation pour une stabilité démocratique rencontre des difficultés et les risques d’un reflux sont du fait de la perte de légitimité et de l’instabilité des institutions, du retour de coups d’États, de l’ethnicisation de la politique, de la corruption généralisée, sans compter les menaces terroristes récurrentes.

Pour le Gorée Institute (Centre de la Démocratie, le Développement et la Culture en Afrique), les défis liés à une meilleure gouvernance tiennent, entre autres, à la stabilité institutionnelle et politique, la transparence dans la gestion des ressources publiques, l’accélération de la croissance économique à la base mais aussi et surtout l’inclusion des citoyens. En Afrique de l’Ouest comme dans la plupart des pays du continent, les systèmes politiques restent très exclusifs. Ils sont motivés par des relations de pouvoir inégales et par les intérêts politiques et économiques des élites dominées par les hommes. La majorité des jeunes, des femmes et des groupes marginalisés est largement exclue des processus décisionnels. Les contrats sociaux restent fragiles, car les institutions publiques faibles ne fournissent pas de services à une grande partie de la population ou ne sont même pas en faveur des intérêts des citoyens. Ceux qui sont censés représenter la voix des citoyens, en particulier les partis politiques, manquent souvent de niveaux de légitimité suffisants car ils ne traduisent pas les besoins des citoyens en processus décisionnels. Faut-il le rappeler, l’Afrique de l’Ouest est traversée par un reflux d’instabilité, notamment au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Niger, en Guinée Bissau et au Togo. Il est démontré que la crise politique, dans chacun de ces pays, trouve son origine plutôt dans le déficit de représentativité entre les citoyens et les dirigeants.

La gouvernance, pour être optimale, doit alors prendre en considération les préoccupations des différentes parties prenantes afin d’assurer le développement durable. C’est dans ce sens que les séries d’études conçues par le Gorée Institute constituent un point d’entrée basé sur des expériences pour mettre en œuvre le programme Power of Dialogue (PoD) pour la période 2021-2025 dans le but plus large de promouvoir un espace démocratique pacifique et une prise de décision politique inclusive, réactive et représentative à tous les niveaux. Elles sont également conçues en partant du principe que l’évaluation et la mise à jour continues de l’état de la paix, de l’instabilité politique et des défis de la gouvernance sont un préalable nécessaire pour aborder et promouvoir l’engagement des citoyens, tout en prévenant la fragilité des États. L’Institut prévoit que ces mises à jour sur la gouvernance, la paix et la sécurité ouvriront la voie à des options réactives fondées sur des preuves pour les décideurs politiques en Afrique de l’Ouest, car les études ont accordé une grande attention aux facteurs de risque et à leurs implications à différents niveaux. Il est également prévu que l’adoption d’une telle directive, telle que consacrée dans la théorie du changement du programme de Power of Dialogue, impliquera des groupes civiques au niveau national afin de relever collectivement les défis de la gouvernance pour les années à venir.

D’un autre côté, il est largement reconnu que sans une société civile transparente et efficace, il sera très difficile pour le continent africain d’assurer la stabilité, la croissance socio- économique et le développement durable sur le continent. La participation des organisations de la société civile (OSC) est essentielle pour une intégration régionale réussie. L’engagement de la société civile dans le processus d’intégration régionale complète la politique plus large consistant à travailler en étroite collaboration avec des parties prenantes multirégionales distinctes du gouvernement pour favoriser le partenariat et garantir une prestation de services efficace. Ces derniers temps, les organisations de la société civile fonctionnant au niveau régional et ciblant les processus décisionnels ont été florissantes car elles agissent également comme intermédiaires entre les acteurs étatiques, non étatiques et les communautés. Telle est la justification du dialogue avec les OSC sur le sujet. En substance, les études ont généralement accordé une attention critique à la manière dont les pays ciblés réalisent progressivement la relation de renforcement mutuel entre les obligations démocratiques inscrites dans le Protocole sur la démocratie de la CEDEAO et les autres instruments internationaux signés et ratifiés par les États membres de la sous-région. La réalité qui sous-tend ces études est que la liberté politique et économique renforce les droits et élargit l’espace civique, favorisant ainsi la croissance économique, la coexistence pacifique et la stabilité démocratique ; et que des pratiques démocratiques saines renforcent l’État de droit, la participation des citoyens ainsi que la liberté d’expression et de réunion, tels qu’ils sont consacrés dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Plus concrètement, cet aspect sera considéré à la lumière des problèmes de gouvernance, notamment la volonté politique de mettre en œuvre les principes de bonne gouvernance démocratique et l’absence de corps législatifs, de politiques et de mesures adéquates établies par les gouvernements pour faire face aux défis de la gouvernance.

S’agissant plus spécifiquement de la trajectoire politique nationale des Etats mis en relief, les études révèlent globalement pour le Burkina Faso une situation d’insécurité localisée, une grande fragilité de l’Etat et des élections apaisées ; pour le Mali, une insécurité rampante, une grande fragilité de l’Etat, une instabilité politique (coups d’Etat) et des incertitudes sur la transition. S’agissant du Niger, il est relevé une situation d’insécurité aux frontières, une fragilité et une résilience de l’Etat, un processus électoral en cours (second tour en février 2021) et des pratiques politiques et économiques douteuses. Pour ce qui est du Sénégal, le diagnostic révèle une situation de sécurité préservée mais nécessitant une vigilance essentielle, laquelle est tributaire de la présence et de la capacité de l’Etat à la préserver ; ainsi que des pratiques politiques et économiques douteuses. Or, les études et programmes de recherche (exemple Afrobarometer) qui mesurent l’opinion révèlent un soutien et une préférence des populations à la démocratie et la bonne gouvernance.

Tels étaient le contexte et la justification qui ont présidé, en décembre 2020, à l’organisation par le Gorée Institute de la Rencontre sous- régionale de dialogue multi-acteurs sur les défis liés à la stabilité démocratique comme solution à la consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest. Car, en effet, pour reprendre Michel Foucault, « il faut défendre la société ».